Législatives: l’Affront républicain

Décidément, les campagnes électorales de 2022 n’auront pas gâté les électeurs ni stimulé l’intelligence des citoyens. À croire que la seule campagne qui vaille aujourd’hui soit celle menée par les armes sur le vrai front démocratique européen, celui de l’Ukraine envahie.

Par Pierre Allorand

Assemblée Nationale

Partie de campagne

En une sorte de parallélisme de temps de conflit, la sauvagerie internationale trouve une traduction édulcorée dans la brutalisation du vocabulaire et des postures politiques en France. Alors que le Rassemblement national, qui n’a pratiquement pas fait campagne et a déjà reconnu la légitimité d’une majorité parlementaire conforme au verdict présidentiel, progresse dangereusement à bas bruit, y compris en « terre inconnue » – la Bretagne, l’Aquitaine, la Touraine… – les deux autres blocs antagonistes n’ont rien de trouvé de mieux que de se jeter à la figure le soupçon de dévoiement du caractère « républicain » de leurs idées, rejetant aux oubliettes le « front républicain », ce cordon sanitaire qui isolait autrefois le pestiféré Le Pen, rescapé de tous les combats perdus contre « l’anti-France », de l’affaire Dreyfus à l’Algérie française. Mais d’où vient donc ce « front républicain » qui agonise devant nous ?

Front, bloc, rassemblement. Se mobiliser contre

En politique comme dans les relations internationales, il est souvent plus aisé de se mobiliser « contre » que « pour », de diaboliser l’adversaire pour ressouder son camp, ses militants, plutôt que de se définir clairement et d’expliquer aux citoyens quel projet et quelle démarche on suivra s’ils vous portent au pouvoir. En France, la République s’est bâtie immédiatement, dès 1792, contre les nobles émigrés et les puissances monarchiques européennes coalisées. « La Patrie en danger », le « Salut public », « la liberté ou la mort », toutes ces expressions profondément ancrées dans l’histoire et le récit républicains témoignent de l’âpreté d’une lutte en milieu hostile, poursuivie tout au long du 19e siècle, jusqu’au triomphe tardif de l’idée républicaine et des institutions de la République parlementaire en 1879 avec la victoire définitive de Gambetta sur Mac Mahon. Ces circonstances ont durablement installé une logomachie, une guerre civile froide par les mots et une déconsidération de l’adversaire électoral, considéré comme illégitime : d’abord la droite cléricale et monarchique, puis la droite populiste bonapartiste ou boulangiste, mais aussi l’extrême gauche internationaliste, anarchiste puis communiste à compter de 1920. Ainsi les élections n’ont pas eu uniquement comme fonction d’arbitrer entre des programmes politiques à mettre en œuvre, mais à trancher sur des « choix de sociétés », expression encore très usitée en 1972 à 1981, de la signature du programme commun de gouvernement de la gauche à l’alternance. Pour conjurer le danger ressenti et contrer la menace sur la survie du régime, s’est constitué un « Bloc des gauches » de défense républicaine contre les antidreyfusards de 1899 à 1906, puis un « Bloc national » antibolchévique en 1919, un « Cartel des gauches » en 1924, un « Rassemblement populaire » contre le fascisme et la violence des ligues antiparlementaires en 1934, porté au pouvoir en mai 1936 sous l’appellation de « Front populaire ».

Front contre front

Le « Front républicain » a été inventé en janvier 1956 par la plume de Jean-Jacques Servan-Schreiber, pour contrer médiatiquement la dissolution opérée par le président du conseil Edgar Faure – un 2 décembre ! – et orchestrer à partir du QG de L’Express la campagne de la gauche non-communiste, autour de Pierre Mendès France, des socialistes de Guy Mollet et de l’UDSR de François Mitterrand, avec pour perspective la paix en Algérie…

Le 30 mai 1968, à fronts renversés, c’est le gaullisme menacé par la triple crise estudiantine, sociale et de régime qui organise, à travers la manifestation monstre des Champs-Élysées, la défense de la République, entendez la Cinquième, contre la menace de « chienlit ».

Depuis la résurgence de l’extrême droite en 1984 à Dreux, le Front national a suscité en réaction la formation prophylactique d’un barrage des partis de gouvernement. Toutefois, les fuites d’eau ont toujours menacé son imperméabilité, singulièrement en 1998 lorsque les élections régionales ont abouti à l’élection temporaire de présidents de droite élus avec le soutien de conseillers frontistes en Bourgogne, Centre, Languedoc-Roussillon et Picardie. Cependant, en pleine cohabitation, Chirac tient encore la maison de la droite républicaine et colmate les brèches, le RPR et l’UDF condamnent les alliances de terrain, mais la tentation reste forte, quitte à perdre son âme plutôt que la « Safrane de fonction ». Et après le « coup de tonnerre » du 21 avril 2002, c’est précisément Chirac qui bénéficie à plein du sursaut tardif pour la défense des libertés par l’écrasant plébiscite de 82 % des électeurs. Depuis ce « moment front républicain », le réflexe s’étiole de scrutin en scrutin, au prix d’une fragilisation de la droite classique, profondément fracturée. Dès 2017, le refus de son jeune leader, Laurent Wauquiez, de clairement appeler à voter pour Emmanuel Macron précipite le départ de Xavier Bertrand et de Valérie Pécresse, faille qui a rejoué et contribué à « l’étrange défaite » d’avril 2022.

« Républicain »

Au-delà de la fissure béante du « front républicain », c’est désormais le qualificatif et la qualité républicaine de l’adversaire qui est réinterrogée et contestée. La création de « LR » avait fait polémique en 2015 : succédant à l’Union pour un Mouvement Populaire, parti unique créé en 2002 pour assurer la qualification au second tour d’un candidat de la droite et du centre, cette appropriation exclusive de l’attachement à la République par un seul parti avait été légitimement dénoncée comme abusive par l’historien Jean-Noël Jeanneney. Si un parti se prétend seul dépositaire de l’héritage républicain, il délégitime les autres, crispe le débat public et conteste toute possibilité d’alternance, pourtant au cœur du choix démocratique. De même que l’abandon de l’attachement patriotique au prétendu « front national » a été une lourde faute, aggravée par l’oubli du vrai « Front national », celui de la Résistance, nulle force politique ne peut sainement prétendre au monopole du cœur républicain.

Ingratitude démocratique et mémoire courte

C’est pourtant la voie dangereuse qu’empruntent aujourd’hui beaucoup de voix macronistes, y compris la nouvelle locataire de Matignon, habituellement peu loquace, mettant sur un pied d’égalité le danger populiste incarné par le Rassemblement national et celui que représenterait l’alliance des partis de gauche et écologiste, la NUPES. Cette posture, sans doute dictée par l’inquiétude et la déception, est une faute, qui vient aggraver l’erreur civique d’avoir parier, à deux reprises, sur l’absence de véritable campagne de fond pour l’emporter par défaut. Discréditer les écologistes et les socialistes et même les insoumis qui ont massivement voté pour Emmanuel Macron il y a à peine deux mois, c’est faire injure à la décence démocratique, tout en stérilisant tout échange éclairant pour l’opinion sur les orientations concrètes à trancher sur le pouvoir d’achat, les retraites, l’environnement, l’avenir de l’Europe. C’est sur ces enjeux que devraient s’affronter les « Blocs », plutôt que de se jeter à la figure des excommunications entre chapelles républicaines.

La République n’appartient à personne. Ni à celui qui prétendait hier, avec un ego boursoufflé, l’incarner contre les perquisitions des juges, ni à ceux qui, aujourd’hui, louvoient et distillent leur solidarité républicaine au gré de leurs intérêts boutiquiers d’arrondissement. La République mérite mieux qu’une absence de campagne, en un combat douteux. Pour mieux, demain, jouer le chœur des pleureuses face à l’indifférence des Françaises et des Français, lassés de ne pas entendre parler de leurs difficultés quotidiennes, demeurant à l’Arrière et désertant le Front électoral.

Oui, il est plus que temps de faire front.

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