La droite, la laïcité, le Burkini et la grosse fatigue #1

Cette semaine, on a assisté à une énième rediffusion de cet incontournable navet de l’été qu’est le débat sur l’interdiction du Burkini. Et cette fois, ça se passait à la maison, à Tours. On connaît par cœur, mais on regarde surtout pour les acteurs impayables qui font vivre leur rôle avec une conviction éternellement renouvelée.

Par Joséphine

En fait, depuis des mois, de courageux combattants de la liberté multiplient courriers et publications sur les réseaux sociaux – photo à l’appui – pour se plaindre de la présence de femmes en Burkini à la piscine du Lac à Tours sud, insupportable mise en cause de notre laïcité, preuve en actes du grand-remplacement et de la trahison de nos dirigeants. Et là en plus on parle de la majorité municipale tourangelle verte, rose et rouge, forcément islamo-gauchiste, suspecte de toutes les compromissions et notoirement sapin-de-noëlophobe.

Clarifier le règlement

Lasse, la direction de la piscine du Lac, gérée par le groupe Récréa à la suite d’une délégation de service public obtenue auprès de Tours Métropole en 2012 et renouvelée en 2019, a décidé de communiquer sur Facebook afin de clarifier les points de son règlement, par ailleurs validé par… Tours Métropole. Les Burkinis ne sont pas autorisés en tant que tels, ils répondent juste au règlement intérieur de la piscine, nous y reviendrons… Ainsi, les Burkinis et maillots de triathlon sont de fait autorisés, ce qui n’est pas le cas des shorts de bain qui eux, ne répondent pas à la définition du règlement. Le directeur de la piscine du Lac ajoute alors dans son post la phrase qui fera advenir la tempête. Tenez-vous bien : « il nous faut nous adapter cultuellement à notre société ». Patatras, la déclaration est immédiatement mise en avant le 6 août au matin par la Nouvelle République qui, trop heureuse de faire du clic au cœur de l’été, titre si sobrement son article « La direction du centre aquatique de Tours défend le port du burkini ».

Quelques heures plus tard, « l’info » est reprise par le site d’extrême-droite Boulevard Voltaire, crée en 2012 par Robert Ménard, le maire ultra-réactionnaire de Béziers, site par ailleurs condamné pour provocation à la haine et responsable de la diffusion de pas mal de fake-news issues de la complosphère. Consécration ultime, le burkini-gate tourangeau se retrouve le soir même sur Valeurs Actuelles, média non moins d’extrême-droite, propriété du sulfureux homme d’affaires franco-libanais Iskandar Safa, lié à des intérêts immobiliers dans le sud de la France, à des chantiers navals et à des fonds d’investissement en Afrique.

La magie de Twitter

De là, par la magie de Twitter, « l’info » devient virale – elle est partagée près de 500 fois -, et ce alors que l’article de la Nouvelle République est commenté à 400 reprises, gonflant les flux de lecteurs sur ce média, améliorant les statistiques et donc permettant probablement de vendre davantage d’espaces publicitaires. Notons que la NR développe cette stratégie depuis quelques semaines afin d’attirer des légions de commentateurs autour de thèmes judicieusement choisis pour leur caractère apaisant : véganisme, Sanitas, allocataires de minimas sociaux, gens du voyage et Burkini crèvent dès lors le plafond, ouvrant la voie au déversement de discours haineux et de fausses infos. Contactée, la NR décline d’ailleurs toute responsabilité à ce sujet car elle sous-traite la modération des commentaires en ligne à une boîte toulousaine, Atchik, qui annonce clairement la couleur sur la première page de son site : « LIBÉREZ LE POTENTIEL DU WEB SOCIAL, NOUS VALORISONS LES CONVERSATIONS EN LIGNE DE VOTRE MARQUE ».

La polémique est lancée !

Bref, tous les astres sont bien alignés, la polémique est lancée et les politiques locaux sautent sur l’occasion pour jouer la troisième mi-temps de la présidentielle et des législatives. Olivier Lebreton (LR), membre de l’opposition municipale à Tours, élu métropolitain, élu et vice-président en charge des finances au Conseil Départemental d’Indre-et-Loire, ouvre le feu dès l’après-midi du 6 août avec son ton le plus solennel et gaullien : « non Monsieur le Directeur, ce n’est pas à notre société de s’adapter « cultuellement » mais au contraire aux cultes de s’adapter à notre société, de surcroît dans un établissement appartenant à la Métropole de Tours ». Tant pis si le directeur en question est désormais livré en pâture sur les réseaux sociaux où les appels à sa démission se multiplient, avec parfois des propos très virulents qui n’ont pas dû être bien sympathiques à encaisser tout le week-end.

On remarque également pendant la séquence que quelques brontosaures minoritaires du PS, du Parti Radical et d’EELV en profitaient de nouveau pour marquer leur différence de fond avec la Nupes, au nom d’un républicanisme laïcard et universaliste mal digéré que ses protagonistes pensent héroïque, à force d’invocations vibrantes de la loi de 1905 et de Jaurès, façon Manuel Valls qui aurait mangé du Chevènement au petit-dej’. Parallèlement, des commentateurs locaux en déficit de visibilité imitaient Raphaël Enthoven, hystérisant le débat, le burkini à la piscine du Lac devenant un tournant de notre civilisation, une sorte de compromis munichois avant la guerre culturelle qui arrive, un étendard islamiste qui annonce notre bataille de Poitiers du maillot de bain.

Enfin, avec l’emballement, un collectif pseudo-spontané se monte sur Facebook, répondant au doux nom de Stop Burkini Tours et rassemblant soi-disant « les tourangeaux modérés Républicains contre le BURKINI dans les piscines ». On ne sait pas qui en est à l’origine, mais en tout cas, on y partage allégrement des sondages au sujet du Burkini issus de la société CSA – de Bolloré – commandés par Cnews – de Bolloré – et l’on y voit pas mal de gens utiliser l’expression « ben voyons », référence explicite à l’élément de langage fétiche de la campagne d’Eric Zemmour – oui, elle aussi de Bolloré -. On notera d’ailleurs que le visuel de la page a été partagé par Stanislas de La Ruffie, avocat tourangeau, ancien du RN passé chez Reconquête, laissant peu de doutes sur les idées des personnes à l’œuvre derrière ce collectif.

D’ailleurs, toujours dans ce sens, deux conseillers départementaux LR de Tours nord, Brice Droineau et Cécile Chevillard, figures de l’engagement catholique tradi et de la manif’ pour Tous dans le coin, se sont fendus d’une publication sur la page Stop Burkini Tours, citant ouvertement Saint Augustin, en toute laïcité. La publication est d’autant plus ambigüe que l’on sait que Mme Chevillard a parrainée Eric Zemmour à la présidentielle…

***

La séquence tourne en boucle

Toute la séquence tourne désormais en boucle avec toujours les mêmes non-arguments, portés par des gens sûrs de leur bon sens et pensant avoir compris la loi de 1905 et les procédures juridiques. Je vous en propose un florilège, avec la réponse qui va avec :

  • « le Maire de Tours a autorisé le Burkini ». Faux, le règlement a été validé par la collectivité compétente, Tours Métropole et non la commune de Tours, et le règlement ne fait à aucun moment référence au Burkini. Le Burkini, parmi d’autres tenues, répond aux définitions des tenues autorisés par le règlement.
  • « A Tours on ne respecte pas la jurisprudence de Grenoble où le Tribunal Administratif et le Conseil d’Etat ont cassé l’autorisation du Burkini ». Faux, la décision de ces deux instances précise qu’à Grenoble, vu le règlement des piscines, on ne peut pas autoriser expressément le Burkini, ce qui serait dérogatoire à la règle commune, en faveur d’un groupe religieux. C’est donc la dérogation qui a été cassé par ces tribunaux, au nom du principe de 1905, ce n’est pas la Burkini en tant que tel qui a été interdit, il n’y a donc pas de jurisprudence Burkini.
  • « Vu qu’on tolère tout maintenant, on va aller nu à la piscine, bah oui moi ma culture c’est nudiste ». Faux, ici c’est la loi qui prime et le fait de paraître nu dans un espace public à la vue de tous, sans qu’il s’agisse d’un espace expressément naturiste est passible de poursuites pénales pour exhibition sexuelle, rien à voir avec une quelconque liberté de tenue.
  • « En France, l’espace public est neutre et les citoyens sont tenus à la neutralité religieuse ». C’est faux, la loi de 1905 instaure la neutralité de l’État et de ses agents, pas des citoyens ou des usagers d’un service public. Aucun règlement ou loi ne peuvent autoriser ou interdire explicitement un élément lié à une religion. Si le Burkini cadre avec le règlement, on ne peut l’interdire sur une base religieuse, si le Burkini ne cadre pas avec le règlement, on ne peut à l’inverse l’autoriser spécifiquement. La loi de 1905 n’oblige pas à la neutralité dans l’espace public : personnes en soutane, processions religieuses déclarées en Préfecture et cloches qui sonnent l’Angélus sont tout à fait légales. Du reste, la seule loi qui réglemente la tenue dans l’espace public porte uniquement sur le fait de laisser le visage découvert, pour des questions de sécurité publique : cagoules, casques et voile intégral sont de ce fait interdits, mais ce dernier ne l’est pas à cause de sa nature religieuse. Autrement dit, la loi de 1905 n’est pas un sauf-conduit pour un athéisme de l’espace public.
  • « Les piscines de la ville de Tours qui sont, elles, gérées en régie, n’autorisent pas le port du burkini ». Faux, cet argument utilisé par Olivier Lebreton est de mauvaise foi. Dans les piscines gérées par la Ville de Tours le règlement est différent et les maillots autorisés sont directement décrits et listés. Le Burkini n’en faisant pas partie, il n’est pas autorisé, mais le Burkini ne fait pas l’objet d’une interdiction spécifique.

***

A suivre…

 

Commentaires

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  1. 2 choses :
    – le Directeur a dit “cultuRellement” ou “cultuellement” ? On trouve les 2 dans l’article
    – quand la Métropole a voté, quelle était la majorité ? Autrement dit, ce vote a eu lieu à quelle date ?

    • Bonjour,

      La presse rapporte qu’il a dit cultuellement

      Il s’agit du règlement remis à jour avec surtout une partie tarifs, cela a été débattu sans être voté le 23 mai, mais aucun échange n’a concerné le règlement et la dimension vestimentaire. C’est une majorité de droite dirigée par le LR Frédéric Augis

      • “cultuellement” donc : il faut avouer que c’est fâcheux…pour ne pas dire plus, sauf si on en pince pour plonger – sans mauvais jeu de mot – dans une théocratie

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