René Frégni : « La littérature a pétri ma vie »

A l’occasion de l’assemblée générale des amis de l’Atelier Musée de l’Imprimerie, l’écrivain René Frégni, lauréat du “Prix Malesherbes, le libraire du Roi 2022”, a présenté aux participants son œuvre littéraire au travers d’une conférence passionnante et passionnée sur la littérature comme source de vie et de liberté.

Par Gérard Poitou

René Frégni cl M. Dubois

René Frégni a une enfance marseillaise faite d’échecs scolaires et de petite délinquance, suivie d’années d’errance avant d’être emprisonné pour désertion dans les années 70. C’est en cellule qu’il découvre « l’évasion littéraire » et la force de l’écriture pour penser sa vie. Après quelques années de travail en psychiatrie, il bâtit une œuvre littéraire qui entrelace son expérience de la vie et les auteurs comme Giono, Céline, Camus, Flaubert ou Dostoïevski. Son roman autobiographique Minuit dans la ville des songes a reçu le Prix Malesherbes 2022* récompensant « un livre qui parle des livres », René Frégni nous en parle ici.


Magcentre : Vous avez déjà reçu de nombreux prix pour vos romans mais ce dernier vous touche particulièrement, pourquoi ?


René Frégni
C’est le prix le plus démocratique que l’on puisse recevoir, la plupart des prix nationaux que l’on appelle aussi prix parisiens sont décernés par une dizaine de jurés qui se connaissent très bien et qui souvent privilégient un ami. Il y a un tel copinage que lorsque l’on reçoit le Prix Malesherbes, on est forcément touché. Cinq libraires, cinq bibliothécaires, et cinq lecteurs que je n’avais jamais rencontrés me donnent un prix à l’unanimité, 15 voix sur 15… C’est un prix tellement sain, démocratique, ça m’a beaucoup touché qu’ils votent pour mon livre.


Vos romans parlent toujours de votre vécu mais ce dernier ouvrage peut-il être considéré comme votre autobiographie ?


Celui-ci est sans doute le plus autobiographique, c’est le récit de toutes les grandes émotions de ma vie, ce sont les souvenirs les plus saillants, les plus brutaux, ceux qui m’ont secoué aussi bien dans leur beauté que dans la peur ou l’inquiétude. C’est ce qui a organisé l’homme que je suis aujourd’hui, c’est pour ça que je reviens beaucoup vers l’enfance, vers l’adolescence où les émotions sont beaucoup plus violentes qu’aujourd’hui. J’ai mis en parallèle toutes les grandes émotions de ma vie, tous les grands chocs, et parallèlement tous ces chocs littéraires : quand j’ai lu pour la première fois Camus, Céline, Steinbeck, Marques ou Dostoïevski, ça a été des chocs qui m’ont permis d’évoluer, de me transformer. Ce récit de toutes les émotions de ma vie, c’est un peu comme Ulysse qui va d’île en île, c’est un voyage à travers les émotions tumultueuses de ma vie. C’est le plus autobiographique, même si dans chacun de mes livres, je suis souvent parti d’une émotion, c’est-à-dire d’un moment autobiographique pour construire un roman imaginaire. Mais dans ce dernier livre, il y a très peu d’imagination, il y a surtout ce voyage d’émotion en émotion.

L’autobiographie n’est-elle pas une épreuve de vérité pour l’écrivain ?


Dans une autobiographie vous êtes obligé de trouver une musique un peu plus personnelle que dans les autres livres parce que lorsque l’on raconte une grande aventure ou un roman policier, le fait divers rocambolesque peut masquer un peu l’absence de style. Quand on lit des romans comme
le Livre de ma mère ou le Voyage au bout de la nuit ou l’Etranger de Camus, ce sont des livres qui sont assez proches de l’autobiographie et pourtant il y a une petite musique qui fait qu’ils deviennent extraordinaires. Il y a une musique particulière. Quand on parle de soi il faut trouver cette musique particulière qui est souvent liée à l’émotion, ce qui diffère entre les romans autobiographiques et les romans classiques, c’est qu’il faut encore être plus précis plus puissant dans le style que dans la chose racontée.


Comment définir la place de la littérature dans votre vie ?


J’ai découvert la littérature dans une prison militaire et j’ai pris conscience brusquement de la question de la liberté. Jusqu’à 19 ans, je me foutais de tout et je ne me posais aucune question philosophique : je jouais au football quand je voulais, riais avec les copains, draguais les filles, allais me baigner, faisais les 400 coups, piquais des trucs pour manger à midi et plus tard des vélomoteurs ou des motos à revendre en pièces détachées, j’ai fait tout ça sans me poser de question. J’allais où me poussait le vent et le vent me poussait vers mon désir de chaque jour, d’une liberté sauvage, rebelle… Et puis quand je me suis retrouvé entre quatre murs, brusquement tu commences à réfléchir et tu te dis pourquoi on me met là ? Qu’est-ce que j’ai fait à la société, pourquoi je n’ai plus le droit d’embrasser une fille, de taper dans un ballon ou de plonger dans la mer ? Tu te poses pour la première fois la question de ta liberté, et c’est la littérature qui t’apporte des réponses aussi bien le roman que le livre de philosophie. J’ai trouvé dans les livres à la fois les réponses à mes questions et toutes les évasions possibles à travers la poésie et le roman.


En plus de votre écriture, vous continuez à animer des ateliers d’écriture en prison, pour quelle raison ?


La littérature m’a pétri autant que la vie, et l’homme que je suis devenu je le dois autant à mes rencontres avec des femmes et des hommes que mes rencontres avec la littérature et les grands écrivains. Si je continue d’aller dans les prisons une fois par semaine, c’est que je m’aperçois qu’en apportant des livres, je transforme la vie de ces hommes qui ont une vie toute tracée dans le banditisme, dans la délinquance, dans la transgression et brusquement, quand ils prennent un livre dans la main, comme je l’ai pris moi à 19 ans, leurs vies se transforment. Ils entrent dans une vie intellectuelle et ressentent des émotions en lisant ce qu’ils ne ressentent pas quand ils sont à tourner dans une cour de prison. Je leur apprends une manière d’évasion et de réflexion.

*Le prochain Prix Malesherbes, le Libraire du roi 2023 sera remis le dimanche 17 septembre 2023 à 16h, en clôture des Rencontres du Livre.

Minuit dans la ville des songes

René Frégni
Ed Gallimard 255 p. 19,50 €

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