Mis et Thiennot, une vie de combat

“Ils étaient huit chasseurs”. Cela commence comme une chanson paillarde ou un roman d’Agatha Christie, et pourtant… C’est une autre chanson, d’autres ouvrages, qui ont été écrits, chantés, pour Raymond Mis et Gabriel Thiennot. Dernier en date, le livre de Léandre Boizeau retrace 42 ans de lutte pour modifier la loi et permettre l’ouverture d’une nouvelle, et possible ultime, requête en révision.

Par Fabrice Simoes

Ils avaient 20 ans et leurs aveux avaient été arrachés par la force. DR

C’est deux-là, Raymond Mis et Gabriel Thiennot, étaient au mauvais endroit et au mauvais moment. Pour ne rien arranger, ils ne cochaient pas les bonnes cases de la société. “Ils étaient huit chasseurs”, c’est l’histoire de la plus grande erreur judiciaire en Berry pour beaucoup de spécialistes du sujet. C’est l’histoire de l’un des grands dénis de justice produit par la magistrature française, pour tous les observateurs.

L’histoire débute un jour de décembre 1946, en Brenne. Elle court toujours. La fin n’est pas écrite, pas encore. Voilà quelques jours, une 7e demande de révision du procès de Raymond et Gabriel a été déposée. Les deux, toujours coupables, ne sont plus là. Le premier est décédé en 2009, le second en 2003. En 1946, ils avaient 20 ans et l’avenir de ceux de la campagne brennouse. Pas plus, pas moins. L’un était issu d’une importante fratrie et affichait ses idées politiques. L’autre avait des origines polonaises… un étranger en quelque sorte. Ce 26 décembre 1946, on avait retrouvé le corps sans vie du garde de chasse de la propriété Lebauby, du nom d’un riche industriel – il possédait sur site 23 fermes.

Leandre Boizeau raconte son combat pour les mémoires de Raymond Mis et Gabriel Thiennot .DR

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ce pouvait en être un de ses derniers soubresauts, comme il y en eut à l’époque. Ce pouvait être aussi une affaire de lutte de classe… Évidement il fallait un coupable, vite, le plus vite possible. Les gendarmes en avaient huit sous le coude. “Ils étaient huit chasseurs”, il suffisait de choisir le, les bons. Ce seront Raymond et Gabriel. Ne manquait plus que des aveux. Huit jours entre les mains de spécialistes, en Brenne comme ailleurs, on avoue tout ce que l’on veut !

A Mézières on s’est calfeutré chez soi, pendant cette même semaine, pour ne plus entendre les cris et les hurlements de douleur. Les « huit chasseurs » ont finalement été condamnés à de la prison ferme : Raymond et Gabriel en ont pris pour 15 ans, et les autres chasseurs, considérés comme complices, entre 18 mois et deux ans. Pourtant, tous avaient expliqué que les aveux avaient été extorqués sous la torture… Mis et Thiennot ont bénéficié de la grâce présidentielle de Raymond Coty – ils ne feront « que » la moitié de leur peine – tous n‘ont jamais cessé de clamer leur innocence. D’ailleurs la décision ne vaut pas annulation de leur condamnation.

7e demande de révision pour Mis et Thiennot

Léandre Boizeau fait partie de ces inconditionnels défenseurs des « huit chasseurs ». Il fait partie, depuis sa fondation en 1980, du comité de soutien qui a jusqu’à maintenant déposé 6 requêtes de révision du procès. Toutes ont été rejetées mais une 7e, la bonne c’est certain, vient d’être déposée. Cette dernière demande fait suite à un amendement à l’article 622 qui prévoit que « les aveux obtenus par la violence justifient une requête en révision ». Cette procédure ne peut s’appliquer qu‘aux affaires qui se sont déroulées avant que la garde à vue ne soit réglementée, en 1960…

L’affaire Mis et Thiennot entre parfaitement dans les clous et c’est bien normal : c’est Léandre Boizeau qui l’a plus que souffler à l’oreille des législateurs. Un premier essai, en 2016, avait échoué devant la commission des lois, « par dix voix contre neuf après intervention du ministre pour des raisons que l’on ne comprend pas ». En février 2021, il refait une tentative et fait parvenir au ministre de la Justice, juste après que ce dernier a visité la centrale de Saint-Maur, près de Châteauroux, un texte très argumenté. Dans son courrier il expliquait aussi qu’« il ne fallait ajouter que 12 mots à l’article 622 » et que, dans l’Indre, « 25 communes ont donné le nom Mis et Thiennot, victimes d’une grave erreur judiciaire à un lieu public, rue, pont, place, et dont l’inauguration a parfois eu lieu en présence du sous-préfet, du capitaine de gendarmerie … »

C’est plus ce parcours de 42 ans avant que la loi ne change que le créateur des éditions La Bouinotte vient de relater à travers un livre paru voilà quelques jours : Mis et Thiennot une vie de combat. Un dernier opus espère-t-il…

Commentaires

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  1. Accepter pour le ministre (qui qu’il-elle soit) que la justice puisse conclure qu’effectivement c’est par l’usage de la torture que ces hommes devinrent des criminels avouant des crimes qu’ils n’avaient pas commis serait reconnaître qu’a cette époque des fonctionnaires dépendant du Ministère de l’Intérieur pouvaient se comporter d’une façon extrêmement brutale et que donc les accusations actuelles de brutalités policières méritent aussi que la justice se fasse en toute sérénité sans violence, et sans coercition politique .

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