Marin Karmitz, cinéaste invité de Récidive 68, nous donne sa leçon de vie

Invité par le festival, Marin Karmitz a parlé de sa vie et du cinéma au cours d’une leçon de cinéma dirigée par Antoine de Baecque, mercredi 22 mars à Canopé. Son enfance de petit garçon juif pendant la guerre en Roumanie a été déterminante pour construire cette éthique qu’il a défendue tout au long de sa vie, donner la parole à ceux qui n’en ont pas.

Par Bernard Cassat

Antoine de Baecque et Marin Karmitz. Photo BC

Plus qu’une leçon de cinéma, c’est une leçon de vie que nous a donnée Marin Karmitz. L’histoire de la sienne, qui se confond avec son amour du cinéma. Antoine de Baecque l’a interrogé d’abord sur son enfance en Roumanie, car c’est là que tout s’est noué. « Mes neuf premières années en Roumanie, donc de 38 à 47, sont marquées par une peur profonde et permanente. Soit je me laissais emporter par cette peur, soit pour en sortir, je devenais courageux. J’ai combattu cette peur. J’ai toujours essayé de changer le monde. Que la nuit soit remplacée par le jour. » Les Juifs ont en effet beaucoup souffert en Roumanie : 700.000 avant-guerre, 350.000 après. « Des massacres terribles. Des gens pendus aux crochets de boucherie des abattoirs. On était au courant, les parents le racontaient. Mais je n’allais pas à l’école. Les Juifs y étaient interdits ! »

L’asile français

Deuxième terreur, l’arrivée des communistes. « Les Russes n’avaient plus de soldats, le gros des troupes était à Berlin. Ils ont sorti des cosaques, qui sont arrivés à cheval. Ils violaient, ils tuaient, ils pillaient, et quand ils étaient pris sur le fait par leurs officiers, ils étaient abattus dans la rue. Ensuite, avant que le PC ne prenne le pouvoir, mes parents ont tout donné pour avoir des passeports et prendre un bateau. Qui ne pouvait s’arrêter nulle part. Interdit, pour les Juifs. Heureusement la France nous a accueillis. Et pour moi, il est essentiel de maintenir ce qui fait sa grandeur. Ces mots un peu galvaudés, liberté, égalité, fraternité. Qu’on se batte pour ça. »

La judaïté et la politisation

Et puis une fois établi à Nice, la question s’est posée : qu’est-ce que c’est qu’être juif ? « Question très compliquée, avec énormément de réponses. Chacun a la sienne. La mienne : étudier le judaïsme, les textes. Prodigieusement intéressants, ils permettent de se donner des règles éthiques, des règles de vie, de morale. D’autre part, au lycée, je suis arrivé à l’UJRF, l’Union des jeunesses républicaines de France, devenue ensuite les Jeunesses communistes. J’y ai mené des combats assez vigoureux contre la guerre d’Algérie. Les responsables nous ont remis à notre place. Donc j’ai quitté. »

Le cinéma

La suite de sa vie s’est déroulée par enclenchements successifs. Fasciné par l’image, il a préparé l’Idhec, où il échoue dans la partie mise en scène, mais passe avec succès la partie technicien. « On apprend beaucoup en étant opérateur. Metteur en scène, il faut avoir du talent, c’est en plus. J’ai appris par la technique. » Il devient rapidement assistant de gens de la nouvelle vague, Yannick Bellon. Pierre Kast et Agnès Varda. Mais comme premier assistant, il n’est pas à la hauteur. Donc il est viré. Il n’a plus de travail dans le cinéma. Il se met antiquaire.

Les salles MK2 puis l’édition de films

Ensuite c’est la partie de sa vie que l’on connaît le mieux. La naissance du premier cinéma MK2, le 14 juillet en 74. « C’était le moment d’un grand regroupement sous les labels Gaumont, Pathé et UGC. Je voulais faire un lieu de contre culture, une plate forme pour les idées. Des livres, de la musique etc…. une salle qui soit un lieu de débat. Et sortir du Quartier Latin. » Après les salles, vers 1981, il est revenu à la production avec l’argent qui commençait à rentrer. A l’édition, plutôt. « Le mot producteur ne m’a jamais plu, alors que j’aime beaucoup éditeur. Aider à mettre au monde. » Et Marin Karmitz a accouché de nombreux réalisateurs de très grand talent.

Photo wiki

La mort de Pierre Overney

Autour d’un extrait de Coup pour coup proposé par Antoine de Baecque, Marin Karmitz a beaucoup parlé du cinéma militant d’alors et a raconté pourquoi il a arrêté cinéma et photos. Le film sort en 72. « Le jour de la sortie, je devais aller faire des photos à la porte des usines Renault. Et je ne pouvais pas y aller. Un jeune garçon m’a remplacé, et j’avais demandé qu’il soit protégé, parce qu’on s’en prenait plein la tête, c’était dangereux. On y allait la trouille au ventre… Et ce garçon qui protégeait le jeune photographe s’est interposé, un garde de l’usine l’a tué. C’était Pierre Overney. A partir de là, j’ai arrêté de faire des photos. A chaque fois que l’appareil photo ou la caméra étaient là, les luttes devenaient de plus en plus violentes. »

Prix Jean Zay

Vendredi soir, Marin Karmitz va recevoir le prix Jean Zay décerné par le festival, des mains de Pap Ndiaye, ministre de l’Education nationale. Le film de Abbas Kiarostami sera ensuite projeté, Ten. « Extraordinaire film sur les femmes iraniennes. Il faut leur rendre hommage, au moment où on est en train de les gazer dans les écoles primaires et secondaires. C’est un de nos combats actuels à mener. En plus, ce film est magnifique », nous dit Marin Karmitz avec toute sa fougue militante intacte.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Ciclic au festival Récidive 68

Commentaires

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  1. La présence du Ministre de l’Éducation Nationale pose problème, tout le monde le sait, mais personne ne veut en parler.
    A l’heure où ce même Ministre ferme des classes à tour de bras, et ce n’est pas seulement 1 classe fermée ici et ouverte là, ce sont des centaines de postes d’enseignants qui disparaissent, et qu’il est forcément complice de la régression (appelons un chat un chat) qui consiste à repousser l’âge de la retraite à 64 ans, sans vote à l’Assemblée Nationale, que vient-il faire à Orléans ?
    Et viendra-t-il finalement ?
    Les organisations syndicales sont au courant de sa venue. Des cars de CRS risquent d’envahir la Place de Gaulle. Et le cinéma des Carmes met la tête sous la couette en espérant que tout se passe bien !

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