[Psychiatrie] La violence en psychiatrie : un ancien chef de service témoigne

Lors de l’ouverture du dernier congrès de l’Encéphale, le ministre de la Santé a pointé les pratiques d’isolement et de contention en psychiatrie. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (C.G.L.P.L.) déclare que « depuis les années 1990, aucun gouvernement n’a pris garde aux dommages croissants et très inquiétants qu’endure la filière psychiatrique ». Nous avons voulu connaître l’opinion du Docteur Bernard Peguilhan qui fut médecin chef dans l’Etablissement public de santé mentale (EPSM) Georges-Daumézon à Fleury-les-Aubrais, dans le Loiret. 

Propos recueillis par Jean-Paul Briand

Docteur Bernard Peguilhan, ancien chef de l’établissement public de santé mentale Georges Daumézon à Fleury-les-Aubrais

Vous avez eu une longue carrière de chef de service dans des établissements publics de psychiatrie. Au fil des années, la violence chez les patients a-t-elle augmenté ? 

B. Peguilhan : Je ne peux dire si la violence augmente en milieu psychiatrique. C’est sûrement très variable suivant les lieux d’implantation des hôpitaux et les types de population de malades. Les addictions, notamment l’usage de cocktails de drogues, ont aujourd’hui un rôle important dans les actes de violence. Les phénomènes violents auxquels j’ai été confrontés ont majoritairement à voir avec les situations d’hospitalisation sous contrainte. N’acceptant pas l’hospitalisation, parce que ne se jugeant pas malade, le patient peut réagir de façon très violente car il ressent cette situation comme une véritable agression. Je voudrais revenir sur le concept de violence, auquel, dans la population générale, la maladie mentale est souvent associée. Les études des experts mettent en évidence qu’il y a plus de violence possible chez une personne souffrant de troubles psychiatriques sévères, tels que la schizophrénie, les délires chroniques, les troubles bipolaires. C’est une violence pouvant entraîner des actes médico-légaux (4 fois plus fréquents chez ces malades que dans la population générale). Néanmoins, je ferai un distinguo entre la violence liée aux phénomènes délirants et/ou hallucinatoires, celle dont parlent le plus souvent les experts psychiatres, et une violence qui est réactionnelle au contexte environnemental, celle à laquelle sont confrontées les équipes de soignants.

Quand vous évoquez le contexte environnemental, faites-vous allusion au propos du député Hammouche qui dénonce dans son rapport d’information sur l’organisation de la santé mentale, présenté à l’Assemblée Nationale, que « la filière psychiatrique, et en particulier la psychiatrie publique, est au bord de l’implosion, et la suroccupation des lits est un fléau pour les patients comme pour les soignants » ? 

B. P. : A partir des années 1970, en rapport avec le début de la sectorisation psychiatrique, le nombre de malades hospitalisés de façon chronique a chuté. Selon les statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), entre 1987 et 2000, le nombres de lits d’hospitalisation psychiatrique a baissé de 49 % . Cette fonte des effectifs de patients a été une aubaine pour les gestionnaires qui en ont profité pour diminuer le personnel soignant en psychiatrie. Comme le note M. Hammouche, il n’y a pas eu de rééquilibrage au profit des soins extrahospitaliers. Ceux-ci représentent pourtant 60 % de l’activité psychiatrique publique. Or la population augmente ainsi que les besoins de soins en santé mentale, tout particulièrement en pédopsychiatrie et en psychiatrie de l’adolescent. Actuellement, le travail d’un psychiatre de garde, accueillant des hospitalisations libres mais aussi et souvent sans consentement, consiste essentiellement à rechercher des lits pour les entrants plutôt que d’effectuer des examens cliniques approfondis. Quand j’étais d’astreinte, ma question initiale au bureau des entrées était : « Combien a-t-on de lits vacants ? » C’était, il y a une vingtaine d’années ! Cette situation s’est aggravée. Elle est particulièrement stressante pour les équipes de soins mais aussi et surtout pour les patients hospitalisés, souvent contre leur gré.

L’hospitalisation sous contrainte est parfois le premier contact avec le soin psychiatrique. Parlez-nous de votre expérience.

B. P. : Quand j’étais encore en activité, nous étions sous le régime de l’HDT (Hospitalisation à la demande d’un tiers) et de l’HO (Hospitalisation d’office) pour les hospitalisations sans consentement du patient. Cette loi a été modifiée à plusieurs reprises mais le volet sécuritaire est toujours conservé, voire renforcé. C’est toute l’ambiguïté du travail du psychiatre hospitalier : il doit soigner, donc établir une relation de confiance avec le patient et ce, très souvent, dans un contexte de contrainte. Je n’ai pas en mémoire la proportion précise entre les différents modes d’hospitalisation. Or le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) note dans son rapport un nombre important et en augmentation des hospitalisations sans consentement. Il y a un manque chronique de lits. Les hospitalisations contraintes sont ainsi le moyen d’obliger les hôpitaux psychiatriques à admettre un patient, souvent adressé en urgence par un Hôpital général dépassé ou une maison pour personne âgée ne souhaitant pas garder un pensionnaire difficile.
Le CGLPL  signale également une augmentation importante des HDT pour péril imminent ne nécessitant qu’un seul certificat. Il dénonce un empilement de textes législatifs souvent mal interprétés aboutissant à des violations des droits des personnes hospitalisées. Les exigences sécuritaires, associées aux manques de lits et de personnel, entraînent malheureusement des recours à l’isolement et à la contention afin de protéger le personnel (en majorité féminin) mais surtout les malades déjà hospitalisés et l’entrant lui-même, des risques liés à son agressivité…

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