Récidive 68 : Le fond de l’air est rouge, œuvre monumentale de Chris Marker

Le festival Récidive, dans sa partie documents, a montré mardi 21 le film de montage de Chris Marker Le fond de l’air est rouge. Vaste fresque mondiale, cartographie des luttes révolutionnaires de la décennie 70, ce film rassemble tout l’esprit de 68 dans sa diversité et sa complexité. Matthieu Combe était chargé de le présenter. Magcentre l’a rencontré.

Par Bernard Cassat

Deux affiches du film


La version projetée dure 3 h, alors que la première version de 1977 faisait 4 h. « C’est la version définitive, validée par Chris Marker en 98, à l’occasion du trentième anniversaire de 68. » Ce projet, Marker l’a conçu au sein d’un collectif, SLON (Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles, créé en 1967, devenu ISKRA (Images, son, kinescope, réalisation audiovisuelle) en 74. Matthieu Combe explique : « Le film commence à être réalisé en 73. Chris Marker l’annonce comme assez ample, une réflexion approfondie sur les mouvements de contestations internationales. » Il veut cartographier tout ce qui s’est passé à Cuba, au Venezuela, en Bolivie, au Japon, en France, en Allemagne. « Il y a pour Marker la volonté de dessiner une planète entière en révolution. Il est connu pour être un cinéaste voyageur, baroudeur. Le film capte aussi cette capacité qu’il a eue à ramener des images du monde et à accepter les humeurs, les sursauts de son époque. »

A partir de rushes jamais montés


Il y a eu une différence entre le projet initial et la version de 77. Au départ, Marker avait l’idée de réaliser un montage uniquement à partir d’images documentaires. « Il voulait se baser sur ce qu’il appelait joliment les épluchures, des bouts de pellicules, des morceaux de films qui n’avaient jamais été montés dans le cadre des collectifs ». L’idée s’est précisée. « Il allait raconter les guerres révolutionnaires à partir de ces choses laissées de côté, donner à voir des images qu’on avait écartées. Et progressivement le projet change, s’amplifie, se complexifie. Marker accepte de réutiliser des images dont il s’était déjà servi au sein des collectifs ». D’ailleurs on verra des images de films qui seront projetés pendant Récidive comme Classe de lutte ou A bientôt j’espère.

Trois idées fortes pour comprendre Marker


Matthieu Combe dégage les idées-forces de ce travail gigantesque. « Le film est à la confluence de trois lignes de force qui sont au cœur des films de Chris Marker : la politique l’intéresse moins que l’histoire ; la réflexion sur l’image, qu’il a menée dans tous ses films (Il y a dans la deuxième partie du Fonds de l’air est rouge un moment où Marker commente ses propres images, et réfléchit à ce qu’il n’a pas su voir, n’a pas su filmer : « On ne sait jamais ce qu’on filme »). Et la troisième ligne, c’est celle de la mémoire.

Image de Potemkine. Photo Films sans frontières


Il a été un grand idéaliste du siècle, et on verra sans doute là le chef d’œuvre de la mémoire des années 60-70 avec une première scène sur la musique de Luciano Bério, montée à partir d’images du
Cuirassé Potemkine d’Eisenstein. Et je pense que ça marque bien ce qu’a voulu faire Chris Marker, en allant puiser dans le mémoriel, Potemkine et la révolution de 1905 en préalable à celle de 1917. Il utilise Potemkine pour se connecter dans l’esprit d’un siècle, dans l’esprit d’une génération. Il est né en 21, il est en décalage avec la jeunesse qui a fait 68, et le film réussit à restituer ce non-alignement de Marker qui n’est pas à l’intérieur de la révolution. C’est un film de réflexion et pas d’action. »

Spécificité de Récidive

Matthieu Combe et Elias Hérody. Photo BC

Le principe du festival Récidive est de présenter chaque film pour le remettre dans son contexte et apporter ainsi une dimension historique. Le délégué général, Antoine de Baeque, est d’ailleurs historien du cinéma. Pour les documentaires sur mai 68, Matthieu Combe et Elias Hérody proposent de partager leur grande connaissance du cinéma de l’époque. Etudiant en cinéma, Matthieu travaille sur les années de plomb en Italie, sujet sur lequel d’ailleurs Marker fait l’impasse. Eliaz travaille sur les Etats généraux du cinéma français. Il a toujours cherché un milieu entre ses idées politiques et son intérêt du cinéma.

Ils précisent quelques points de la vie de Marker. « Inscrit au PC depuis longtemps, il a toujours travaillé en regard du parti en des syndicats. » Mais il n’est absolument pas inféodé. Matthieu précise : « Il montre, par exemple, Castro dans une séquence amusante avec les micros. Il y a une sorte de tendresse, alors qu’une heure avant dans le film, il était très critique. » Ils mettent aussi tous les deux en avant la distance de Marker par rapport à la politique, et rappellent que Mai 68 a été un mouvement formidable, « mais aussi une grande désillusion, comme dans ce court La reprise aux usines Wonder de St Ouen, par exemple. » Et dans le film Reprise, qui passe vendredi.

Eliaz Hérody présentera Le droit à la parole, de Michel Andrieu et Jacques Kebadian, et Ce n’est qu’un début, du collectif BIP, A bientôt j’espère de Chris Marker, Grands soirs et petits matins, de William Klein.

Matthieu Combe présentera Reprise de Hervé Le Roux.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Orléans, le grand soir de Récidive 68

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