Le parcours de soin de Justine, bipolaire

Extrait d’un dossier consacré à l’état de la psychiatrie en France publié par Joséphine Kalache, qui nous propose un entretien intime avec Justine, diagnostiquée bipolaire, qui l’a reçu à la clinique de Vontes, non loin de Tours. L’occasion de revenir sur son parcours thérapeutique et sur la structure où elle est régulièrement suivie depuis presque 20 ans.

A la clinique psychiatrique de Vontes

On arrive à Esvres, on longe une petite route bordée de jolies maisons avec leur glycine qui court sur les murets en pierre, de l’autre côté, il y a l’Indre qui coule mollement. Un peu plus loin, un virage qui dessert la clinique psychiatrique de Vontes. Une légère barrière en béton délimite le parc et une petite route serpente jusqu’au parking, à moitié plein. Il y a des bancs disposés de-ci de-là, avec des gens assis dessus, posés, même. Juste devant l’entrée du bâtiment principal, Justine nous attendait. On commence par visiter l’extérieur.

Au-delà du parking, des chemins s’enfoncent dans l’espace boisé où les patients et leurs visiteurs peuvent se balader. Il y a un espace de méditation avec des tabourets taillés dans des troncs d’arbre, deux terrains défraîchis – basket et volley – et plus loin, un recoin de débarras en friche. On retourne sur nos pas et on se plante devant l’entrée principale : à droite, les cabinets des psychiatres pour les consultations en libéral de l’après-midi. Des docteurs réputés qui doivent s’acquitter d’un joli billet d’entrée pour s’installer là, avec la patientèle qui va avec. A gauche, c’est la clinique à proprement parler. Pas de grandes hauteurs, pas de fouillis d’édifices inquiétants et enchevêtrés, c’est propre et à taille humaine. On rentre, on met le masque, on signe le registre et on passe dans une sorte de salle d’accueil décorée de meubles des années 70 et de bas reliefs en ciment à la façon grandiloquentes des hall de HLM de ces années-là. Le bureau de l’assistante sociale, présente à plein temps pour préparer la sortie des patients dans les meilleures conditions, donne sur cette salle, qui dessert aussi les services administratifs. On y trouve une machine à café et un distributeur avec des sodas, des chips et des friandises, histoire de pimenter un peu les visites de la famille.

De là, on passe à un assez grand réfectoire très lumineux, cheminée centrale, l’espace buffet et service jouxte la cuisine située au fond. « La nourriture est pas mal, même s’il y a eu du changement dernièrement et il y a un peu moins de personnel en salle » nous dit Justine. Ici, c’est également le seul espace avec le wifi, mais c’est quatre euros par jour. Le réfectoire est percé de couloirs qui sont autant de points de passage vers les ailes avec les chambres, les salles d’attente, les dispensaires pour l’administration des médicaments. Il y a aussi les cabinets des psychiatres qui reçoivent chaque matin chaque patient, et parfois une salle climatisée pour les canicules. C’est propre, lumineux, aucune odeur suspecte d’hôpital ou de violent produit désinfectant, aucune perspective carcérale de couloir interminable et impersonnel, pas de caméras. Les vues donnent sur les jardins, les chambres, simples ou doubles sont simples, modernes et bien faites. L’œil expert y verra néanmoins de discrets dispositifs anti-suicide et l’impossibilité de les verrouiller de l’intérieur.

Chacun sa télé avec écouteurs obligatoires, à 8 euros par jour. Au rez-de chaussée, des salles de sport, des salles pour la sophrologie, l’art-thérapie, l’origami, la danse, la vannerie, la sculpture, la musique, les soins esthétiques, le yoga et les groupes de parole.

Des activités libres ou prescrites

Certaines de ces activités sont librement accessibles, d’autres sont prescrites par les psychiatres en fonction des besoins des patients. La clinique de Vontes est ainsi réputée pour ses soins axés sur l’autonomisation progressive du patient, par ses activités thérapeutiques et par l’encadrement médical transversal (psychiatres, infirmiers, médecins généralistes, psychologues, kinésithérapeutes…) qui privilégie la parole et la recherche des molécules et des dosages les plus adaptés à chaque patient. Les méthodes plus anciennes telles que les contentions ou les mises à l’isolement sont rares, mais on continue d’y administrer de l’électroconvulsivothérapie aux sujets atteints de formes graves de dépression. Lors d’une crise très grave d’un patient, la direction appelle le SAMU pour l’envoyer aux urgences psy en mesure de prendre en charge la situation, la clinique n’est pas équipée pour ces problématiques, et c’est probablement un choix, laissant au service public les cas les plus graves et complexes.

La clinique a été crée en 1982 par des psychiatres associés qui ont ensuite revendu à Korian, un groupe français multinational qui génère presque 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et qui compte 57 000 salariés. Korian a ensuite revendu la clinique – pas aussi rentable que les Ehpads – au groupe Inicéa, spécialisé dans la psychiatrie avec un réseaux d’une vingtaine d’établissements. Et puis finalement, Korian a racheté Inicéa et a donc récupéré de nouveau la clinique de Vontes. Cette dernière déclarait 9 millions de chiffre d’affaires en 2020.

Avec Justine

On s’installe avec Justine pour boire un petit Schweppes agrumes sans sucre dans le jardin desservi par une des ailes, avec un coin fumeur. Un petit groupe de patients discute autour d’un clope, et bientôt deux patientes nous rejoignent, venues taxer une cigarette avant de prendre leur douche, elles qui viennent de terminer une séance de ramassage de déchets dans le bois de la clinique – essentiellement des bouteilles d’alcool – sous une chaleur lourde. Les deux femmes tiennent à nous dire « qu’ici entre patients, on se serre les coudes, on peut même se faire des amis ici, les voir après la sortie, ça crée des liens. Franchement, ça compte ».

« Je suis bipolaire, diagnostiquée comme telle depuis plus de 15 ans (…) Rétrospectivement, je pense que c’est le décès de mon grand-père quand j’avais 7 ans qui a été une sorte d’élément déclencheur. Ça m’a beaucoup affectée à l’époque. Plus tard, au lycée, j’ai connu ce que je pense maintenant être un premier épisode dépressif. Mais bon, j’étais ado, gothique et dans ma famille, les discours sur la psychiatrie étaient hyper négatifs, à base d’images du film « vol au dessus d’un nid de coucous » et d’angoisses d’enfermement. A l’époque, on se disait juste que j’avais le spleen, que c’était presque normal à mon âge, que ça passerait. Le truc s’est un peu calmé, mais à la faveur de soucis de couple, vingt ans plus tard, j’ai consulté un premier psy.

Puis est venue la séparation. Là j’ai vraiment eu un gros passage dépressif mais je l’ai expliqué par le chagrin amoureux, et puis je me suis beaucoup investi dans le monde associatif, j’étais de plus en plus politisée. Mais bon, en 2007, après les premiers traitements, mon état s’est vraiment dégradé et j’ai connu les premières crises aiguës, les nuits d’insomnie, les pulsions violentes, la consommation de plus en plus importante d’alcool et de shit, les pensées suicidaires. J’ai demandé alors à être internée. J’avais besoin de dormir, il me fallait du repos et clairement ma vie à l’extérieur était trop intense pour y arriver. J’y suis retournée en 2009 et 2010, les régulateurs d’humeur marchaient plutôt bien et ça allait mieux (…) En fait, c’est 2013 où le truc a repris le dessus. J’étais hyper investie politiquement, notamment en faveur des sans papiers. C’était exaltant, tout allait hyper vite dans ma tête, et j’ai décidé d’arrêter les médocs. Je fréquentais des squats où on organisait les mouvements de soutien, j’ai recommencé à pas mal boire, je sentais la tension monter. Il y a eu plusieurs moments violents, de bagarres de rue et de menaces et je suis devenue vraiment agressive. J’ai été internée de nouveau fin 2013, ça a duré 4 mois mais ça a été la fin du déni pour moi et j’ai accepté enfin le diagnostic de mon psy.

Ça a été aussi pour moi la fin du déni familial, et j’ai compris que la dépression traînait depuis longtemps dans la famille, mais que l’on a préféré fermer les yeux à ce sujet. Ça a été difficile d’en parler et de se l’avouer, et puis il faut ensuite en gérer les conséquences (…) La bipolarité est très invalidante quoi qu’invisible, c’est dur de trouver un travail stable. C’est pour ça que j’ai une invalidité à hauteur de 66% reconnue par la MDPH (…) Grâce à l’accompagnement des psys et aux soins à la clinique, j’ai trouvé un certain équilibre, avec les bons médicaments. Et puis surtout, j’ai appris à préparer mes sorties, à être assez autonome dans le rapport à la maladie, à savoir repérer des signes de dégradation puis tirer la sonnette d’alarme et revenir à la clinique si besoin, sans sentiment d’échec ou de culpabilité. Ici, c’est une sorte de cocon, l’ambiance est apaisée et apaisante, les personnels sont disponibles et on voit bien qu’ils restent des années et ça c’est bon signe. En plus, ils me connaissent, c’est pas un soin anonyme et impersonnel (…) Il ne faut pas non plus se faire une idée trop terrible des soins et sombrer dans le pathos. Tiens la semaine dernière, ma psy m’a raconté une super blague. Elle me dit, vous savez pourquoi on fait des études de médecine ? Pour faire plaisir à sa mère. Et pourquoi on fait des études de psy ? Parce qu’on ne peut pas toujours faire plaisir à sa mère ! Ça m’a bien fait rire et je trouve ça vraiment bien de pouvoir communiquer sur ces registres aussi, ça dédramatise et ça ne nous réduit pas au simple statut de malade, c’est important d’avoir une certaine proximité entre soignants et patients (…)

Ça fait partie aussi de mon équilibre, de savoir qu’il y a cet espace calme dans lequel je peux aller me reposer, parce qu’une partie de la problématique de la maladie, c’est l’hypersensibilité et hyperémotivité et ça, dans la vraie vie quotidienne, ça fait ressentir beaucoup de violence et d’injustice et des fois ça fait trop, ça déborde (…) au final, je ne sais pas si c’est la maladie qui m’a orientée vers l’engagement militant par la recherche de l’exaltation, ou si mes combats politiques participent à connaître des phases d’abattement mais en vrai, je suis contente d’être bipolaire, c’est une maladie qui a des côtés positifs, qui évite une vie ennuyeuse, plate. Et puis, cette sensibilité exacerbée, même si elle fait souffrir, elle est le moteur de mon engagement et du sens que je donne à ma vie ».

Photos prises par Yoan Jäger à Vontes en août 2022

L’intégralité du dossier: https://josephinekalache.com/

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