Carnet de campagne: Les bourreaux de Poutine

Loin, très loin des larmes de crocodiles des candidats en quête de leurs 500 parrainages, la guerre en Europe, à la distance de “quelques étapes du tour de France de Strasbourg”, bouleverse l’opinion européenne et relativise l’intérêt d’une campagne présidentielle déjà moribonde.

Par Pierre Allorant

Voter au son du tambour, une première sous la Cinquième République ?

Depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes ce 24 février, les médias relaient en boucle le fait que ce serait la première fois que nous voterions dans un contexte marqué par la guerre. C’est à moitié vrai, plutôt juste si l’on s’en tient uniquement aux élections présidentielles de la Cinquième République, même si la première fin 1958, avec le retour de De Gaulle, était directement liée à la situation dramatique et insurrectionnelle à Alger, et que la deuxième, cette fois au suffrage universel direct en 1965, était la conséquence tirée de l’attentat du Petit-Clamart, donc à nouveau des séquelles encore chaudes de l’indépendance algérienne et du « tyrannicide » projeté par l’OAS, cette extrême-droite qui a toujours détesté de Gaulle.

Si on élargit aux conflits environnants qui ne touchent pas directement l’Armée française, chacun se souvient en décembre 1981 du mot malheureux de Claude Cheysson pour la Pologne : « Naturellement, nous ne ferons rien ». Or François Mitterrand avait beaucoup joué de la faiblesse de VGE face à l’Union soviétique pour saper sa stature internationale en moquant le «petit télégraphiste» de Moscou, moquerie dont Emmanuel Macron craint sans doute la récidive. Et l’intervention russe en Afghanistan était dans toutes les têtes, l’alignement de Georges Marchais sur Brejnev achevant de décrédibiliser son jugement « globalement positif » sur le « socialisme réel ». Dès 1968, la répression brutale du printemps de Prague traumatise la gauche et contribue à sa déroute législative de juin, après la crise de mai.

La guerre, facteur décisif des changements et des crises de régime en France

Si l’on remonte le temps, l’affirmation devient encore plus incertaine. La Quatrième République enchaîne les conflits coloniaux et les bruits de botte, de l’Indochine fin 1946, au moment de son installation et de l’élection de Vincent Auriol, à son « cancer algérien », en passant par la crise de Suez en 1956 et les épisodes de la guerre froide. Ainsi la question d’une armée européenne pour faire face à la menace soviétique, avec l’échec du projet de CED (Communauté Européenne de Défense) influe-t-elle sur l’élection, au 13e tour de scrutin, de René Coty. Et dès 1947, le succès foudroyant du RPF du général de Gaulle s’appuie sur la crainte d’un déferlement de l’Armée rouge, à l’instar de l’instauration de « démocraties populaires » à l’Est du « rideau de fer ».

La « plus longue des Républiques», la Troisième, est née en 1870 d’une débâcle militaire et morte de la même cause en juillet 1940. Bien des élections générales, entendez législatives, ont été marquées par les questions de menaces internationales. La première élection à l’Assemblée constituante, le 8 février 1871, se déroule dans un climat improbable, sur fond d’occupation allemande, d’interdiction de toute réunion publique ce qui transforme le scrutin en une sorte de référendum sur la paix immédiate, au prix de la perte de l’Alsace-Moselle. La Commune de Paris qui s’insurge contre cette humiliation patriotique et contre sa décapitalisation, organise, en plein siège, des élections auxquelles seuls les convaincus participent.

Si la victoire de 1918 rend légitime la République même aux yeux de ses adversaires, les scrutins législatif et présidentiel qui suivent surprennent avec le basculement à droite d’un Bloc national dominateur au sein de la Chambre « Bleu horizon », et surtout la défaite pour l’Elysée du « Père la Victoire », Clemenceau, coup de tonnerre que le Royaume-Uni connaîtra un quart de siècle plus tard avec Churchill.

En avril 1939, une élection présidentielle doit se tenir, alors que les bruits de botte, de Barcelone à Dantzig et Prague, se font assourdissants, six mois après le « lâche soulagement » des accords de Munich qui ont permis à Hitler de dépecer la Tchécoslovaquie. Alors que le sortant Albert Lebrun a souvent été moqué, et que d’autres prétendants sont évoqués et pressentis – Jeanneney et Herriot, les présidents d’assemblées, Daladier et même l’Orléanais Maurice Roy – l’union nationale est anticipée face à l’imminence du danger pour reconduire le sortant.

Une campagne entre chien et loups

Loin des polémiques picrocholines sur le chien électeur au congrès LR ou la réalité des pneus usés du véhicule de Fabien Roussel, l’assistant parlementaire nomade, la campagne électorale actuelle sera incontestablement lancée quand Emmanuel Macron, contraint par le calendrier légal, devra s’y plonger. Mais elle ne saurait se dérouler normalement, tant la menace sanitaire amorce à peine sa décrue, remplacée par l’insécurité internationale. Il est peu probable de voir en 2022 les meetings géants dont Bygmalion avait le secret – surtout financier.

Restent réseaux sociaux et médias audiovisuels, avec les fortes interrogations sur leur indépendance financière et politique et leurs dérives privilégiant les paroles outrancières. Si le président sortant évite de se confronter en débat à sa douzaine de challengers, le premier tour du 10 avril s’annonce particulièrement imprévisible. La fragilisation de la candidate de droite n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie, pas plus que la disparition des radars de la gauche. Ajoutez à cela la perte de crédibilité des candidats « pro-russes », aveugles et prônant l’apaisement un Kremlin dont ils admirent avec la brutalité, le tableau n’est guère reluisant. L’irruption du tragique, des morts et des réfugiés aura-t-il un impact sur les résultats ? Personne ne peut le prétendre aujourd’hui, et ce n’est vraiment pas l’essentiel. Espérons que la « drôle de campagne » permettra au moins de poser les enjeux du retour à la souveraineté française et européenne, des vaccins à la défense en passant par la relocalisation des activités, avec à un horizon désormais atteignable le plein emploi.

Retour à Jean Zay et Récidive

En ce moment de bascule, comment ne pas penser au magnifique documentaire Les bourreaux de Staline. Katyn, 1940 dans lequel Cédric Tourbe revient sur le massacre, ordonné par Staline et nié durant un demi-siècle, de milliers d’officiers polonais, dans le but de liquider les élites, et donc les capacités de résistance d’un Etat-nation polonais ?

Vendredi soir prochain, au cinéma des Carmes à Orléans, le jury étudiant composé des étudiants de la Prépa Talents ENM (Ecole Nationale de la Magistrature) remettra le prix étudiant Jean Zay du festival Récidive 2021 aux Bourreaux de Staline, comme ils ont plébiscité dans la catégorie film Le Dictateur de Charlie Chaplin. Les deux facettes du tragique, la paranoïa des tyrans et les souffrances imposées aux civils.

« Résistant de la veille », antimunichois convaincu, Jean Zay, qui adorait et le cinéma et le génie de Chaplin, voit son projet de festival de Cannes annulé suite à la signature le 23 août 1939 du pacte germano-soviétique et à la mobilisation. Jean Zay qui renonce à son statut de ministre et de parlementaire pour suivre le sort de la jeunesse mobilisée, et qui se retrouve dans les geôles de Vichy ; il y écrit à son épouse Madeleine son rêve de racheter le plus beau cinéma d’Orléans à la Libération. Si Cannes 39 n’a pas eu lieu, la guerre de trop en Europe a commencé, avec son sinistre cortège des bourreaux du nostalgique du KGB et de la prison des peuples. Moment opportun pour lancer une action de solidarité avec les étudiants ukrainiens chassés de leurs pays par les bombes, pour les accueillir dans nos universités. Au nom du droit international et de la fraternité universelle.

Pour conjurer toute récidive.

Commentaires

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  1. Une leçon à tirer de cette situation où un dirigeant peut se comporter d’une façon pour le moins déséquilibrée c’est qu’il devient urgent”là bas comme ici et ailleurs” de sortir de cette structure de gestion politique qualifiée de “démocratie parlementaire” (eh oui Mr Poutine a été élu et la Russie fonctionne avec un parlement tout comme bien d’autres “démocratures”) en inventant une façon de gérer la vie en société sur une planète en danger où les désirs de pouvoir et d’argent deviendront des objets d’étude pour les historiens et ne seront plus d’actualité.
    Et avant de qualifier ce qui précède d’utopie, de rêverie anarchiste ( an: privé de, arkos: pouvoir-autorité mais pas d’ordre, de lois) n’est-il pas temps de reconnaitre que nous ne vivons pas et n’avons jamais vécu dans une structure démocratique c’est à dire où le démos: une population exerce son autorité sur un territoire sinon dans de “petites” structures vite détruites par des empires ( essentiellement européens).

  2. L’invasion de la Tchécoslovaquie par les armées du Pacte de Varsovie a eu lieu la nuit du mardi 20 au mercredi 21 août, les élections législatives en France pendant le printemps de Prague. Aussi je ne comprends pas l’affirmation selon laquelle “Dès 1968, la répression brutale du printemps de Prague traumatise la gauche et contribue à sa déroute législative de juin, après la crise de mai.”

  3. c’est Henri Roy et non Maurice Roy qui avait été “pressenti” pour succéder à Albert Lebrun en 1939

    • exact et selon wikkipédia, il vota les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en juillet de l’année d’après

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