Rapport de la Cour des comptes sur l’élevage des bovins : et si on revenait aux prairies en herbe ?

Dans son rapport, la Cour des comptes demande une réduction du cheptel. Éleveur récemment retraité, administrateur de Bio Centre et secrétaire national « viande » à la FNAB*, Jean-François Vincent estime que ce document devrait être l’occasion à saisir pour faire la transition écologique de l’élevage, en privilégiant les systèmes les plus favorables à l’environnement.

Propos recueillis par Izabel Tognarelli

Jean-François Vincent, administrateur de Bio Centre et secrétaire national « viande » à la FNAB. Photo DR


En 2021, une centaine de pays dont la France ont signé le Pacte mondial sur le méthane qui engage à baisser de 30 % les émissions de méthane d’ici 2030. Le rapport de la Cour des comptes pointe spécifiquement l’élevage de bovins mais ne parle ni des autres ruminants, ni de l’élevage intensif de volailles ou de porcs. Comment le comprenez-vous ?


Ce rapport reprend des éléments qui ne sont pas contestables. Il reprend l’importance des émissions des élevages bovins dans les équivalents CO2, en disant que cela représente à peu près l’équivalent de toutes les habitations en France. Globalement, l’élevage bovin est moins intensif que les élevages d’engraissement de volailles ou de porcs. Il est surtout intensif en lait.


Une bonne partie de ce rapport se place sous l’angle des émissions de gaz à effet de serre (GES) émis par la filière bovine. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?


Si on veut vraiment étudier ce que sont les émissions de GES de la production agricole, un peu plus de 40 % est représenté par le méthane qui est un GES très puissant. Mais pour
40 %, elles émanent du protoxyde d’azote qui vient essentiellement des engrais azotés de synthèse, de l’urée en particulier, que l’on met sur les céréales pour les faire pousser. Ces céréales représentent à peu près les 2/3 de ce que nous produisons et cela va servir de nourriture en élevage intensif. Quand on regarde les émissions directes, on ne le voit pas forcément : il faut analyser tout le cycle de production des animaux : c’est là que l’on voit l’impact de l’élevage intensif sur les émissions de GES, et encore plus sur la biodiversité. Cela fait prendre en compte un sujet beaucoup plus large. C’est ce qu’a fait la Cour des comptes dans ce rapport extrêmement intéressant.


La profession en général est néanmoins vent debout…


Si on prend pour optique l’impact sur le climat de l’élevage bovin, on va dire que, dans une première approche, peu importe la taille des élevages : ce qui va compter c’est le cheptel global. La Cour des comptes se fonde là-dessus pour dénoncer le fait que le cheptel global français de bovins (viande ou lait) ne baisse pas suffisamment à hauteur des engagements pris par la France. Mais si on ne dénonce que les « fermes des 1 000 vaches » comme principales responsables des émissions de GES du cheptel bovin, on prend le problème par le petit bout de la lorgnette. Je pense qu’il faut faire comme la Cour des comptes : faire une analyse globale. Sur ce plan, on peut tout à fait se servir de ce rapport pour appuyer une argumentation afin de faire évoluer tout le système agricole et pas simplement limiter la taille des élevages.


L’alimentation donnée aux bovins est-elle aussi à mettre en cause dans l’émission de GES ?


La digestion du ruminant se fait par un processus de fermentation, dans sa panse. Le défaut de ce système, c’est qu’il émet du méthane. 60 % de ces émissions sont du méthane entérique, issu de la fermentation de la rumination. Les 40 % restants dépendent en grande partie des intrants, de ce que l’on donne à manger à ces animaux ; notamment du soja dans les systèmes intensifs, autrement dit de la déforestation importée, une production transportée depuis l’Amazonie. Quant aux céréales, ce sont des aliments que l’on pourrait donner directement aux humains et qui, lorsqu’elles ne sont pas bio, ont été cultivées avec des engrais azotés : elles ont donc émis beaucoup de protoxyde d’azote. Quand les bovins mangent de l’herbe, quand il s’agit d’herbe de prairies naturelles, il n’y a que des avantages : elles stockent du carbone, elles purifient l’eau et émettent peu de GES.


Il y aurait donc un grand bénéfice à défendre les prairies naturelles ?


C’est dans la suite logique du rapport de la Cour des comptes. L’herbe est un aliment complet. Le problème, c’est qu’avec l’herbe, les animaux grandissent et engraissent beaucoup moins vite. C’est pour cela que l’on a de moins en moins d’animaux élevés à l’herbe. Or la seule façon de « faire » les animaux jeunes à l’herbe, c’est de faire des bœufs, c’est-à-dire des mâles castrés. Actuellement, ce que l’on appelle « viande de bœuf » est essentiellement de la vache, de la génisse ou du jeune bovin. Le bœuf doit représenter actuellement 2 ou 3 % de la production française. Un bœuf est un mâle castré vers 1 an, que l’on vend vers 3 ans. Comme il grandit doucement, on peut le nourrir à l’herbe (en hiver, il faut lui donner un peu de céréales, mais pas beaucoup). On obtient ainsi une viande rouge qui correspond aux habitudes de consommation française. En (re)faisant de la viande et du lait avec de l’herbe plutôt qu’avec du maïs et du soja, on peut maintenir des éleveurs nombreux, tenir nos engagements climatiques et retrouver une biodiversité riche.


Mais ce n’est pas du tout la tendance actuelle…


Actuellement, les veaux ne sont plus castrés ; on les engraisse intensivement à coups de céréales, de soja et de maïs, et on les vend à 18 mois, donc deux fois plus jeunes. Ces jeunes bovins (également appelés taurillons) sont élevés d’une manière très intensive, pour une viande que globalement on n’aime pas en France car elle est claire et pleine d’eau. Pour résumer, vous élevez un seul bœuf là où vous engraissez deux jeunes bovins. Faire de la viande de bœuf en lieu et place de viande de jeunes bovins serait une méthode extrêmement simple et bénéfique pour l’environnement, et pas seulement pour l’aspect GES.


Faudrait-il aussi que les consommateurs changent leurs habitudes ?


Si on n’a pas une évolution de l’alimentation, si les Français continuent de consommer toujours autant de viande, effectivement, il ne servirait à rien de baisser cette production de viande en France puisque ce serait la remplacer par des viandes d’importation. Si c’est pour avoir une intensification à l’autre bout du monde, ça ne sert strictement à rien. On se demande bien pourquoi le gouvernement ne met pas en avant le PNNS (Plan nation nutrition santé). C’est tout simple, ce n’est pas révolutionnaire, il recommande de manger au maximum 500 grammes de viande par semaine. Quant aux fruits et légumes, il faut les prendre de préférence bio car on sait que la contamination par des pesticides, même à des niveaux autorisés, finit par avoir des impacts sur la santé avec l’accumulation au fil des ans.


Qu’en est-il des importations de viande ?


On se demande bien pourquoi le gouvernement signe des traités de libre-échange avec, par exemple, le Mercosur, comme on l’a fait avec les États-Unis et le Canada. Ces traités permettent d’importer en France de la viande à très bas prix qui va concurrencer la viande française. Si l’argent de la PAC – 9 milliards en France – était mis sur la production extensive, ce type de production serait moins cher. Or 3/4 des bovins qui naissent chaque année sont exportés, soit en maigre, soit en gras. Dans le même temps, on importe des vaches, plus âgées, pour notre consommation intérieure. Avec une désintensification des systèmes d’élevage, les éleveurs gagneraient aussi bien leur vie et nous pourrions retrouver notre souveraineté alimentaire.

*FNAB : Fédération Nationale d’Agriculture Biologique

Des vaches, une prairie en herbe, une scène devenue rare qu’il faut parfois aller chercher loin – Photo I.T.


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Commentaires

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  1. Même si le contenu de ce rapport peut être intéressant, il est regrettable que la cour des comptes sorte de ses prérogatives et intervienne dans le débat politique.
    Par contre les explications de François Vincent sont très précieuses.

  2. Une itw qui remet les choses en place !I
    Un éclairage indispensable face au cauchemar de l’élevage concentrationaire défendu par la fnsea et à son miroir angélique , une forme de véganisme qui fait la fortune des industriels de l’agrochimie : d’une part , plupart des substituts aux protéines animales sont des ersatz produits industriellement -du moins pour les formes imitant la viande – d’autre part , dans fumure animale , pas de compost de qualité et donc place aux engrais de synthèse .
    Enfin La destruction du paysage bocager Qui continue de plus belle , serait accélérée plus encore par la disparition des prairies d’élevage .

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