Jeanne et les deux Jean

Le 8 mai 2023, pendant que le Chef de l’Etat rendait hommage à Lyon au « préfet de la Résistance », Orléans célébrait à nouveau, avec la fidélité séculaire saluée en son temps par son maire Roger Sécrétain, le souvenir de la jeune Lorraine venue la libérer en 1429. Pourquoi cette ferveur toujours renouvelée ? Comment le 8 mai nous parle-t-il encore ?

Par Pierre Allorant

Jean Moulin et Jean Zay à l’Hôtel Groslot – Archives Nationales, Papiers Jean Zay

Polysémie de nos 8 mai, d’une Libération, l’autre

En 1945, les élus orléanais et la municipalité du maire Pierre Chevallier issus de la Résistance étaient confrontés à un dilemme : comment célébrer dignement la Libération de l’oppression nazie et de la Collaboration sans occulter le souvenir et faire écran à la fête de la Libératrice de leur cité ? Depuis près de 80 ans, les deux libérations sont souvent associées dans les discours et dans les esprits, particulièrement quand il s’est agi de conjurer la récupération de Jeanne d’Arc par l’extrême droite xénophobe, instrumentalisation grossière qui a pu fonctionner place des Pyramides à Paris, mais jamais à Orléans. Le modèle de cette convergence consensuelle des « voix d’Orléans » reste les discours croisés d’union nationale et démocratique de Jean-Pierre Sueur et de Jacques Chirac lors des fêtes du 8 mai 1996.

Jeunesse de la République

Mais quoi de commun entre la jeune bergère, le brillant haut fonctionnaire de la République et l’élu d’Orléans ? La jeunesse ! La jeunesse qui saisit à la vue du cliché de l’auditoire de Léon Blum qui les réunit à l’hôtel Groslot en novembre 1936. Précisément, cette jeunesse que célèbre le ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts dans son magnifique discours du 8 mai 1939 en présence du président de la République Albert Lebrun, dans une atmosphère alourdie par la préparation à l’inéluctable second conflit mondial :

« Si Jeanne d’Arc suscite ainsi une si rare fidélité dans l’hommage et la gratitude, c’est qu’elle est un puissant symbole. Symbole de l’héroïsme, de la piété, de la victoire ? Sans doute, mais aussi de la jeunesse, mais surtout de la jeunesse… les personnages prestigieux figés dans les livres de l’Histoire perdent vite tout âge humain. Jeanne d’Arc a gardé le sien. Elle a 17 ans à Orléans, 19 à Rouen. Elle s’inscrit première dans l’éblouissante lignée de ces jeunes héros dont la grâce épique a sauvé la France dans toutes les grandes heures du péril ».

Résiste !

Le plus jeune ministre et le plus jeune préfet de l’histoire de la République, l’inouïe plus jeune cheffe de guerre de l’histoire ont aussi en commun un esprit et une attitude : la Résistance. Pour les deux Jean de la République radicale, le « fait générateur » qui les convainc de renoncer au pacifisme viscéral lié au carnage de la Grande Guerre est la montée parallèle des violations hitlériennes de la sécurité collective et le champ d’expérimentation tragique de la guerre d’Espagne qui voit la France, sous la double crainte de la guerre civile et du lâchage de sa « gouvernante anglaise », se résoudre à une « non-intervention » dissymétrique, tragique pour les démocraties.

Si Jean Zay a été un « Résistant de la veille » par son refus des accords de Munich qui livraient lâchement la Tchécoslovaquie aux ambitions hitlériennes, Jean Moulin est le Résistant du 17 juin, de la veille de l’appel du général de Gaulle : à Chartres, il refuse l’ignominie raciste et sauve l’honneur de l’administration républicaine en repoussant l’attribution fallacieuse des crimes de guerre commis sur les civils aux soldats coloniaux africains. Le préfet Moulin tient ainsi les deux bouts de l’histoire de la Résistance française : la réaction patriotique héroïque et l’unification des mouvements et des partis. Comme Jean Zay, qui communique de sa prison avec les accusés du procès de Riom et avec ses amis engagés dans la Résistance, il ne pourra mettre son énergie et son intelligence au service de la France libérée : la Gestapo lyonnaise de Klaus Barbie et la Milice de Darnand et Pétain en ont voulu autrement.

Entretenir la flamme de la Résistance et de la République, de Montluc à Riom

Commémorer est indispensable à une communauté nationale dont la volonté de vivre ensemble s’appuie sur une mémoire partagée, ouverte aux nouveaux venus et aux générations qui arrivent. Elle se nourrit de lieux de mémoire, physiques ou immatériels, utiles à fixer et à rendre palpable les moments-clés et les personnages qui les incarnent.

La prison de Montluc à Lyon fixe dans ses pierres le souvenir de Jean Moulin et de tous les résistants victimes des nazis et de leurs complices. Protégée au titre des Monuments historiques, cette prison est devenue un lieu mémoriel majeur de la Seconde Guerre mondiale.

L’année 2024 célébrera la mémoire de Jean Zay, enfermé à la prison de Riom, comme Léon Blum et le général de Lattre de Tassigny et nombre de résistants anonymes. La pérennité de ce bâtiment n’est pas aujourd’hui garantie. Faisons de la prison de Riom un lieu de mémoire pour eux tous.

La République a besoin d’histoire, et d’une mémoire aussi fidèle que celle d’Orléans pour sa libératrice.

Résistons à la paresseuse tentation de l’oubli et, encore davantage, au trait empoisonné des falsificateurs de l’Histoire. Pour ne jamais en arriver à la situation de la République italienne, où le gouvernement remet en cause la légitimité du souvenir de la Libération.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : « Le Château du silence » : Jean Zay confirme son talent pour le roman policier

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