As Bestas, les paysans oubliés de Galice

Roberto Sorogoyen propose une histoire très noire chez les paysans de Galice. Avec deux Français, dans l’histoire et dans le casting. Deux étrangers qui réveillent les instincts grégaires de ce milieu retardé sur l’époque. Misère, ignorance et tradition contre l’autre, l’étranger, plus évolué. La tension monte jusqu’au drame, mais le film ne conclue pas la thématique de départ. Du très beau cinéma somptueusement classique pour une histoire rude et mystérieuse.

Par Bernard Cassat

La discussion dans le bistrot d’Eusebio. Photo Lucia Faraig

C’est vraiment une histoire de bêtes que nous raconte Rodrigo Sorogoyen dans son film As Bestas. Au fin fond de la Galice, les hommes ont l’habitude d’attraper à mains nues des chevaux sauvages pour leur couper la crinière et les marquer, puis les relacher comme leur appartenant. La scène du début du film, qui nous décrit cette capture dans un long plan séquence comme affectionne particulièrement Sorogoyen, se termine sur un plan rapproché des naseaux du petit cheval dominé, renversé par trois hommes après un long combat.

Une violence terrible

Pas de sang, mais une violence terrible qui vient à bout du sauvage, donc de la liberté. L’histoire humaine du film va s’enclencher sur le même mode. Là encore un long plan séquence, une discussion dans le bistrot d’Eusebio qui regroupe toutes les gueules du village, grandes ou plus effacées, introduit les hommes du village. Une discussion menée par un grand maigre au visage taillé à la serpe, Xan, qui semble manipuler tous les autres. Et qui envoie des piques très acérées au Français installé depuis deux ans au village, son voisin en fait, qui a racheté une exploitation et de vieux batiments pour les restaurer et faire revenir du monde. Antoine et Olga, sa femme, représentent tout ce qui heurte ces paysans miséreux et primaires : éduqués, ouverts, ayant voyagé et essayant des choses, en culture par exemple, qui ne se pratiquent pas. Et surtout, ils ont voté contre l’installation de deux éoliennes sur la commune, alors que leurs voisins attendaient les subventions apportées par ces installations pour commencer de nouvelles activités.

Les hommes se tuent, les femmes rétablissent le social

Le conflit larvé puis rapidement ouvert filmé par Sorogoyen devient vite très oppressant. Par touches, par longues séquences, le réalisateur encercle ce couple. Les deux voisins, des affreux plus ou moins couverts pas la police qui ne prend pas partie, passent des humiliations aux menaces puis aux actes graves. Le conflit va d’abord se passer entre hommes. Le français est pugnace mais désarmé face à ses redoutables voisins. Il utilise une caméra pour pouvoir se justifier. Et continue le dialogue jusqu’au bout. Mais les bêtes ne parlent pas et font ce qu’elles ont toujours fait.

La famille voisine. Photo Lucia Faraig

Dans le dernier tiers du film, ce sont les femmes qui vont reprendre le flambeau. Olga va d’abord s’affronter à sa fille qui veut la sortir de cette campagne hostile. Mais elle veut rester. Et mener l’histoire jusqu’au bout. Elle implique la mère des deux voisins pour une future cohabitation avec les ennemis assassins. Comme au sein de la république espagnole actuelle ?.

Le thème de l’étranger domine cette narration. Mais on est en Espagne, qui a vécu une guerre civile meurtrière et clivante. Le thème de l’appartenance de la terre rappelle le nationalisme outrancier. On sait que de nombreux villages aux pieds des Pyrénées se dépeuplent et meurent. Et puis il y a la différence de classe sociale, les français étant considérés comme des nantis. Le poids des traditions également pèse énormément. Cette Espagne là retarde de plus d’un siècle.

Une nature exceptionnelle, comme les acteurs

La tension, le mystère, la noirceur du déroulement prennent aux tripes. Dans une nature magnifique, le paradis rêvé devient un enfer difficilement supportable. Filmé avec une impressionnante maitrise, jouant de cadrages étudiés et justes, les acteurs peuvent déployer leur talent. Et ils en ont ! Autant Luis Zahera, Xan le voisin, sec, violent, manipulateur, que les deux français. Denis Ménochet, à l’opposé de son rôle chez Ozon dont nous parlions la semaine dernière, a la carrure d’un paysan. Son visage dit tellement sans mots qu’il réussit à montrer la peur en même temps que la menace, la détermination avec les craintes. Et Marina Fois, d’une grande sobriété, utilise elle aussi sa richesse d’expression pour qu’un regard devienne une véritable histoire. Magnifique silhouette qui s’identifie peu à peu à cette paysanne espagnole qu’elle a choisi de vivre.

As Bestas, belle variation sur une thématique sans surprise, joue avec brio du mystère pour tenir en haleine. La détermination féminine de cette fin d’histoire, difficile à accepter, laisse le film suffisamment ouvert pour tempérer la brutalité des relations. Casting de rêve, réalisation contrôlée du début à la fin, images somptueuses et montage qui prend le temps de l’efficacité, ce travail de Rodrigo Sorogoyen fait mouche.

 

As Bestas

Scénario : Isabel Pena, Rodrigo Sorogoyen

Réalisation : Rodrigo Sorogoyen

Interprétation : Marina Fois, Denis Ménochet, Luis Zahera, Diego Anido, Marie Colomb

Photo : Alejandro de Pablo

 

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