L’odeur du vent, une sublime fable iranienne

Décidément, le cinéma iranien n’en finit pas de nous étonner. Hadi Mohaghegh, réalisateur iranien, propose L’Odeur du vent, dans lequel il tient le rôle pivot d’un électricien, mais surtout d’un homme attentionné à l’extrême. Fable silencieuse visuellement somptueuse inscrite dans une nature magnifique, elle en dit long, implicitement et loin de la politique, sur l’Iran actuel.

Par Bernard Cassat

Les deux personnages, l’homme handicapé et l’électricien. Photo Bodega Films


Séquence d’ouverture absolument époustouflante, longue comme toutes les séquences du film. Un homme, coincé sur une pente, farfouille dans les pierres. Il est accroupi, mais sa posture est étrange. Quelque chose ne va pas. Il extrait une plante, une racine, un trésor, on ne sait, la range avec difficultés dans son sac à dos et se déplie… mais ne se déplie pas. Ses jambes sont atrophiées, coincées dans des angles impossibles. Il y a du Sisyphe sur son rocher. Puis on le voit, tout petit dans une très belle vallée, marchant accroupi en ramenant à chaque « pas » sa jambe avec la main. Ça fait mal, mais en même temps c’est tellement sidérant. Terrible et magnifique.

Un autre temps de narration dans une campagne d’un autre siècle

Comme tout le film. Il nous installe d’emblée dans un autre temps, celui de la narration d’une lenteur dont on n’a plus l’habitude, mais aussi, bien que l’histoire soit moderne, une campagne iranienne qu’on penserait dater de quelques siècles. Qui pourtant possède l’électricité. Et l’histoire va tourner autour. Car cet homme est non seulement gravement infirme, mais son fils, en tout cas un garçon dans sa maison, est allongé sur un tapis anti escarres, sans vie apparente sauf les yeux. Dans une scène-là aussi époustouflante, l’homme traîne ce corps sur un plastique en rentrant progressivement dans l’image, le met au soleil pour le laver. Et soudain, il n’y a plus d’électricité. Quelque chose a grillé.

Cet homme handicapé, par ailleurs homme médecine, qui ne dit pas un mot de tout le film, va partir à la recherche d’un téléphone pour appeler un électricien. Et c’est là que le film prend sens. Déjà la route pour trouver un portable est longue. Puis cet électricien arrive, constate les dégâts (une douille à changer dans le transformateur). Sans un mot lui non plus, il observe la situation. Comprend, et va se mettre en chasse pour réparer.

L’électricien fait traverser un ruisseau à un aveugle – Photo Bodega Films


Mais tout est difficile dans cette campagne iranienne, le Tchaharmahal-et-Bakhtiari, situé au centre ouest du pays. Sa quête d’une douille se déroule en plusieurs épisodes qui chacun fait appel à l’empathie sans ombre de cet homme qui donne sans compter ses efforts pour rendre service chaque fois qu’on lui demande. Conduire un aveugle qui a rendez-vous avec sa belle, lui cueillir un bouquet de fleurs, dépenser ses propres sous sans compter pour arriver au but, vendre une chèvre appartenant à son frère pour acheter un nouveau lit pour ce corps d’enfant mystérieux. Avec toutes les embûches possibles. Séquence presque humoristique de l’homme sur son âne qui remet en route la voiture que l’électricien n’arrive pas à démarrer.

La voiture en panne réparée par un homme en âne. Photo Bodega Films


C’est un conte, une fable, un fil extrêmement bienfaisant d’altruisme, des bienfaits de l’entraide, de la puissance du regard qui compatit. La force de l’image à elle seule suffit à faire passer le message. Des plans fixes, longs, cadrent superbement des paysages que l’électricien traverse lentement, loin de la caméra. Chaque image est un chef-d’oeuvre photographique. Et la dureté des situations, l’échelle des handicaps (le garçon quasi mort, l’homme aux jambes atrophiées, l’aveugle, le chef de village qui appelle sa femme décédée) absolument terrible est compensée par le rapport humain totalement désintéressé de l’autre qui vient en aide. Aucun prêchi-prêcha, bien au contraire, puisque rien n’est dit. C’est la puissance du cinéma qui porte cette parole. Qui la porte en silence jusqu’au bout, dans la rigueur austère d’images à contempler.

Ni métaphore, ni symbole de l’actualité de son pays, ce film dégage juste une grande leçon de simplicité et de proximité avec les gens, la terre. « J’ai souhaité montrer la dignité des habitants de cette région, malgré tous les problèmes et les difficultés qu’ils affrontent. Ce qui m’intéressait c’était d’approcher ces gens simples, solidaires et qui vivent dans la simplicité de la nature », déclare Hadi Mohaghegh dans une note d’intention. Mission accomplie par ce jeune cinéaste qui rajoute une nouvelle pierre étonnante au très riche cinéma iranien. Les mollahs au pouvoir devraient le regarder plus souvent.

 

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