Président des villes, rejet des champs

Dès 2017, Emmanuel Macron s’est attiré, avec la suppression de l’ISF, le reproche de n’être que le « Président des riches ». La fracturation sociale et territoriale de la France qui émerge du double scrutin présidentiel des 10 et 24 avril le fait apparaître comme le Président des villes, singulièrement des 22 métropoles, alors que son rejet prospère dans les villages et petites bourgades. Combinée au clivage des niveaux de formation, du dynamisme des régions et des générations, cette opposition territoriale aggrave la difficulté à réconcilier les France, à faire à nouveau nation. Or l’ambition écologique, nécessaire et louable, est précisément la thématique qui avait enflammé périphéries et ronds-points avec la taxe carbone. Réélu avec le score de Georges Pompidou en 1969 (plus de 58%), Emmanuel Macron peut-il trancher le « nœud gordien » qui entrave l’épanouissement des Français et les attache au joug d’une morosité et d’un pessimisme exceptionnels en Europe ?

Par Pierre Allorant

Pompidou, année 1969 : retour aux « Jours heureux » ou Nœud gordien ?

À l’instar du président sortant, Georges Pompidou avait eu à affronter la haute mer avec les trois crises estudiantine, sociale et institutionnelle de mai-juin 1968, mais à l’avant-poste de Matignon. Remercié par le général de Gaulle à l’issue d’un raz-de-marée législatif, meurtri par les ignobles rumeurs colportées sur son épouse par les sicaires des officines gaullistes lors de l’affaire Markovic, le fin lettré de Montboudif n’avait rien pardonné, rien oublié et tel Montecristo, avait pris sa revanche en remportant haut la main, mais sur fond d’abstention et d’indifférence d’une gauche à terre, la présidentielle qui suivit la démission du général. La situation est très différente, bien sûr, et Marine Le Pen a peu en commun avec le peu farouche centriste Alain Poher, président du Sénat et européen convaincu.

Toutefois, l’accusation qui tournait déjà en boucle hier d’être « le Président le plus mal élu de la Cinquième République » tient davantage de la fake news que de l’analyse sérieuse, sauf à considérer, avec mauvaise foi, que le 3e du premier tour serait alors le pire serial looser de l’histoire électorale française, au regard de la faible participation, ou Marine Le Pen la pire perdante depuis son père, phraséologie désormais zemmourienne. Quoi que l’on pense du bilan du quinquennat refermé dimanche, et en gardant bien à l’esprit que les électeurs de gauche, écologistes et de droite n’ont pas donné quitus ni signé un chèque en blanc à Emmanuel Macron, le niveau atteint par le sortant est bien plus élevé que tous les observateurs ne l’escomptaient au lendemain du 10 avril. Mais cet incontestable succès, y compris personnel, laisse à découvert une société fissurée de failles cumulatives : le retour aux deux RN du Nord et du Sud opposée à la France de l’Ouest, les fractures générationnelles entre retraités et jeunes, déjà perceptibles dans les tensions de la crise Covid, le niveau de diplôme séparant les cadres plutôt optimistes sur l’avenir, des ouvriers, des employés et des précaires, désabusés, inquiets pour leurs enfants.

Les oppositions éclatées : l’improbable « Tiers-état » et le national-rabougrisme

Si le « front républicain » contre la menace d’extrême droite ne fonctionne plus mécaniquement, les électeurs de Jadot, Hidalgo et Pécresse ont massivement reporté leur suffrage au second tour sur Macron, ainsi que les soutiens stratèges de Mélenchon, ceux qui, par espoir d’échapper au déprimant face-à-face de 2017, avaient imposé l’union sans plébisciter ni la personne ni le programme de l’Insoumis. Or le score de 22% est un sévère obstacle à toute union à gauche pour les législatives, s’il sert de base de négociation avec des Verts à 4 % et des communistes et des socialistes autour de 2 %. Qui accepterait que le bloc cornaqué par le premier ministre autoproclamé, le nouveau Sieyès de l’improbable Tiers-Etat, présente les 3/4 ou même les 2/3 de candidats LFI ? Si échec il y a, la dispersion des candidatures aboutira cependant à l’éradication de la représentation de la gauche à l’Assemblée nationale : le seuil des 12,5% des inscrits pour se maintenir au second tour éliminera systématiquement ses candidats multiples dans un contexte peu favorable à la participation électorale.

Le péril est également grand à droite et à l’extrême droite. Après la déclaration de guerre de Zemmour à la dynastie perdante des Le Pen, un « Embrassons-nous, Folleville ! » serait peu crédible. Or le financement du jeune parti Reconquête ! pousse à des candidatures dans toutes les circonscriptions, division mortifère pour le national-rabougrisme. Chez les Républicains, le souci est différent, la clarification de la ligne politique ne pourra plus attendre, d’autant que la composition d’un nouveau gouvernement pourrait séduire certains parlementaires lassés de la litanie décennale des échecs aux présidentielles depuis 2012. Qui héritera du bateau ivre, ou plutôt de la demi-barcasse ballotée entre la tentation identitaire et le ralliement à Edouard Philippe ? L’avenir de cette formation, riche d’élus locaux et de collectivités territoriales, est cette fois posé.

Le Val de Loire contre le Centre ? Métropoles et chefs-lieux isolés des ruralités

Le Centre-Val de Loire n’échappe pas à la règle, avec de fortes nuances qui reflètent toute la palette des territoires hexagonaux. Si les six départements ont porté Emmanuel Macron en tête, c’est le grand écart entre l’Indre rurale divisée en deux blocs comparables, et la Touraine où, en dépit d’une percée inédite, le lepénisme atteint un gros tiers des voix. Le curseur varie en fonction du degré d’urbanisation des départements et à l’intérieur de leur cadre, des arrondissements. Les aires urbaines d’Orléans et de Tours se ressemblent de plus en plus, et s’écartent des arrondissements périphériques, à l’exception de leurs oasis d’urbanité.

Les villes-centres des métropoles d’Orléans et de Tours, à l’instar des 20 autres, ont rejeté la candidate d’extrême droite pour voter à près des trois quarts, gauche, droite et centre confondus, pour préserver l’image républicaine de la France en Europe. Les chefs-lieux de département et d’arrondissement suivent, un cran en-dessus, de même que les communes membres des deux métropoles, des bastions traditionnels de gauche (Saint-Jean-de-la-Ruelle, Saint-Pierre des Corps) aux banlieues aisées (Combleux, Olivet).

Franchir l’obstacle des législatives : confirmation ou ancrage ?

Pour l’heure, chacun regarde du côté de la Lanterne, non pour y pendre les aristocrates, même si la mesure pourrait plaire aux Gilets jaunes, mais pour guetter la fumée blanche de la nomination d’une ou d’un chef de gouvernement répondant aux immenses attentes d’un pays divisé. L’expéditif discours présidentiel du Champ de Mars trace peu de pistes en-dehors de l’ambition affichée d’une « Europe, Ecologie, Ligne Verte », la perspective d’une « Grande nation écologique. Ce cap du quinquennat est-il compatible avec la mise en place immédiate d’un gouvernement de combat pour franchir l’obstacle des 12 et 19 juin. Loin des débauchages individuels, le nouveau dispositif exécutif devra aller au-delà du casting pour tracer les axes forts d’un contrat de législature.

L’autre difficulté réside dans la nature hybride du scrutin législatif uninominal – jusqu’à l’éventuel passage au scrutin de liste à représentation proportionnelle – à la fois consultation nationale décisive pour la conduite des affaires du pays, et ancrée dans une circonscription, avec l’impact de fortes personnalités locales, principalement au sein des partis de gouvernement d’hier. Avec la barre sélective des 12,5 % d’inscrits pour se maintenir au second tour, le risque est grand de voir disparaître de la carte et de l’enceinte de l’Assemblée nationale des pans entiers du paysage politique. Outre le niveau de la participation, la volonté des électeurs de donner les moyens au Président réélu de gouverner, ou à l’inverse le désir de revanche nourri par les frustrations présidentielles déterminera la configuration politique des cinq années à venir. Avec à l’esprit qu’en 2027, il n’y aura plus ni sortant, ni droit à l’erreur.

L’efficacité de l’action publique, la lutte contre les fractures sociales et territoriales françaises, la réconciliation des citoyens avec leurs élus c’est maintenant ou jamais.

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