Orléans : Quand un marathonien renaît sur scène

La Compagnie Charbon fait revivre Abebe Bikila, premier africain noir champion olympique à Rome en 1960, dans une superbe scénographie où théâtre, danse et musique se conjuguent harmonieusement.

Par Bernard Thinat

La genèse de « Vaincre à Rome »

Quand Thierry Falvisaner, Directeur artistique du « Théâtre Charbon » rencontre en 2017 Sylvain Coher, romancier, sous l’égide du CICLIC (agence régionale pour le livre, l’image et la culture numérique), ce dernier a déjà travaillé depuis 10 ans sur le personnage d’Abebe Bikila et sa victoire sur le Marathon lors des JO de Rome en 1960. Ils conviennent alors d’une résidence de l’auteur afin de mener en commun des activités artistiques sur le quartier de la Source, résidence de laquelle sortira le roman Vaincre à Rome. Par la suite, de performance et performance devant un public de plus en plus ravi, ils décident tous deux d’adapter le roman au théâtre. Si le roman était une narration de la course racontée par Bikila seul, la pièce de théâtre éponyme fait intervenir l’entraîneur, un journaliste, et in fine, l’épouse, restée en Ethiopie, ainsi qu’un musicien.

Mais qui est donc Abebe Bikila ?

Berger venu de ses hauts plateaux, sélectionné au dernier moment, il court pieds nus, refusant les chaussures qu’on lui offre. Totalement inconnu, il remporte la course effectuée en grande partie de nuit, en lâchant dans les derniers hectomètres, son principal rival, le marocain Abdeslam Radi vivant en France et dont le journaliste n’a d’yeux que pour lui. Juste après la course, Bikila ne s’assoit, ni ne boit, sautille, comme s’il n’avait couru que quelques kilomètres, ce qui fera de lui un héros dans son pays et dans le monde. C’est la première fois qu’un athlète noir africain remporte une médaille d’or aux JO. D’autres très nombreux suivront. Bikila récidive 4 ans plus tard lors des JO de Tokyo. Victime d’un grave accident de voiture en Ethiopie, il meurt en 1973 à l’âge de 41 ans.

Abebe Bikila finissant le marathon olympique en 1960, à Rome

Le décor

A gauche du plateau, un fauteuil de style et un vieux téléviseur représentant la maison de l’épouse (sans pour autant recourir au mobilier africain), au milieu deux pistes représentant les rues de Rome entre lesquelles une sorte d’arène symbolisant le cœur, le poumon du spectacle, au sein de laquelle Adrien Chennebault, un des fondateurs du Tricollectif bien connu des amateurs de jazz orléanais, embarque avec sa batterie, les comédiens sur un rythme de plus en plus fort au fur et à mesure que l’arrivée se rapproche. Au fond, un journaliste radio (Thomas Cérisola) commente tant bien que mal la course devant micro et machine à écrire de l’époque.

La pièce

Timothé Ballo est danseur professionnel, c’est lui qui tient le rôle du coureur éthiopien. Il court et danse sur la piste, assurant lui-même la chorégraphie. Danse souple, lumineuse, virevoltant comme Bikila avalait les km, il court sur place d’une foulée si légère. Mais le sport de haut niveau n’est-il pas chorégraphie, sport et danse se confondant ? Giono le compara pas à « un elfe bondissant, joyeux et gai… venant de faire ses 40 km en valsant »

Son entraîneur suédois, rôle tenu par le metteur en scène Thierry Falvisaner, ne cesse de l’encourager, lui conseillant, ordonnant, de rester caché dans le peloton tant que possible. Plus la musique est dense et forte, plus l’entraîneur crie, hurle, confondant sa voix à celle de la batterie, tels les spectateurs dans un stade.

Quant au journaliste, ses propos quelque peu racistes sont ceux-là même tenus par un reporter français dont on a retrouvé l’enregistrement de l’époque.

Enfin, l’épouse de Bikila, Ganne Raymond sur la scène, restée en Ethiopie, suit à distance son mari, le couvant presque comme une mère, désireuse de savoir. Un beau rôle pour l’actrice, titulaire d’une thèse sur l’environnement, et qui est revenue au théâtre, faisant preuve de beaucoup de présence scénique et d’empathie pour son mari loin d’elle.

Fort adroitement, et le metteur en scène d’insister sur le fait qu’il y a un avant et un après 1960, la pièce évoque cette année-là qui fut celle de l’accession à l’indépendance de nombreux pays de l’Afrique coloniale en égrenant leurs noms, convoque sur le plateau l’empereur Haïlé Sélassié qui le 30 juin 1936 s’est adressé à la Société des Nations après que Mussolini ait envahi son pays et mettant en garde contre l’horreur qui allait suivre. Enfin, par un saut dans le futur comme on se le permet au théâtre, se jetant dans l’arène, l’épouse de Bikila crie son désespoir en apprenant la mort de son mari en 1973, contre ceux qui ont fait de lui un héros au lieu de le laisser berger sur les hauts plateaux. Tel Achille qui connut la gloire avant de mourir jeune transpercé par une flèche reçue sur le talon, Abebe Bikila est entré dans la peau d’un personnage mythologique foudroyé par un cadeau de l’empereur, l’automobile.

Le spectacle, fort apprécié des spectateurs, a été joué dans la jolie salle du Bouillon de l’Université d’Orléans, à deux reprises l’après-midi devant un public scolaire, ainsi qu’en soirée. Peut-être ira-t-il en Avignon cet été, c’est tout ce qu’on lui souhaite !

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