Les chroniques judiciaires de Joséphine : Orléans #1

Si Magcentre ne couvre pas l’actualité judiciaire, c’est plus par manque de moyens que par manque d’intérêt pour une actualité quotidienne qui révèle une réalité sociale souvent dérangeante. Une journée vécue par un groupe d’élèves dans cet univers judiciaire est l’occasion de prêter une attention particulière à une justice si souvent décrite comme mal dotée pour l’efficacité de son action. Voici donc le compte-rendu d’une journée ordinaire au tribunal d’Orléans.

Par Joséphine


On rentre au Tribunal en faisant la queue pour passer sous un portique détecteur de métal, les sacs sont passés aux rayons X. « Vous avez un liquide dans votre sac, monsieur », « oui, c’est un bain de bouche », « ok c’est bon monsieur ». On passe contre un échafaudage assez haut, il y a des travaux au plafond. La séance du matin a lieu au fond à gauche.

Tribunal Judiciaire d’Orléans – Chambre Correctionnelle – 8h50

La salle, petite, sorte de bunker judiciaire en pierre et en bois avec une Marianne qui trône en hauteur derrière les juges et s’allume tout à coup. Une classe de lycée attend devant depuis un moment, les élèves rentrent et s’assoient, ils ont 15-16 ans, ils sortent méticuleusement leurs cahiers pour faire style ils prendront des notes. L’huissier, un grand gaillard d’une cinquantaine d’années prépare déjà les dossiers sur une petite table, la greffière allume l’ordinateur, une stagiaire s’installe à côté d’elle sur une chaise plus basse. L’huissier balaye la salle d’un regard, il se lève et se dirige vers le seul noir de la salle, un élève. « Vous êtes convoqué à quelle heure monsieur ? À 9h ? ». Le jeune reste muet. Le prof qui les accompagne dit à l’huissier qu’il s’agit d’un simple spectateur.
« Ah… ». L’huissier repart, certains élèves regardent leur camarade, un sourire gêné aux lèvres. Une jeune Procureure rentre et installe ses dossiers. Grande, cheveux bouclés, lunettes, avec une assurance toute relative.

La sonnette retentit. « Mesdames et messieurs, le Tribunal, levez-vous ». La juge, une petite femme, la quarantaine bien tassée rentre et demande au public de s’asseoir. Elle a l’air très sérieuse et concentrée, très pro, pas fermée non plus, juste pro. Elle parle distinctement mais avec une vitesse tout à fait respectable. C’est une technicienne, il n’y a pas de coup d’éclat, de petite phrase assassine face aux contradictions des accusés, pas d’émotion. Non, vraiment, très pro.


Affaire 1

Rentre dans le box un homme noir, la vingtaine, il remonte du dépôt, il a été extrait de sa cellule à la maison d’arrêt de Saran le matin même, il est accusé de violences sur un de ses gardiens. Il vient de Fort-de-France, il a travaillé un peu dans une déchetterie puis est venu en métropole, sans trouver de véritable domicile fixe. Il a été condamné quelques fois pour des vols, des violences aggravées et il a pris 5 ans de prison ferme pour un vol à main armée. On ne comprend pas très bien ce qu’il dit, mais il est en colère, il parle avec un ton menaçant, agite les bras, invective la juge. Il n’a pas d’avocat, la victime ne s’est pas constituée partie civile, la procédure est réduite à sa plus simple expression.

Lors d’une fouille de routine de sa cellule, il n’a pas supporté le ton des gardiens, s’est opposé à la fouille, les a menacés avec ses poings et lorsqu’ils ont essayé de le maîtriser, il ne s’est pas laissé faire et a agrippé un des gardiens au cou, causant une ecchymose et quelques griffures. Les gardiens ont fini par le menotter et par le calmer avant de l’emmener au quartier disciplinaire à l’isolement. Quelques jours plus tard, lors d’une procédure interne à la prison, il est condamné à 15 jours de mitard. Le prévenu dit que ce sont les gardiens qui l’ont agressé et qui ont été violents. « Écoutez monsieur, on a le témoignage de quatre gardiens contre vous. Pourquoi avez-vous agressé ces fonctionnaires, monsieur ? », « Si j’avais voulu les agresser, personne ne m’aurait maîtrisé. Ces gars-là, ils assument rien, alors je vais assumer pour eux ». Le prévenu a refusé un examen médical après l’altercation, impossible de vérifier sa version. Il demande juste à changer de prison parce que ça va mal se passer avec les gardiens après cet épisode.

La Procureure se lève et prend la parole. Elle parle de faits désagréables, d’une agression caractérisée que « le tribunal reconnaîtra sans difficultés ». Elle demande 8 mois ferme. La juge baisse la tête, s’en suit un blanc de quinze secondes, on voit qu’elle est en train d’écrire quelque chose. « Après en avoir délibéré, la cour vous condamne à 6 mois ferme. Veuillez raccompagner ce monsieur au dépôt ».

 

Affaire 2

Rentre un homme dans le box des accusés, lui aussi comparaît détenu. Son procès devait avoir lieu à 10h30 mais comme il n’a pas d’avocat et qu’il est venu de la prison de Saran avec le précédent accusé, l’huissier propose de juger l’affaire de suite, comme ça les escortes peuvent rentrer plus tôt.

« Pas de menottes monsieur ? », « non ». « Pas d’avocat ? », « non, il ne va pas venir je crois, « vous êtes sûr monsieur ?, « oui, oui ». Le gars parle difficilement, il vit dans la Beauce profonde, il a l’air bien paumé. Il est jugé pour refus d’obtempérer en récidive, pour conduite sans permis sous l’emprise de stupéfiants, il s’est fait attraper en roulant en sens inverse dans un bled. Il vit en concubinage, il a un enfant et sa copine est enceinte d’un deuxième enfant. Lui est au chômage, elle, elle travaille, au Smic. Il a 25 mentions à son casier judiciaire, dont les deux tiers pour des délits routiers, c’est d’ailleurs pour cela qu’il comparaît détenu, il purge une peine pour un délit de fuite qui a provoqué un accident avec un blessé qui a été envoyé à l’hôpital pour trois mois.

Le soir des faits, les gendarmes voient un véhicule qui roule à vive allure, ils mettent les gyrophares pour procéder à un contrôle mais la voiture file. Ils finissent par la retrouver dans une impasse, deux cagoules ont été jetées par la fenêtre, la plaque est fausse, la voiture est vide. Après quelques minutes les gendarmes retrouvent deux gars cachés dans un bosquet non loin de là. Ils nient toute implication. Après la garde à vue, un des deux accepte la procédure du plaider-coupable, mais l’autre clame son innocence, c’est lui qui comparaît aujourd’hui. Il dit qu’il ne conduisait pas, qu’il était passager, tout comme son complice, et qu’il a de suite demandé au conducteur de s’arrêter lorsque les gendarmes ont commencé à les poursuivre. La juge lui dit que les gendarmes sont formels, il n’y avait que deux personnes dans la voiture et que le passager avait une coupe afro, ce qui est le cas de son complice. « Oui mais moi quand j’ai vu les gendarmes et que j’ai compris que le conducteur n’allait pas s’arrêter, je me suis allongé sur la banquette arrière, ils confondent ! ». « Monsieur, vous avez changé déjà trois fois de
version
», « oui mais j’avais peur, à cause de mon casier ». « D’accord monsieur, mais il est passé où ce conducteur ? C’est qui ? », « oh ça je ne sais pas, c’est un copain du passager avec la coupe afro, je ne sais pas ce qu’il est devenu mais je sais que quand on s’est cachés dans le bosquet, j’ai entendu un grand plouf, il a p’tet sauté à l’eau à côté du lavoir ? ».

La Procureure demande 6 mois ferme et la révocation du sursis précédent, rendant difficile un éventuel aménagement de peine, avec un bracelet électronique par exemple. « On n’a pas envie de vous croire monsieur, depuis 2019 vous multipliez ce genre de délits (…) le tribunal n’aura donc aucune difficulté à rentrer en voie de condamnation ». L’accusé répond : « Je suis victime d’une erreur, je clame mon innocence, je l’ai toujours clamée, c’est pas ma voiture, je l’ai jamais conduite, relevez les empreintes ! Pourquoi vous ne les avez pas relevées ? Ma femme est enceinte et c’est la galère pour aller chercher la petite à l’école ».

De nouveau un blanc de quinze secondes de la juge. Coupable. 6 mois ferme sans aménagement, 200 euros d’amende pour le sens interdit. L’accusé hoche la tête et repart au dépôt. Les escortes pourront rentrer tôt.

A suivre…

 

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