[Psychiatrie] “On nous demande seulement de faire des entrées et des sorties !”

L’hôpital psychiatrique est un secteur très peu considéré de notre système de santé depuis longtemps et la pandémie n’arrange rien bien sûr. Un “abandon” qui a des conséquences sur le travail des soignant.e.s au quotidien auprès des patient.e.s et que le grand public connaît mal. D’où l’importance dans ce dossier du long témoignage de Julie, une infirmière qui travaille à l’hôpital psychiatrique Daumezon de Fleury-les-Aubrais. Pour des soucis de confidentialité, son prénom a bien sûr été changé. Une parole rare qu’il faut prendre le temps de lire pour comprendre ce qui se passe actuellement dans nos hôpitaux psychiatriques.

Propos recueillis par Sophie Deschamps 

L’hôpital psychiatrique Daumezon de Fleury-les-Aubrais souffre comme les autres d’un manque de moyens. Photo Jean-Paul Briand

Julie, diriez-vous que le secteur psychiatrique est encore plus en crise que l’hôpital public ?  

Julie : Oui, je partage ce constat. La psychiatrie est le parent pauvre du système hospitalier. Nous avons un manque de moyens chronique. Par exemple, là où avant l’effectif minimum était exceptionnel dans une unité, aujourd’hui cela devient la norme. Et dès que l’on a une personne en plus de cet effectif minimum, elle est de plus en plus amenée à faire des remplacements dans une autre unité. Alors qu’avant nous avions toujours un peu de marge au niveau des effectifs, ce qui nous permettait de nous auto-remplacer dans notre propre unité. 

Le problème c’est que le travail psychiatrique se base sur la connaissance du patient, son histoire de vie, sa pathologie. Donc en faisant des remplacements dans d’autres unités, on perd ce savoir de l’histoire des patients donc on ne peut pas travailler correctement avec eux. Sans compter qu’eux aussi ont besoin de nous connaître.

Selon vous, votre travail  est basé sur le soin mais aussi sur le lien ?

Julie : Oui nous travaillons sur la base d’une alliance thérapeutique et cela ne peut se travailler que dans la durée. Quand on est là pour une journée ou seulement trois heures on ne peut pas l’avoir.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette alliance thérapeutique ?

Julie : C’est un concept de soin ancien qui consiste à établir au fil du temps une confiance et une connaissance mutuelle avec le patient. C’est ce qui va permettre peu à peu d’amener des changements de comportement, à prendre conscience de certaines choses comme la nécessité de suivre des soins. C’est aussi travailler sur pourquoi cette personne est là et construire des projets de vie avec elle. C’est donc très important.

Ça veut donc dire passer beaucoup de temps avec les personne malades ?

Julie : Oui bien sûr ! Il y a notamment l’entretien infirmier qui est un moment important parce que l’on est seul avec la personne et que l’on peut faire avec elle un travail personnalisé comme je le disais. Mais malheureusement nous avons de moins en moins de temps pour le réaliser. Du coup, on est dans la gestion du quotidien. Bien sûr on fait du mieux que l’on peut mais notre travail va alors consister à donner les médicaments, s’occuper des repas, faire les toilettes… mais aussi s’occuper des papiers, de l’administratif qui prend une place de plus en plus importante. On fait tout cela et c’est déjà bien, mais ce n’est pas suffisant.

De plus nous devons aussi gérer les entrées et les sorties des personnes et cela nous prend également beaucoup de temps quotidiennement. Tout cela est fait au détriment d’une relation privilégiée avec le patient alors que c’est notre coeur de métier en fait.

Il faut aussi suivre les changements de lois, par exemple au niveau des contentions et des chambres d’isolement (voir encadré) donc ce sont encore des choses qui se rajoutent, des papiers à faire signer également. Sans oublier le Covid qui rajoute une complexité administrative. Et nous devons faire tout cela sans aucun moyens supplémentaires. Pourtant cela fait longtemps que nous en demandons.

Justement, qu’est-ce-que l’administration vous répond lorsque vous demandez des moyens supplémentaires ?

Julie : On nous répond qu’il n’y pas d’argent magique. Il y aussi des postes vacants mais personne ne postule. En gros, ce sont des causes externes. Il y a à la fois ce manque de moyens mais il y a aussi le contexte du Covid où ça s’est vraiment dégradé.

Puisque vous parlez du Covid, est-ce-que l’hôpital psychiatrique a été pris en compte dans le Ségur de la santé ?

Julie : Oui, en tant que soignants nous avons été pris en compte avec une prime de 180 euros par mois. C’est bien mais ce n’est pas le cœur de nos revendications. Ce que nous demandons une fois de plus ce sont des moyens humains supplémentaires, ce n’est pas juste de l’argent. 

Ce qui nous met en colère en revanche, ce sont les vaccinodromes dans lesquels les soignant.es sont très très bien payé.es, de l’ordre parfois de plusieurs centaines d’euros la journée. Du coup, ces structures “aspirent” les jeunes diplômé.es qui sortent de l’école. Ils vont préférer travailler dans les vaccinodromes pour toucher 3000 ou 4000 euros par mois plutôt que d’aller en psychiatrie publique où ils en gagneraient 2000 avec des conditions de travail contraignantes. C’est très bien mais nous aimerions être payé.es pareil !

Il faut aussi parler des bâtiments car nous avons des unités vieillissantes. Certes, il y a des travaux qui sont faits, de nouvelles unités qui sont construites mais ce n’est pas suffisant. Du coup, c’est à nous de nous adapter aux bâtiments et nous faisons en sorte que tout se passe bien pour la sécurité à la fois des patient.es et des soignant.es mais clairement très souvent nous ne nous sentons pas écouté.es en fait. Quand de nouveaux bâtiments sont construits, certes il y a des consultations mais une fois achevés, on se rend compte qu’ils ne sont pas adaptés, qu’il y a plein de problèmes qui mettent en danger à la fois les patient.es et les soignant.es mais on fait avec.

Ce manque de temps fait que nous avons aussi perdu “l’esprit village” de Daumezon. Le vocabulaire est de ce point significatif puisque avant on parlait de pavillons et aujourd’hui d’unités.

Est-ce-que ces locaux parfois inadaptés peuvent générer de l’anxiété chez certain.es patient.es ?

Julie : Certaines unités sont parfois trop grandes ou même les chambres ce qui peut générer de l’angoisse chez des patient.es qui ont besoin parfois d’être contenu.es. Pour nous cela peut engendrer des difficultés de surveillance. Notamment quand il y a des recoins, cela peut permettre à un.e patient de se cacher et de se mettre éventuellement en danger. 

Par rapport au Covid, les soignant.es se sont vraiment mobilisé.es. On a vraiment fait du mieux que l’on a pu pour prendre cette nouvelle donne en compte et surtout l’expliquer aux patient.es. Nous avons fait l’effort de changer nos méthodes de travail. Ça a été une autre dynamique, une autre organisation qui heureusement n’a pas créé de perturbations majeures chez nos patient.es.  

Le souci est ailleurs. Il vient du fait que cette pandémie génère un afflux de patients, on déborde. Et comme nous avons un nombre précis de lits qui ne peut pas augmenter, la direction demande aux médecins de faire des sorties pour pouvoir accepter de nouvelles entrées de patient.es. Du coup, on ne peut pas accueillir toutes les personnes qui en auraient besoin.

Vous avez évoqué rapidement les chambres d’isolement et les contention. Des pratiques qui de l’extérieur peuvent inquiéter. Comment ces mesures sont-elles appliquées à Daumezon ? 

Julie : Il faut tout d’abord préciser que ces mesures font toujours l’objet d’une prescription médicale d’un psychiatre détenteur d’un diplôme français et ensuite d’un suivi régulier et beaucoup de paperasse puisque c’est ce que nous appelons des soins intensifs. C’est donc très encadré et très surveillé. (voir encadré)

Ensuite, c’est vraiment utilisé le moins possible surtout la contention. On y a recours seulement quand on a épuisé toutes les autres possibilités, à savoir l’écoute, l’entretien, les médicaments si besoin. On est donc parfois obligés d’isoler, de contentionner mais les contentions c’est vraiment très très rare et c’est pendant très peu de temps. Notre travail est d’évaluer l’état clinique des patient.es. Nous savons repérer la montée de l’agressivité, de la violence, leur humeur, parfois des états suicidaires et s’il y a un risque de passage à l’acte, donc nous avons des outils pour cela.

Encore une fois, la chambre d’isolement c’est vraiment quand on n’a pas le choix et la contention sur un lit quand on a encore moins le choix. Ça peut aller, mais c’est rarissime, jusqu’à une contention cinq points c’est-dire que le patient.e est fixé.e sur le lit avec des attaches sur les deux mains, les deux pieds et une ventrale. C’est utilisé uniquement en cas de violence extrême lorsque la personne représente un danger pour les autres ou pour elle-même. Mais c’est très rare, j’en ai très peu vues ou pratiquées en plusieurs années de travail. Et je n’ai jamais constaté d’abus. 

En revanche, les chambres d’isolement sont fréquentes et elles mettent les psychiatres en difficulté parce qu’il y en a de moins en moins. Avant il y avait deux psychiatres par unité, aujourd’hui il n’y en a plus qu’un seul. Le psychiatre doit remplir les certificats d’isolement et de contention donc c’est une charge de travail supplémentaire. C’est très rare mais il peut arriver qu’il y ait un laps de temps sans prescription.

Ce manque de moyens peut-il engendrer des maltraitances vis-à-vis des personnes malades ?

Julie : Inévitablement, ce manque de moyens et de temps entraîne une certaine maltraitance qui concerne aussi bien les patient.e.s que les soignant.es. Pour les personnes malades c’est une moindre présence des soignant.es auprès d’eux et pour les professionnel.les 

En revanche, pour finir sur un point positif, je tiens à dire que nous bénéficions sur place d’un très bon service de formation continue. Nous avons accès à beaucoup de formations de très bonne qualité. Et cela aide les équipes à tenir et à donner du sens à nos métiers. 

La contention et l’isolement  psychiatrique ont été modifiés par un article de loi entré en vigueur le 16 décembre 2020. Les changements concernent les durées légales d’isolement en chambre et de contention.

 Ce qui ne change pas : la décision de l’une de ces deux mesures doit être prise par un psychiatre de l’établissement détenteur d’un diplôme français. Ces mesures doivent être obligatoirement consignées dans un registre tenu par l’établissement hospitalier et consultable à tout moment par les autorités sanitaires concernées.

Cette nouvelle apporte une importante précision sur le statut du patient. Ces mesures ne peuvent en effet être prises que lors d’une hospitalisation complète sans le consentement de la personne internée.

Les changements concernent aussi les durées légales d’isolement en chambre et de contention.

Ainsi l’isolement en chambre d’un patient.e est possible pour une durée de 12 heures, contre 24 heures avant. Cet isolement peut toutefois être renouvelé par périodes de 12 heures mais ne doit en aucun cas excéder une période de 48 heures.

 La contention est possible pour une durée de 6 heures au lieu de 12 heures  avant. Elle est aussi renouvelable par périodes de 6 heures mais ne doit pas excéder 24heures. 

L’isolement ou la contention peuvent être exceptionnellement prolongés au-delà des 24h heures et 48 heures réglementaires. Mais dans ce cas le juge des de la détention et des libertés doit en être informé sans délai.

Enfin, une nouvelle mesure d’isolement ou de contention ne peut intervenir que 48 heures après la fin de la précédente.

Cette loi a été encore modifiée le 22 janvier 2022 afin de rendre le contrôle judiciaire systématique.

Un livre pour aller plus loin : François Ruffin, Un député à l’hôpital psychiatrique, Fakir éditions, 2017

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