CDN d’Orléans : Entretien avec Stéphane Braunschweig, Directeur de l’Odéon

Présent à Orléans afin de présenter au public, « Comme tu me veux » de Luigi Pirandello, le Directeur de l’Odéon et premier Directeur du Centre Dramatique National d’Orléans de 1993 à 1998, a accordé une interview exclusive à MagCentre.

Propos recueilli par Bernard Thinat

MagCentre : C’est Jack Lang qui vous a nommé à Orléans en 1993. Quels sont vos principaux souvenirs de votre passage à Orléans en tant que premier Directeur du CDN ?

St. B : Beaucoup de souvenirs en effet. J’ai pris la direction de ce Centre Dramatique effectivement en 1993, mais le CDN était en préfiguration l’année précédente en 92, et mon premier spectacle, je l’ai mené dans le cadre de cette préfiguration gérée alors par le Directeur de la Scène Nationale qui était à l’époque Claude Malric. J’ai donc créé alors « la Cerisaie » de Tchekhov. Ce fut le premier spectacle que j’ai monté à Orléans. J’avais 28 ans.

Stéphane Braunschweig

MagCentre : Les années se sont alors enchaînées…

St. B : J’ai fait des créations tous les ans. Ensuite, j’ai monté « Le Conte d’hiver » de Shakespeare, qui a été un spectacle assez marquant, en ce sens qu’il a été un grand succès, c’est peut-être le plus important de cette période orléanaise. Puis « Docteur Faustus » d’après Thomas Mann, Amphitryon de Kleist que j’avais créé à Avignon, mais qui a inauguré la salle Jean-Louis Barrault. On répétait alors que des ouvriers donnaient des coups de marteau, c’était un peu épique. Ensuite, il y a eu Franziska de Frank Wedekind, puis un petit spectacle sur Kleist qui s’appelait « Paradis verrouillé »  qu’on a joué dans la salle Vitez. Et un très grand spectacle qui était « Peer Gynt » d’Henrik Ibsen. Puis un opéra contemporain que j’avais créé au Festival musical de Strasbourg qu’on a joué ici à Orléans et qui s’appelait « la Rose d’Ariane ». Après, j’avais créé un spectacle au Festival d’Edimbourg, « Mesure pour mesure » en anglais, qu’on a présenté également ici. Et mon dernier spectacle au CDN d’Orléans avant que je parte fut « Dans la jungle des villes » de Bertolt Brecht, avec un grand acteur qui nous a quittés depuis quelque temps qui s’appelait Philippe Clévenot. J’ai donc fait deux mandats de trois ans avec beaucoup de spectacles, puis je suis reparti.

MagCentre : Vers l’Alsace donc…

St. B : Pas directement ! Je suis resté en Compagnie durant un an et demi avant de rejoindre le Théâtre National de Strasbourg où je suis resté de 2000 à 2008 et où j’ai monté « Vêtir ceux qui sont nus » de Pirandello que nous avons présenté à Orléans, c’était en 2006. Puis je suis revenu à Orléans en 2012 avec « Six personnages en quête d’auteur », toujours de Pirandello que j’avais créé en Avignon. C’était pour la saison des 20 ans du CDN ! Et là, c’est la saison des 30 ans en fait !

MagCentre : Venons-en à Pirandello. Qu’est-ce qui vous attire dans son théâtre ?

St. B : Beaucoup de choses ! D’abord, j’ai une sorte de tropisme familial, ma mère est d’origine sicilienne comme Pirandello, une attirance familiale pour laquelle je suis sensible à cette culture-là. Je suis très attiré, fasciné, par le théâtre de Pirandello, j’y suis venu relativement tard, pas avant 2006. C’est un auteur que je trouve passionnant parce qu’il nous interroge beaucoup sur le théâtre comme métaphore de l’existence, avec ces questions des rôles qu’on joue, des identités qu’on s’invente, comment l’imaginaire peut servir à nous situer en dehors du réel. Ce sont beaucoup de thèmes qui, lorsqu’on fait du théâtre, nous touchent directement. Et c’est un grand théâtre pour les acteurs. Mais il faut des grands acteurs pour le jouer.

MagCentre : Vous travaillez depuis longtemps, je crois, avec Claude Duparfait, qu’à titre personnel, je considère comme un des meilleurs acteurs français ? Il vous a accompagné dans beaucoup de vos créations, à Orléans, à Strasbourg, à la Colline, maintenant à l’Odéon.

St. B : Oui, le premier spectacle qu’on a fait ensemble, c’était « la Cerisaie » en 92. Mais je le connaissais déjà avant puisqu’on était ensemble à l’école d’Antoine Vitez, à Chaillot. Je l’ai connu en 87. Il fait partie de cette famille, celle du théâtre, qui se compose, qui se décompose. Il y a des gens qui sont là depuis presque toujours.

MagCentre : Vous avez toujours eu un faible pour les auteurs du théâtre classique : il y a aujourd’hui une certaine mode avec l’adaptation de romans. Cela ne vous a jamais tenté ?

St. B : Pas tellement ! Au théâtre, je me considère comme un interprète, je transmets des textes, je les fais vivre. D’une certaine manière, quand on prend un texte classique, la représentation élargit le texte. Par rapport à un roman, un texte de théâtre est assez succinct, ça se lit en deux heures. Pour un roman, il faut un peu plus que ça en général. Là, quand on adapte un roman, on va réduire le roman, la représentation d’un texte théâtral va élargir la pièce. Mon imaginaire et mon travail d’interprète se nourrissent mieux d’un texte de théâtre que je perçois comme une sorte de dessin où je vais faire mon chemin, mon enquête, développer des pistes. Adapter un roman, je ne saurais pas faire ! J’admire énormément les gens qui le font. Quand je vois le travail que fait Séverine Chavrier sur « la Plâtrière » (1) de Thomas Bernard, je trouve cela vraiment admirable, ou les spectacles de Krystian Lupa (2) dont elle est elle-même une grande admiratrice, je trouve cela admirable. Mais je ne saurais pas faire…

MagCentre : Et que pensez-vous de l’utilisation de faits divers, comme le metteur en scène Milo Rau, qu’on a vu ici il y a quelques années avec « Five easy Pieces » évoquant l’affaire Dutroux ?

St. B : C’est encore autre chose. C’est un théâtre plus documentaire. Moi, mon point de départ est un auteur, j’ai besoin d’un auteur et la possibilité d’entrer dans un dialogue imaginaire avec un auteur, avec un univers fictionnel. Là aussi, j’admire effectivement le travail de Milo Rau, mais je ne saurais pas faire. Ce n’est pas qu’une question de mode, c’est de savoir où notre art travaille le mieux, en fait.

MagCentre : Je trouve qu’on assiste depuis déjà pas mal de temps à un glissement de la culture qui interroge le spectateur, qui lui permet de réfléchir sur le monde à défaut de le changer, vers les spectacles de divertissement. On le voit par exemple à la télé ou dans le OFF en Avignon avec tous les one man shows. Qu’en pensez-vous ?

St. B : Je pense que dans ce contexte post pandémie, les gens ont besoin de divertissement, il y a une demande de rêves, de spectacles, de plaisirs. Après, le théâtre que je fais est exigeant, il est rigoureux, mais il donne du plaisir aux spectateurs. Dans une pièce de Pirandello, il y a une sorte de jubilation théâtrale, avec les acteurs, avec la construction théâtrale, avec la langue. Pour moi, le plaisir n’est pas antinomique avec un théâtre d’art. Ceci dit, je dirige l’Odéon et je fais une programmation à l’Odéon qui n’est pas celle du divertissement. On est plutôt bien rempli et cela se passe plutôt bien.

MagCentre : L’Odéon est en bonne santé, malgré la pandémie ?

St. B : Oui, on a eu deux années difficiles. Pendant toute cette période, l’État nous a aidés. La situation financière, pour nous, est aujourd’hui saine.

MagCentre : Quelques mots sur Avignon ? Vous avez des projets ? Tiago Rodrigues (3) vous a fait signe ?

St. B : Non. Je connais bien Tiago, mais je n’ai pas de projet. Je suis allé rarement à Avignon, ce n’est jamais facile de créer à Avignon parce qu’on est obligé de répéter les spectacles en peu de jours sur les lieux de création. Ce n’est pas ce que j’affectionne le plus. J’aime bien avoir 3 ou 4 semaines sur scène pour fignoler mon travail. Maintenant, si Tiago a envie de faire quelque chose avec moi, je serai à l’écoute.

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(1) Séverine Chavrier, actuelle Directrice du CDN d’Orléans, a mis en scène à l’Odéon « Ils nous ont oubliés » en avril dernier, spectacle qu’on verra au CDN d’Orléans en 2023

(2) Metteur en scène polonais

(3) Nouveau Directeur du Festival d’Avignon à partir de 2023

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