A Montargis, contre la réforme des retraites : paroles d’hospitaliers

Le personnel hospitalier a été très fortement mis à contribution pendant l’épidémie de Covid-19. L’actuel projet de réforme des retraites vient encore leur demander des efforts supplémentaires. Magcentre a interviewé quelques salariés de l’hôpital de Montargis, dans le cortège de la manifestation du mardi 7 mars.

Par Izabel Tognarelli

 

Des salariés de l’hôpital de Montargis s’expriment sur ce projet de réforme des retraites – Photo Izabel Tognarelli

En termes de pénibilité, les hospitaliers ne sont pas épargnés. Chacun est impacté à sa façon, en fonction du service dans lequel il travaille. Nous avons rencontré quatre salariés du CHAM (Centre hospitalier de l’Agglomération montargoise). Chacun, en fonction de son secteur d’activité, nous a fait part de ce que lui inspirait ce projet de réforme des retraites.

Un secteur psychiatrique qui ne peut plus faire correctement son travail

Marc est éducateur spécialisé à l’hôpital de Montargis, dans le service de psychiatrie. A ses yeux, dans sa catégorie professionnelle, la pénibilité vient essentiellement du manque de personnel et du manque de moyens. « On souffre également de la raréfaction du temps pour s’occuper des patients, pour être auprès d’eux et les accompagner comme il se doit. C’est un ensemble qui fait que le métier devient pénible. Mais les soignants sont plus impactés ». Effectivement, en termes de pénibilité physique, on a tout de suite une pensée pour les aides-soignantes qui, à 40 ou 45 ans, se retrouvent très souvent en restriction de port de charge, avec des troubles musculo-squelettiques. « Avec une réforme comme celle-là, continue Marc, on est amené à travailler plus longtemps, avec des conditions de santé des soignants qui ne sont pas optimales, une dégradation des soins, de l’accès aux soins, une dégradation des services. Tout cela concourt à une dégradation du système. »

Patrick Boudeau est lui aussi éducateur spécialisé en psychiatrie, un secteur dans lequel il a fait toute sa carrière. En tant que secrétaire CGT, il connaît la situation du CHAM et de l’hôpital en général sur le bout des doigts. Mais c’est sur le secteur psychiatrique que nous l’interrogeons. « L’idée même de réflexion a disparu. On est toujours dans des staffs courts, où les échanges concernent uniquement l’état du patient à l’instant T. Même en psychiatrie, on voit bien comment on a perdu le sens même de la réflexion : réinscrire le patient dans une histoire, dans une réinsertion possible, etc. Je pense qu’il y a une forme de souffrance morale : le sentiment de ne pas bien faire son travail ».

Un service d’intendance qui perd la boussole

Bruno travaille quant à lui à la lingerie du CHAM, depuis près de trente ans. A cette époque, le CHAM était équipé d’une vraie blanchisserie qui lavait le linge de plusieurs établissements de soins des environs. Mais il a fallu « externaliser » ce service : le linge est à présent expédié à Brie-Comte-Robert. D’une trentaine de salariés, le service est passé à six : « On reçoit le linge propre et on le redistribue dans les services de soins. Chaque jour, tout nous arrive par caddies et on doit charger le linge dans les armoires. Ce sont des kilos et des kilos de linge que l’on doit porter au quotidien. Avant, on récupérait le linge sale ; il était pesé, traité, plié, lavé, remis dans les armoires. C’était une organisation qui fonctionnait très bien. » La pénibilité est moindre car le matériel s’est aussi amélioré, mais le corps reste sollicité, particulièrement au niveau des épaules.

Par contre, le linge est géré à flux tendu : « Aujourd’hui, au quotidien, on ne parvient pas à subvenir, aux commandes de linge dont on a besoin. Il arrive que les services de soins n’aient pas le nécessaire au niveau des draps et au niveau vestimentaire, pour les patients, mais aussi pour le personnel ». Bruno aime son travail : faire en sorte que ses collègues et les patients aient un linge bien propre, c’est sa contribution au quotidien de l’hôpital, et cela a du sens, surtout après avoir vécu la crise due à l’épidémie de Covid-19.

« J’ai peur de me retrouver de l’autre côté de la barrière »

Véronique est infirmière urgentiste et travaille de nuit. Elle est représentante du personnel et siège au Comité de surveillance de l’établissement, à la Commission de formation ainsi qu’au Conseil de surveillance. Elle aussi adore son travail, mais elle a vu partir nombre de collègues : « On a perdu énormément d’infirmiers qui travaillaient dans des services d’urgence ou de réanimation. Ils aimaient leur travail, ils étaient investis dans la fonction qu’ils occupaient ; ils faisaient partie de la fonction publique hospitalière. Ils sont partis dégoûtés des conditions de travail, dégoûtés de ne plus avoir de vie personnelle, de n’être ni reconnus, ni revalorisés. Ils sont partis en intérim où ils sont bien mieux payés. Ils choisissent même les jours où ils veulent travailler ». Sans être comparables aux salaires énormes que demandent les médecins que l’on appelle « les mercenaires hospitaliers », le recours à l’intérim aggrave encore le déficit de l’hôpital.

Qu’est-ce qui est le plus usant, à ses yeux, dans son métier ? « Tous les jours, on se bat pour trouver des lits afin d’hospitaliser les patients. Ça, je peux vous assurer que c’est très pénible, c’est épuisant. On laisse des gens sur des brancards. A Montargis, on ne laisse pas les gens 48h sur des brancards : on arrive à leur trouver des lits. Mais c’est une réalité pour bon nombre d’autres services d’urgence en France ».

Véronique nous confie son inquiétude pour notre système de santé : « J’ai toujours à l’esprit qu’un jour ou l’autre, je peux me retrouver de l’autre côté de la barrière. Actuellement, j’ai peur de me retrouver de l’autre côté de cette barrière. La prise en charge n’est plus optimum. On a perdu en qualité et ça, ça fait peur, pour une soignante ».

Malgré la difficulté de leur travail, ils ont le métier dans la peau – Photo Izabel Tognarelli

Être aide-soignante de nuit en EHPAD

Le cas du personnel des EHPAD mérite aussi notre attention. Bernadette (le prénom a été changé et choisi à sa demande) est aide-soignante en EHPAD depuis 26 ans. Actuellement, elle fait des vacations : « J’ai commencé à travailler à 25 ans et je vois les conditions de travail qui se dégradent partout, dans le privé comme dans le public, mais principalement dans le public ». Le travail des aides-soignantes est encore plus pénible que celui des infirmières et infirmiers, car elles ont de la manipulation, qui engendre des problèmes d’épaules et de dos. Il faut aussi tenir compte du travail de nuit, un créneau qu’a choisi Bernadette : « Je travaille de nuit pour avoir plus de temps pour les résidents. Mais même de nuit, on n’a pas le temps car on nous rajoute sans arrêt du ménage et des tâches qui ne devraient pas nous incomber. La nuit, on est là pour les résidents ». Il faut dire que les maladies liées au grand âge, celles qui rendent vulnérables et dépendants, s’accompagnent volontiers de troubles du sommeil et de déambulations, d’où le besoin de personnel présent et disponible, qui puisse parler, prendre la main et rassurer, des notions étrangères aux logiques de rentabilité.

Pompiers et urgentistes sont habitués à se côtoyer au SMUR et au service des urgences – Photo Izabel Tognarelli

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Commentaires

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  1. Un bel écrit qui rend parfaitement compte de la situation actuel du monde hospitalier . Les réformes successives n’ont pas su apporter les réponses nécessaires à la perte de sens, de moyens, et des différents statuts.

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