L’été nucléaire : Gaël Lépingle revient sur son enfance

Gaël Lépingle est documentariste, cinéaste et metteur en scène, notamment à la Fabrique Opéra, dont nous reparlerons. Son dernier film pose la question de l’accident nucléaire : qu’est ce qui se passerait si… En amont de l’avant première au cinéma des Carmes, Magcentre a voulu rencontrer cet enfant du pays qui a grandi avec à l’horizon des tours de St Laurent des Eaux.

Propos recueillis par Bernard Cassat

Gaël Lépingle. Photo Alain Mauron

L’histoire du film, L’été nucléaire, c’est quoi ?

Gaël Lépingle : Un groupe de jeunes gens se retrouvent confinés dans une maison à la campagne alors qu’ils auraient dû évacuer parce qu’il y a un incident nucléaire et que toute la zone est contaminée. Confinement poussé : ils doivent sortir dehors avec des masques. Le film a pourtant a été tourné fin 2019, donc avant le confinement. Mais ça se recoupe avec l’actualité. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le distributeur (Le Pacte) a un peu retardé la sortie. Est ce que les gens ont envie de revivre les angoisses dont on commence à peine à sortir ?

Pourquoi choisir un tel sujet ?

G.L. : Etant orléanais, pas de naissance mais d’enfance, j’ai souvenir des deux incidents de St Laurent des Eaux, qui étaient très importants. Et je me souviens de l’inquiétude des adultes et du fait que c’était étrange. Comme j’habitais plutôt du coté ouest de l’agglo orléanaise, on pouvait apercevoir le panache de fumée des tours de refroidissement. Cette chose qui fabrique le paysage, qui fabrique de l’électricité et qui permet à l’existence matérielle de fonctionner, cette chose pouvait potentiellement être dangereuse, voire dramatique. Et ça, pour un enfant ou un ado, c’était une question, peut-être pas une prise de conscience, mais une question qui m’est restée. Je me souviens de soirées, de fêtes qu’on faisait chez une amie quasi au pied de la centrale. C’est quand même étonnant… J’ai continué à me demander : mais qu’est ce qui se passerait si… ? Et ce n’était pas une question intellectuelle ou militante, mais une question très concrète.

Donc à un moment donné, je me suis dit que j’en ferais bien un film. Je me suis renseigné. En allant sur les sites du Ministère de l’intérieur, etc., j’ai contacté quelqu’un à l’IRSN, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui a accepté de m’accompagner dans le processus, la réflexion avant l’écriture du projet.

Les jeunes gens confrontés à l’angoisse de l’accident nucléaire

Pourquoi ne pas tourner vers St Laurent, sur les lieux même de vos souvenirs ?

G.L. : J’aurais bien voulu. Mais il n’y a plus d’aide pour les films de fiction en Région Centre. Donc j’ai cherché un endroit où on pourrait retrouver cette géographie. Et je l’ai trouvé dans le Grand Est. On a ces zones agricoles de monoculture avec des champs à perte de vue. C’est plus vallonné que la Beauce, mais on a cette même impression de désert, ou d’océan, selon la saison. Et j’ai pu être aidé par la Région Grand Est. C’est la centrale de Nogent sur Seine. On retrouve la même plastique. Je voulais repartir de cela, de cette impression sensible que dégagent ces deux grandes tours de refroidissement au milieu d’un paysage quasi désert. Le Grand Est l’est encore plus que la Beauce. On peut parcourir des kilomètres sans trouver d’habitation. Donc ça rendait aussi le scénario crédible. Mes cinq jeunes gens ont un accident de voiture, ils ne peuvent pas évacuer. Et effectivement, il n’y a rien autour. On est en France, mais ça fait un peu américain. D’abord par le côté film d’anticipation, ou film de genre, mais aussi par l’immensité du paysage.

Mais est-on dans un film catastrophe ?

G.L. : Il y a un petit coté film catastrophe, mais très épuré. Dans la maison, au moment ou ils essayent de sortir, par exemple. Mais ce qui m’intéresse, c’est ce que ça déclenche chez eux, et comment ça reconfigure leurs rapports. Ce sont des amis d’enfance, ils ont une vingtaine d’années, et ils sont justement en train de se quitter les uns les autres, et d’élaborer des projets de vie. Je trouvais intéressant d’isoler des jeunes gens confrontés à une catastrophe qui va influencer toute leur vie. C’est l’âge par excellence où on se lance dans la vie. Et qu’est ce qui se passe lorsqu’un tel événement vous fait reformuler vos projets.

Dans les discussions qu’il y a eu après les avants-premières et les festivals, les gens me parlaient énormément de la covid, parce qu’on est dans le même type de question. On ne peut plus se projeter de la même manière. Il y a quelque chose qui a été cassé dans l’évidence des projets de vie. Alors la question de l’actu, on me la pose tout le temps. Mais on a été confronté à des choses étonnantes. Le deuxième jour de tournage, il y a eu l’incendie de Lubrisol à Rouen. Donc on a senti qu’on était sur un terrain ou la réalité peut rattraper la fiction. Tout en sachant qu’on est dans un film réaliste. Réalisme psychologique aussi. On n’est pas dans un survival movie. Ça non, ça ne m’intéressait pas. Je viens du documentaire, donc je voulais vraiment garder ma question de départ. J’ai plutôt opté pour des comportements solidaires. Il y a des angoisses, il y a des crises, la tension monte entre eux, mais j’ai fait le pari d’une solidarité, de gestes de soins, d’affection entre ces trois garçons et ces deux filles.

Le film est présenté aux Carmes par les Folies Françoises. Quel est le lien ?

G.L. : C’est une carte blanche des Carmes, avec un débat qui aura lieu plus spécifiquement sur la musique. Ça se justifie tellement ! Parce qu’on a fait un choix assez original avec le compositeur Thibaut Vuillermet. On commence avec une musique plutôt électronique, dans l’air du temps, et on va ensuite vers une musique symphonique. Avec des thèmes amples qui tirent le film vers une dimension romanesque. C’est ça qui m’intéressait beaucoup, parce que, quand je parlais des rêves ou des projets brisés, le romanesque du film est là. Et on a beaucoup travaillé ça avec Thibaut. Il y a une musique très présente qui est un vrai personnage dans le film.

L’été nucléaire

Réalisateur : Gaël Lépingle

Scénario : Gaël Lépingle, Pierre Chosson, Agnès Feuvre

Interprétation : Shaïn Boumedine, Carmen Kassovitz, Théo Augier, Constantin Vidal, Manon Valentin

Directeur photo : Simon Beaufils

Musique : Thibaut Vuillermet

Avant première au cinéma Les Carmes dimanche 13 mars à 18h

Carte blanche des Folies Françoises, en présence de Gaël Lépingle et Thibaut Vuillermet

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