Législatives: Voyage autour de ma « Chambre introuvable »

En 1794, Xavier de Maistre rédigeait un best-seller, Voyage autour de ma chambre. Vingt ans après, à la Restauration, le roi Louis XVIII se retrouvait, bien malgré lui, embarrassé de devoir composer avec une « Chambre introuvable », entendez une écrasante majorité de députés ultra-royalistes, « plus royalistes que le roi », fanatiques du retour à la société française d’avant 1789, du catholicisme religion d’Etat à la domination nobiliaire.

Par Pierre Allorant

Assemblée Nationale

La Cinquième République à qui perd gagne

Certes, Emmanuel Macron n’est que monarque républicain, mais récemment réélu, sans véritable débat sur son projet, il se trouve bien dépourvu de soutien parlementaire pour mettre en œuvre sa politique, entre un Sénat plutôt hostile et une Assemblée nationale éclatée comme jamais depuis la « chambre hexagonale » sous la IVe République, écartelée entre les deux fortes oppositions hostiles au « régime des partis », communiste et gaulliste, et les groupes parlementaires de la « Troisième force », modérés, démocrate-chrétien, socialiste et radical. Bien que ses partisans aient obtenu le groupe parlementaire le plus fourni au sein de la nouvelle assemblée, a fortiori si on les agglomère à leurs alliés d’Horizon et du Modem, le Président de la République apparaît désavoué par un électorat français à nouveau dégagiste, revenu à ses dispositions frondeuses du premier tour de l’élection présidentielles ; à l’inverse, la gauche et la droite, sauvées de la marginalisation annoncée, se réjouissent de compter à nouveau, oubliant que les seuls véritables vainqueurs sont le cancer de l’abstention, dramatique chez les jeunes et dans les catégories populaires, et le parti lepéniste, qui a fait sauté toutes les digues établies depuis quatre décennies pour canaliser ses crues tumultueuses.

Les apprentis-sorciers : le médecin malgré lui de la proportionnelle

Mais comment en est-on arrivé là ? La responsabilité de la situation politique actuelle si compliquée est partagée, mais la Cinquième République confère de tels pouvoirs au Président de la République qu’il ne peut échapper à la critique. Après s’être abstenu par calcul de faire campagne à la présidentielle, le Chef de l’Etat, amateur de football olympien, a « joué la montre » en tardant au maximum pour former un nouveau gouvernement, puis a parié sur une forte abstention différentielle, sociale et territoriale, pour retrouver une majorité absolue sans livrer de combat projet contre projet. Pire, tournant le dos à son discours de l’entre-deux-tours d’avril – la planification écologique et « l’humain plutôt que les profits » – il a diabolisé le candidat autoproclamé à Matignon, le magnifique illusionniste Mélenchon – jusqu’à son pas de clerc sur le groupe unique mort-né de la Nupes –, et définitivement enterré le « front républicain ». Comme sur les autres rives, républicains et insoumis n’ont pas été plus clairs sur les consignes, l’élection de plus de 80 députés lepénistes ne surprendra que les naïfs, les Gilets jaunes ayant déjà tiré la sonnette d’alarme sur les mêmes bassins de vie, de survie avec des services publics à marée basse et un accès aux soins en berne. Seuls les optimistes y verront une intelligence collective de l’électorat imposant aux politiques une représentation proportionnelle de fait et, cerise sur le gâteau institutionnel, une revalorisation du rôle du Parlement dans la fabrication de la loi.

Clarification idéologique ou majorité d’idées ?

Et maintenant, que faire ? A nouveau, la balle est dans le camp du Président de la République auquel la Constitution donne une large palette de leviers d’actions pour reprendre la main : changement de premier ministre, projet référendaire, dissolution de l’Assemblée nationale…Dans l’immédiat, il doit arbitrer entre deux pis-aller : se désavouer en abandonnant prématurément sa cheffe de gouvernement ou bien persévérer en donnant l’impression qu’il n’a pas entendu ni compris le message brutal émis par les électeurs. De cette décision découlera la suite, sans doute pas pour l’ensemble du quinquennat, mais au moins pour l’année à venir : négocier une alliance de législature avec la droite LR en assumant sa mue libérale, ou bien rechercher, au cas par cas, tel Michel Rocard en 1988-91, des majorités d’idées ou de projets, théorisées par Edgar Faure. On peut par exemple imaginer qu’un sauvetage de sa réforme des retraites pourrait trouver grâce auprès de la droite, alors que des mesures sociales ou environnementales pourraient être adoptées grâce à des élus indépendants, d’outre-mer, voire des groupes parlementaires de gauche. Si l’on en croit les premières réactions des acteurs concernés, la perspective de retour à la direction de LR d’un duo très droitier Ciotti-Wauquiez, et le caractère d’Emmanuel Macron, le plus plausible est qu’il attende que la situation se décante et confirme Elisabeth Borne en se contentant, dans un premier temps, d’un remaniement gouvernemental réduit au nécessaire, le remplacement des ministres battus. Il devra également piloter, avec ses « barons » Bayrou et Philippe, la remise en ordre de l’Assemblée, du Perchoir aux présidences de groupes et de commissions.

Mobilisation démocratique, blocage ou retour aux urnes ?

Dans ce paysage politique dévasté, de grands serviteurs de l’Etat accepteront-ils, au nom de l’intérêt général, de participer à un gouvernement de « salut public », d’union nationale face à la crise démocratique désormais avérée ? Bernard Cazeneuve, Carole Delga, Yannick Jadot, Bertrand Delanoë, Xavier Bertrand ou Jean-Louis Borloo, sont-ils prêts à cette mission à hauts risques ? L’heure de la gestion des carrières est dépassée. Mais au-delà du casting, c’est bien sûr la méthode et le contenu des politiques de fonds qu’il convient de changer. Afin que plus aucun bassin de vie ne soit abandonné, dépourvu de projet, d’emplois, de logements, de formations et de services vitaux. C’est un tel défi qu’avait su relever la République de Gambetta et Ferry, puis, en 1945, celle du Conseil National de la Résistance. Pour que de ce nouveau coup de tonnerre et du champ politique dévasté sorte un espoir de renouveau démocratique.

A défaut, ce sera soit cinq années dangereusement perdues, soit l’inévitable et périlleuse dissolution.

 

Commentaires

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  1. Et pour encore un peu plus aider à la clarification : “C’est de cela (le programme de la NUPES) dont nous partons et sur cela que nous resterons.” J-L Mélenchon le 22-06-2022.
    Une illustration de ce ”voyage” qui va devenir une ronde sans fin.
    Et pendant ce temps le climat se dérègle de plus en plus rapidement dépassant les prévisions du GIEC, l’inflation ( les spéculateurs n’y sont pour rien ) galope, une nouvelle vague épidémique s’annonce mais “ils” tournent en rond .

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