L’oeuvre de Charlotte Salomon : sa vie

Un dessin animé raconte la vie de Charlotte Salomon, jeune artiste allemande brisée par le nazisme. Mais elle a peint avec acharnement sa vie, et son œuvre nous est parvenue. Eric Warin et Tahir Rana nous raconte sous forme de biopic cette histoire formidable dans un film dessiné malheureusement pas à la hauteur de son sujet. Mais le récit de la vie de Charlotte est passionnant.

Par Bernard Cassat

En 1933, Charlotte Salomon a 17 ans. Juive allemande, c’est évidemment une vie terrible qui se prépare pour elle. Sa famille pourtant est favorisée. Son père est un médecin renommé, mais la lignée est régentée par son grand-père, professeur de médecine tyrannique. Sa belle mère Paula, cantatrice, est promise à un bel avenir, mais c’est elle qui va subir les premiers outrages nazis : l’interruption d’un de ses concerts à l’opéra de Berlin par de jeunes brutes en habits militaires.

Charlotte met sa vie en images

Le dessin animé proposé par Eric Warin et Tahir Rana installe ainsi le récit qu’il vont suivre jusqu’au bout, celui des dix années de la vie de Lotte. Vie brève mais solaire, pendant laquelle elle se forme (rapidement) comme peintre aux Beaux Arts de Berlin puis s’enfuit dans le sud de la France où elle met sa vie en images, comme une autobiographie dessinée. Plus de mille trois cents dessins, réalisés en quelques années, et heureusement conservés. Les hasards de l’histoire les ont déposés au musée d’histoire juive d’Amsterdam.

Un premier travail brulé par les nazis

Pourtant auparavant, avant 1936 et encore à Berlin, Charlotte avait déjà raconté en dessins un autre récit, qui lui, a été perdu. Sa belle mère Paula, exclue de partout, se faisait aider pour son travail vocal par un ami musicien que Lotte a évidemment rencontré. Une idylle est née malgré une différence d’âge assez importante. Alfred Wolfsohn lui parle d’un écrit qu’il a fait de sa guerre de 14, pendant laquelle il a été enterré vivant sous les rejets de terre de l’enfer des tranchées. Elle décide de mettre ce récit en images. C’est son premier travail conséquent, sa première œuvre. Dans le dessin animé, cette œuvre finit brulée lors de manifestations anti-juives. Et de fait, rien n’a été retrouvé.

Les dessins épinglés sur le mur dans le dessin animé.

Mais ce passage met en lumière un paradoxe du film. Les réalisateurs ont imaginé les dessins que Charlotte a pu faire, et ce moment visuel est magnifique. Des couleurs sombres, gorgées d’eau, s’étalent petit à petit sur l’image. On voit les dessins se construire sur l’écran, la matérialité de la peinture devient tout à fait évidente, et le travail du peintre aussi. Ensuite, les dessins de l’histoire, du film, paraissent raides, rigides. Beaucoup moins imaginatifs et originaux, trop convenus et déjà vus, ils ont du mal à porter cette histoire pourtant formidable. Un dessin animé qui raconte le travail d’une dessinatrice aurait dû aller nettement plus loin dans son propre style.

Quelques autres moments reprennent cette contradiction. Lorsque Charlotte, amoureuse, peint des fleurs, un peu à la Van Gogh. Les dessins du film montre son pinceau qui dessine, qui crée. Et ces images sont formidables. Dans beaucoup d’autres séquences, les dessins originaux sont présents dans l’image, accrochés au mur ou sur la table de travail. Et montrent bien le contraste entre le style de Charlotte et celui du dessin animé, du film.

Trois dessins originaux. Photo Le fil à Malice

Ce travail cinématographique est néanmoins un véritable biopic. La bande son très réaliste (objets, bruits de la rue) et les voix des artistes qui font s’exprimer les personnages nous font vraiment vivre l’histoire. Fidèle par rapport à ce que l’on sait de la vie de Charlotte, cette vie qui se termine en 1943. Elle a alors 26 ans, est enceinte de cinq mois. En septembre, les nazis envahissent la zone libre et appliquent les lois anti-juives. Charlotte est envoyée à Auschwitz, y arrive le 10 octobre et passe directement dans la chambre à gaz.

Des documents complémentaires

Elle avait confié son travail à un médecin de ses amis. Son travail a donc été sauvé. Un petit document filmé, en fin de film, raconte cet épisode, et montre aussi quelques dessins originaux, magnifiques, dans un style très libre. Un sens aigu de la couleur, une ligne forte qui dessine sans repentirs. Et souvent des textes mis en page avec beaucoup d’originalité, qui en feront ce qu’on a considéré ensuite comme le premier roman graphique du siècle. L’habitude était alors plutot, en effet, des garder le texte en dessous des vignettes dessinées. Charlotte a tout mélangé pour cette œuvre qui fut vraiment celle de sa vie, qu’elle a intitulée Leben ? Oder Theater ? (Vie ou théatre ?), titre étrange pour une vie intense et tragique dans un monde bien loin de la représentation.

 

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