“La conspiration du Caire”: Une conspiration caustique très bien menée

Tarik Saleh continue son analyse de la société égyptienne et de ses luttes de pouvoir. Religion contre services secrets, tous les coups sont permis. Sa Conspiration du Caire, magnifique fresque en scope et avec de gros moyens, nous entraine dans les arcanes de cette lutte avec humour et effronterie. La beauté parlante des images complète un scénario impeccable.

Par Bernard Cassat

Le fils de pecheur Adam arrive à la medersa d’El Azhar. Photo Atmo

Depuis son avant-dernier film de 2015, Le Caire Confidentiel, qui a eu un gros succès international, Tarik Saleh, de nationalité suédoise par sa mère, est interdit de séjour en Egypte. Les services secrets y ont vu une atteinte à la personnalité de Hosni Moubarak, alors toujours vivant. Tarik a donc été en Turquie pour tourner son dernier film qui sort cette semaine, La conspiration du Caire. Dans cette histoire totalement originale qui lui a valu le prix du scénario à Cannes 2022, il s’attaque aux difficiles relations entre pouvoir politique et pouvoir religieux, toujours explosives en Egypte. Le monde sunnite a un lieu de formation incontesté, la mosquée El Azhar du Caire. C’est là que se déroule cette conspiration, dans cette medersa la plus prestigieuse de l’islam.

Les services secrets au grand complet. Photo Atmo

Par la petite porte

L’histoire, donc le spectateur, y rentre par la petite porte, en suivant le fils d’un très modeste pécheur égyptien, veuf et rigoureux dans l’éducation de ses trois garçons. L’un d’eux, Adam, par l’intermédiaire de l’imam de sa mosquée, est accepté à El Azhar avec une bourse. Il découvre un univers quasi carcéral, des cellules minuscules à lits superposés, la cantine et l’interdiction de sortir. Et les clans qui se forment autour de précheurs en luttes d’influence. Or le Grand Imam à la tête de cette institution meurt. Adam va se trouver impliqué, sans même qu’il s’en aperçoive, dans une machination entre religieux radicaux et services secrets, qui veulent influencer la prochaine nomination du nouvel imam qu’ils souhaitent ouvert et progressiste. Très vite, Adam va jouer serré dans cette partie implacable. Les services secrets, c’est Ibrahim, joué par l’acteur Fares Fares, le flic du précédent film. Grande silhouette totalement loufoque qui louvoie dans le marasme compliqué de la hiérarchie de la police. Ibrahim, c’est la manière ancienne et sensible, humaine, face à son chef, un jeune loup au style américain qui veut tuer tout le monde. Autant Adam essaye de rester l’étudiant ordinaire et discret de la medersa, autant Ibrahim, par sa silhouette, son attitude, contraste joyeusement avec les services secrets environnants. C’est ce personnage qui donne le sel de cette histoire.

Dans la medersa. Photo Atmo

La mosquée Süleymaniye d’Istanbul

Mais le film est aussi très fort par des tableaux marquants. La mosquée Süleymaniye d’Istanbul offre à Tarik de riches possibilités d’images. Il l’exploite de manière presque graphique. Les groupes d’étudiants, silhouettes sombres avec des fez entourés de blanc, forment des ilots dans la cour de la medersa plane et lisse. Ou ils se suivent en passant derrière les colonnes avec le même écart, créant un jeu visuel étonnant. Moquerie de ce monde religieux qui se révèle aussi avide de pouvoir que le monde politique à l’extérieur. Les minarets sont magistralement utilisés, point de vue surplombant la réalité violente du monde. Le visage d’Ibrahim dans le judas d’une porte de cellule est lui aussi assez réjouissant. Et certaines séquences passent outre la dénonciation pour montrer aussi la profondeur de la religion. Le concours de chant religieux dans la cour de la medersa, avec tous les étudiants réunis, est un moment magnifique.

Commencé sur la barque de pêche d’Adam avec son père, le film se termine sur la même image. C’est donc un voyage fermé dans un monde fermé lui aussi. La distance, l’amusement et l’ironie de Tarik Saleh en font un moment de cinéma très abouti. Il s’est donné les moyens pour rivaliser avec Le nom de la rose, qui fut une source d’inspiration. Avec cependant la différence temporelle. La Conspiration du Caire se passe dans le monde moderne, et son côté documentaire n’est pas indifférent. Personne n’avait jusqu’à présent osé s’introduire à ce point dans les arcanes du pouvoir religieux. Tarik Saleh a dit souvent qu’il préfère écrire à tourner. Il en a pourtant brillamment réussi la réalisation, jouant magnifiquement sur l’humour, la gravité, la dénonciation et l’analyse politique.

 

Commentaires

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  1. Encore une suggestion alléchante. Je vais peut-être retrouver le goût du ciné. Merci Bernard.

  2. je confirme, un superbe film qu’il faut voir toute affaire cessante. Des images, des plans, un montage efficaces.

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