80 ans de la rafle du Vel d’Hiv : les derniers témoins

Les 80 ans de la Rafle du Vel d’Hiv sont l’occasion de se pencher sur le passé des camps d’internement du Loiret. Un passé douloureux qu’il faut regarder en face et transmettre impérativement aux nouvelles générations, notamment à travers les paroles précieuses et précises des derniers témoins vivants.

Par Sophie Deschamps

Deux femmes qui ont vécu, petites, cette rafle ont fait le déplacement le 11 juillet 2022 à la gare de Pithiviers afin de raconter une fois encore leur histoire, afin que nous ne les oublions pas : Arlette Testyler et Rachel Jedinak. Des paroles fortes, qui se font rares déposées dans nos oreilles et qu’il faut absolument lire, entendre et surtout …transmettre. 

 Arlette Testyler, 89 ans : « Je ne voulais pas porter l’étoile jaune »

Son père, d’origine polonaise est parti de Pithiviers vers Auschwitz par le convoi 4 du 25 juin 1942, sans en revenir. C’est pourquoi elle a refusé de s’asseoir dans son fauteuil en entrant dans la gare de Pithiviers,  déclarant haut et fort : « Mon père est arrivé debout dans cette gare en étant fier d’être Français, j‘ai voulu faire comme lui ! Quand Il est décédé, il avait 37 ans, c’était un jeune homme ! »

Puis elle raconte : « Quand on nous a obligés de mettre l’étoile jaune (fin mai 1942, NDLR) j’avais huit ans. J’ai dit à ma mère : je ne vais pas à l’école avec ça, ce n’est pas une récompense. Elle m’a dit : si, et on va faire une photo. Donc, je vais à l’école en rasant les murs. La maîtresse, magnifique, dit : il y a des petites filles qui ont des étoiles. Si j’entends une réflexion toute l’école est punie. Ensuite je veux aller au square faire du patin à roulettes avec mes petits camarades. Mais à l’entrée le gardien m’arrête et me dit : regarde ce qui est écrit : interdit aux Juifs et aux chiens. Alors j’ai hurlé et j’ai pleuré.»

Arlette Testyler, rescapée de la Rafle du Vel d’Hiv montre le porte-plume fabriqué par son père interné à Pithiviers. Photo SD

Puis elle montre un porte-plume fabriqué par son père lors de son internement au camp de Pithiviers : « Ce porte-plume a déjà été présenté dans plusieurs expositions mais il va finir au Mémorial à Paris, mes petits-enfants sont d’accord. C’est le bien le plus précieux que j’ai de mon père.» 

De son côté Arlette est arrêtée durant la Rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942 avec sa mère et ses soeurs puis internées au camp de Beaune-la-Rolande d’où elles repartent fin août : « Maman était une mère courage mais je ne sais pas comment elle a fait pour nous sauver »  Puis elle utilise “la filière des facteurs” pour mettre ses filles à l’abri dans une famille à Vendôme. Arlette insiste : « Ils s’appellent Jean et Jeanne Philippeau. Il faut les nommer car ce sont des Justes parmi les Nations extraordinaires. Des gens pauvres qui n’ont pas posé de questions et avec un coeur en or. Sans eux je ne serai pas là.»

Elle évoque ensuite l’après-guerre : « Quand on voulait raconter ce qui s’était passé, les gens ne voulaient pas nous entendre ! Combien de fois j’ai entendu : Nous nous plus on n’a pas mangé du pain blanc ! Alors on s’est tus. Donc, ce qui est fait, que ce soit au Mémorial, au Cercil ou ici à la gare de Pithiviers ou dans les films, pour moi tout est pain béni ! Parce que nous sommes les dinosaures de la Shoah. Et Simone Veil l’a très bien dit : Après nous, il n’y aura plus rien ! Il restera bien sûr l’histoire, mais seulement si elle n’est pas déformée ou rejetée par les révisionnistes. »

Rachel Jedinak, 88 ans : « J’ai deux héroïnes dans la vie : Simone Veil et ma maman ! »

Elle aussi a fait le voyage retour jusqu’à la gare de Pithiviers pour témoigner. Ses parents Abram et de Chana, polonais ont émigré vers la France dans les années 20. D’emblée elle déclare : « J’ai deux héroïnes dans la vie : Simone Veil et ma maman. Elle m’a sauvée la vie ! » 

Son père a eu beaucoup moins de chance : « Il avait fait la guerre. Il s’était engagé comme volontaire pour défendre la France, sa nouvelle patrie. Pourtant, il a été arrêté lors de la rafle du billet vert du 14 mai 1941. Puis, il a été interné au camp de Beaune-la-Rolande. J’avais sept ans à l’époque et j’ai pu venir le voir une fois avec ma mère et ma soeur dans le camp d’internement. J’en garde un souvenir très précis parce que mes parents se sont disputés alors qu’ils s’aimaient beaucoup et moi j’ai pleuré. En fait, ma soeur qui a cinq ans de plus que moi m’a expliqué que ma mère qui a toujours eu de la prémonition, et c’est pour ça que je suis restée en vie, elle voulait fuir à travers champs avec mon père, ma soeur et moi et que nous nous cachions chez des paysans. Elle disait : nous allons travailler tous les deux et nous serons ensemble avec les enfants. Le camp était gardé par des gendarmes français en armes, il n’y avait pas un Allemand. Mais mon père lui a répondu : pas question. J’ai su plus tard de la bouche d’un survivant qu’on leur disait à ces hommes : si vous essayez de fuir, on s’en prendra à vos familles et papa ne le voulait pas. Ceux qui ont réussi à s’évader du camp étaient principalement des célibataires. Mon père part par le convoi 5 le 28 juin 1942 destination inconnue. Et moins de trois semaines après, il y a la rafle du Vel d’Hiv. On a convoqué plus de 5000 policiers à la préfecture de Paris et on leur remis les listes du fichier juif.

Rachel Jedinak, rescapée de la Rafle du Vel d’Hiv, capture d’écran France 3

Je témoigne depuis 26 ans dans les collèges et les lycées et souvent on me pose la question pourquoi sont-ils allés se faire recenser ? il n’y a pas écrit Juif sur nos fronts. Eh bien tout simplement parce qu’ils voulaient rester dans la légalité dans le pays des droits de l’homme. Ils pensaient que cela les protègerait mais ça n’a pas été le cas.

Pour revenir à la rafle du Vel d’Hiv. Donc ces policiers, ils étaient groupés par deux et on leur remet une liste de gens “à prendre” mais je l’ai su par des survivants, certains n’ont pas eu le coeur à faire cela. Alors, la veille, ils sont allés dans les rues, principalement dans l’Est parisien et ils ont crié : Demain, on prendra les femmes et les enfants ! Ma mère a dû l’apprendre et elle nous a caché chez nos grands-parents paternels qui étaient âgé à cinquante mètres de là, parce que cette rafle c’était de 2 ans à 60 ans, soi-disant pour aller travailler en Allemagne. Mais les adultes se posaient des questions et moi aussi.

Donc, nous sommes chez nos grands-parents et à l’aube des coups violents sont frappés dans la porte : Police, ouvrez ! Ma grand-mère ouvre et découvre deux policiers, l’un en uniforme et l’autre en civil. Ils nous disent : Allez les enfants, vous allez vous habiller vite, on a encore beaucoup de gens à prendre ! Et donc, nous descendons, ma grand-mère a essayé de parlementer mais on l’a repoussé violemment. Dans la rue, il y avait beaucoup de monde. On nous a ramené près de notre maman et en chemin, l’un des policiers nous dit, d’un air goguenard : Vous pouvez remercier votre concierge, c’est elle qui nous a dit où vous étiez ! Hélas, les dénonciations étaient courantes aussi. 

Nous descendons. Je vois de toutes les portes cochères sortir des femmes avec des enfants, d’autres qui comme moi  tenaient la robe ou la jupe de la maman. Je regarde dans la rue, la masse étoilée grossissait. J’ai vu aux fenêtres et sur les trottoirs des gens massés qui nous regardaient passer. 

« C’est une gifle de ma mère qui m’a sauvée la vie ! » 

Ensuite c’est le départ en bus non pas vers le Vélodrome d’Hiver mais vers la Bellevilloise, l’un des trois centres de regroupement des Juifs raflés dans le 20 ème arrondissement avant leur transfert au Vél d’Hiv : « Nous étions plusieurs centaines dans ce lieu, serrés les uns contre les autres. La peur se lisait sur tous les visages, l’angoisse, les enfants pleuraient. Les policiers sifflaient, hurlaient. J’en garde une impression de violence, la terreur sur les visages : où est-ce que nous allons ? Ma mère essayait de se frayer un petit chemin d’une épaule à l’autre pour dire aux autres mamans : Non ! On nous emmène pas pour travailler en Allemagne, on nous raconte des bobards. On ne peut pas travailler avec des petits dans les bras. Ma mère avait compris cela mais les autres mamans étaient en colère après la mienne. Elles ne voulaient surtout pas l’entendre : Mais non, on ne nous fera rien, avec des tout-petits ! Malheureusement, c’est ma mère qui avait raison.

Une voisine s’est approchée d’elle et lui a dit que Léah, sa grande fille de 14 ans a réussi à s’enfuir par l’issue de secours. Ma mère se tourne vers nous et nous dit : Allez, vous faîtes comme Léah, je ne veux plus vous voir près de moi, vous allez près de l’issue de secours et là vous trouvez le moyen de sortir ! Et si on vous refoule, vous restez presque de la porte. L’issue de secours n’était gardée que par deux policiers alors que devant l’entrée principale, il y en avait beaucoup. Et là, j’ai pas voulu lâcher ma mère, j’ai hurlé : Je ne veux pas te quitter ! Alors elle a fait quelque chose que je ne pouvais pas raconter auparavant sans pleurer, elle m’a giflé violemment. La seule gifle de ma vie. C’est plus tard que j’ai compris que cette gifle m’a sauvée la vie.»

Puis, après un temps de silence, elle ajoute, reconnaissante : « Par la suite, le peuple de Paris a très bien réagi, la Rafle du Vel d’Hiv a été un véritable électrochoc.»

Une histoire que Rachel Jedinak a raconté en 2018 dans un livre : Nous étions des enfants, chez Fayard, disponible en livre de poche.

A noter enfin que jusqu’au 7 août 2022, 42 portraits de survivant·e·s de la Rafle du Vel d’Hiv dont ceux d’Arlette Testyler et de Rachel Jedinak sont exposés sur les grilles du jardin du Luxembourg à Paris avec ce titre : Lest We Forget, N’oublions pas ! , à deux pas du Panthéon où repose justement désormais Simone Veil.

Retrouvez tous les articles de notre dossier sur les 80 ans de la rafle du Vel d’Hiv: Dossier : 80 ans de la Rafle du Vél d’Hiv

Commentaires

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  1. Et c’est Pierre Jérôme , ancien des maquis de la forêt d’Orleans qui a rappelé dans l’un de ses livres qu’ un député de droite des années 70 , et qui habitait l
    Eure et loir avait été le sous préfet de Pithiviers qui supervisait avec zèle ces camps .
    D’autre part , il ne faut pas oublier le camp de Jargeau , où étaient retenus des gens du voyage ainsi que des personnes considérées comme marginales .

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