Ils sont vivants, et combien !

Ils sont vivants, le film de Jérémie Elkaïm et Marina Foïs, nous entraine dans une histoire d’amour improbable qui naît dans la jungle de Calais. Sur un sujet aussi délicat, Elkaïm trouve le ton qui met à distance toute mièvrerie. Et Marina Foïs colore son personnage d’une rage rentrée contre elle-même rendant magnifique sa découverte d’une vie qu’elle n’avait jamais osé envisager.

Par Bernard Cassat

Béatrice (Marina Foïs) et Mokhtar (Seear Kohi) se parle avec leur téléphone traducteur. Photo Memento Distribution

Calais, les immigrés dans la jungle, l’amour… C’est dire si le sujet de Ils sont vivants est brûlant, même si l’actualité s’en est largement détournée. D’ailleurs, la jungle a été démantelée. Mais dès le début du film, Jérémie Elkaïm trouve le ton qui évite toute minauderie. Un cercueil trop large pour le caveau, qui ne rentre pas, le discours du copain policier inaudible sous les coups de burin des ouvriers, Beatrice qui s’enfuit avec un magistral demi-tour sur une route de campagne quasi déserte. Ironie comique plus que drame plombant. Et puis le caractère de Béatrice prend le relais.

C’est une femme pour le moins rêche, toujours en colère, avec en elle une violence à peine contenue. Elle se heurte au monde. Partout. Dans son métier d’abord, aide-soignante dans un service de gériatrie où des vieilles très acariâtres la traitent de tous les noms. Dans sa vie quotidienne banale avec son fils et sa mère, où les rapports ne sont pas toujours paisibles. Dans le milieu très réactionnaire de son défunt mari, policier alcoolique et violent qui avait vingt ans de plus qu’elle. Une fête d’anniversaire chez les policiers et leurs femmes est l’occasion pour Elkaïm d’évoquer sans aucune complaisance la profondeur des peurs et la cruauté de la bienséance. Le personnage de Franck, l’ex-ami du feu mari, joué par l’excellent Jan Hammenecker, apporte tout au long du film une complexité à ce bloc policier, évitant tout cliché facile.

Une actrice qui s’investit entièrement

Marina Foïs colle absolument à ce rôle. Son visage ambivalent qui peut être dur mais aussi attendri, le ton de sa voix rauque et contenue, sa silhouette, sa nervosité, son naturel font exister ce personnage. L’entrée dans le monde de la jungle, sa réticence mais en même temps la sourde révolte contre elle même que l’actrice y met, rendent absolument crédible l’histoire qu’elle va vivre.

Petit à petit, elle découvre le monde des associations qui s’occupent des migrants, les bénévoles généreuses, les emmerdeuses et les « planches pourries », dont une représentante s’installe chez elle. Et les migrants eux-mêmes, dont les beaux Afghans, et surtout l’un d’eux, Mokhtar, avec qui elle va vivre une torride histoire d’amour. Relation silencieuse, puisque Béatrice ne parle pas anglais. La trouvaille du téléphone traducteur matérialise visuellement leurs échanges, permet à leurs deux visages de rentrer dans la même image, sur le même écran. Puis leurs corps prennent le relais.

La première séquence érotique, totalement nouvelle au cinéma, qui pourtant n’est pas avare de scène d’amour, est assez fascinante. Pudique et en même temps extrêmement osée. Aucun pathos ni amoureux, ni mièvre dans l’empathie. Béatrice ne se laisse avoir ni par la compassion, ni par le rejet critique des réacs. Elle se découvre. Son fils d’ailleurs, perdu après la mort de son père et que cette relation de sa mère avec un autre très autre perturbe, la traite de gamine pitoyable. Comme si elle revivait tout un parcours de vie.

La reconstitution de la jungle de Calais est quasi documentaire. Photo Memento Distribution

Tiré d’un récit de Béatrice Huret qui raconte son histoire dans le livre Calais, mon amour, ce film a été voulu par Marina Foïs. Elle a connu Jérémie Elkaïm sur un film précédent et lui a demandé de réaliser ce projet. On sent cet investissement de l’actrice, qui va très loin, dans les scènes physiques comme dans la puissance de jeu. Elkaïm souhaitait de « l’incarnation », comme il a dit. Marina Foïs remplit cela à merveille. Tout passe par son corps, que ce soit la lourdeur frustrante de sa vie d’avant comme la découverte de nouvelles perspectives avec d’autres gens.

Seear Kohi dans le rôle de Mokhtar a une présence à l’image impressionnante. Son rôle étant presque sans paroles, toute sa présence émane de l’image avec force. Et tous les caractères du film sont ainsi, la mère de Béatrice ou cette femme bénévole, un peu âgée et organisatrice, qui ne cesse de répéter qu’elle veut juste être au courant. On est quasi dans une scène de documentaire tant la véracité est là. La reconstitution de la jungle de Calais accentue cet aspect docu. Tout est reconstruit (la jungle n’existe plus et pour éviter tout risque, il est interdit de filmer cet endroit) avec une justesse convaincante. Le scénario peaufiné, le travail de l’image, la beauté qui surgit dans certaines séquences pourtant banales en soi (en final, la plage la nuit à la lueur des lampes tempêtes) font de ce film une très belle réussite. Le sujet pourtant très risqué évite les écueils. Un premier film maîtrisé qui fait mouche.

Ils sont vivants

Scénario : Jérémie Elkaïm, Arthur Cahn et Gilles Marchand d’après le livre de Béatrice Huret

Réalisation : Jérémie Elkaïm

Interprétation : Marina Foïs, Seear Kohi, Igor Van Dessel, Antoine Chappey, Geneviève Mnich, Jan Hammenecker

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