Un succès de librairie, né sur les bords de Loire

Jean-Noël Rieffel est vétérinaire et directeur régional Centre-Val de Loire de l’Office français de la biodiversité (OFB). Son livre, Éloge des oiseaux de passage (éditions des Équateurs) est en 14e place des ventes dans la catégorie essais en ce début septembre (chiffres Edistat). Magcentre s’est entretenu avec l’auteur de ce phénomène éditorial.

Un premier récit dans lequel l’auteur mêle son amour des oiseaux à celui de la poésie, de la peinture et de la littérature Photo Izabel Tognarelli


Propos recueillis par Izabel Tognarelli


Comment parleriez-vous de votre livre si vous aviez à le présenter
 ?

C’est un petit traité de réenchantement du monde par l’observation des oiseaux et un manifeste pour restaurer une présence attentive à la nature et au monde. Je ne voulais pas faire un texte de spécialiste, même s’il y a des parties assez pointues. À travers ce texte qui touche aux émotions et au sens, j’ai voulu rendre l’observation des oiseaux accessible au plus grand nombre, ce qui me semble vraiment essentiel.


Télérama a ouvert son numéro spécial oiseaux (numéro double n°3838 et 3839, du 5 au 18 août 2023) sur votre interview
 ; les chroniqueurs du Masque et la plume ont été unanimement positifs à votre égard : votre livre est un succès tant du côté des lecteurs que des critiques.

Il est vrai que j’ai bénéficié d’une presse vraiment très favorable ; à ma grande surprise, d’ailleurs, je ne m’y attendais pas du tout, je vous le dis très humblement et sans flagornerie. En parallèle, j’ai commencé à recevoir des courriers de lecteurs qui m’ont beaucoup touché. Tous m’ont dit que mon livre leur avait beaucoup plu, qu’ils l’avaient lu très facilement. Soit ce livre leur avait fait retrouver les sensations qu’ils éprouvent au contact de la nature, soit il leur avait fait découvrir un pan de l’ornithologie que certains ne connaissaient pas, mais que je leur avais rendu accessible. Ce texte est en train de parler aux gens au sens large.


Et vous, que vous apportent les oiseaux
 ?

Je puise dans la pratique de l’ornithologie une forme de résilience. C’est aussi le propos de mon livre, qui se termine sur cette note. Les oiseaux m’apportent de la lumière, au-delà du fait qu’ils portent sur leurs ailes l’éclat de la beauté du monde. Ils m’ont consolé dans les moments difficiles ; dans d’autres moments, ils m’ont apporté de la joie. C’est quelque chose qui m’a comblé beaucoup plus que, par exemple, l’intelligence artificielle ; beaucoup plus qu’un smartphone. Les oiseaux sont pour moi une présence fraternelle. Ils sont présents dans mon quotidien ; je ne peux pas vivre sans eux, d’où l’importance de les préserver. Chacun doit tisser cette complicité avec les oiseaux et les autres formes de vie, les insectes, les animaux. Cela apporte énormément dans la vie, ça la rehausse.


Vous êtes un débutant et pourtant, vous entrez dans le monde de l’édition par la grande porte, alors même que vous ne faites pas partie du sérail…

J’ai toujours aimé écrire, mais je ne pensais pas pouvoir être publié. C’était un rêve, je ne vous le cache pas. J’écris des poèmes, j’écris de la prose, mais de là à être publié, il y a un grand pas. Oui, je suis vraiment ravi, honoré d’avoir toutes ces critiques très positives, notamment celles de Jérôme Garcin que j’admire énormément, Télérama aussi. Ce sont des références et j’avoue que je suis le premier surpris et le premier honoré. Cela veut dire que le texte parle et plaît. Un texte comme celui-là, c’est aussi une rencontre avec un éditeur. Écrire, c’est éprouver la solitude ; c’est être seul face à ses mots, à ses pensées, ses sentiments, ses émotions.


Dans votre livre, vous citez d’anciens auteurs qui parlaient des oiseaux avec lyrisme, tandis qu’à présent, reflet de notre société, les choses sont bien quadrillées : on met tout dans des tableaux Excel, dans des cases bien délimitées.

Il y a énormément de livres sur les oiseaux, ils sont formidables, mais on manque de textes littéraires qui touchent aux émotions sur les oiseaux. On a beaucoup de monographies sur telle ou telle espèce, des livres d’identification : c’est un peu austère. L’idée était de montrer un chant d’amour pour les oiseaux qui soit en même temps un cri d’alerte au sujet de leur déclin. Il faut renouer avec l’ornithologie littéraire, avec ce qu’ont apporté Paul Géroudet et Jacques Delamain que je cite et qui sont de grands auteurs. Ils ont apporté énormément dans leur manière très impressionniste d’écrire l’observation des oiseaux et l’immersion dans les paysages. Mon idée était de renouer avec cette approche, dans un état d’esprit de paysages impressionnistes, en incluant évidemment les oiseaux.


Dans la mythologie grecque, Héraclès parvient à terrasser Antée, fils de Gaïa, en le soulevant de terre, de laquelle il puisait sa force. N’est-ce pas une illustration de ce qui arrive aux humains ?

Il y a une crise de sensibilité à la nature, une perte d’expérience de la nature, nous sommes de plus en plus urbains, de plus en plus sur nos écrans, de plus en plus pressés. À mes yeux, la nature est un antidote à cette forme de modernité qui nous éloigne de l’essentiel, nous aliène et nous enlise. Pour moi, les vertus cardinales de l’existence sont le temps et l’espace. Quand on conjugue le silence, l’espace et le rapport au temps que l’on maîtrise, on renoue avec une certaine forme de liberté. Les oiseaux m’ont permis de renouer avec le silence, à avoir un autre rapport au temps, à ralentir. Sinon, on est dispersé, on papillonne, on est épileptique : les notifications un peu partout, les courriels, etc. La solitude, la contemplation, c’est ce que j’appelle un état de poésie ; c’est ce qui permet d’être en éveil vis-à-vis de la nature et des oiseaux.

Un auteur que l’on croise sur les bords de Loire, une paire de jumelles toujours à portée de mains – Photo Stéphane Hussein

C’est peut-être cela qui est à l’origine du succès de votre livre : un désir actuel de renouer avec la nature. Aurions-nous loupé l’opportunité que nous offrait le premier confinement ?

Nous n’avons pas tous vécu les confinements de la même manière. À titre collectif, je pense que nous sommes clairement dans le mur. Je le dis car je le vis au quotidien dans mon travail. Les confinements constituaient un signal d’alerte majeur qui nous disait « Attention, ce qui se passe est grave, il y a un effet papillon : ce qui se passe à l’autre bout de la planète vient ricocher jusque dans notre vie quotidienne ». Qu’est-ce qu’on tire de tout ça ? Il y a tout de même une prise de conscience, mais elle est insuffisante, au regard de l’urgence de la situation. Nous sommes dans une crise écologique majeure ; ça va très vite, beaucoup plus vite que ce que l’on pensait en ce qui concerne l’augmentation des températures, des niveaux d’eau et la disparition des espèces d’oiseaux. Le propos de mon livre était aussi de dire que notre sort d’humains est étroitement lié à celui des insectes comme à celui des oiseaux. C’est un peu le message de Saint François d’Assises : nous sommes tous liés dans cette biodiversité dont nous faisons partie. Si les oiseaux disparaissent, cela en dit long sur l’état de dégradation du monde, mais aussi sur la manière dont on l’habite.


Ne sommes-nous pas guettés par un autre danger que constitue une conception un peu mièvre de la nature, une tendance qui s’observe notamment dans des photos et des vidéos qui donnent une vision idéalisée de cette nature ?

La réalité augmentée, ces vidéos superbes vont idéaliser la vision de la nature alors que celle-ci peut être sale, elle peut sentir mauvais comme elle peut sentir très bon. La vraie nature s’exprime au fin fond de la forêt ou, moins loin, sur les bords de Loire. Passer une nuit dans la nature, c’est éprouver cette nature, c’est être à l’écoute au travers d’une expérience multisensorielle. C’est une école du regard et de l’ouïe. La nature peut être répugnante, elle peut faire peur. C’est l’expérience de François Terrasson, qui renvoie à l’imaginaire. Les chauves-souris font peur alors qu’elles sont utiles, car elles contribuent à la régulation des insectes. Le loup fait peur alors qu’il est utile, même s’il provoque des dégâts sur les troupeaux. Les rapaces comme la chouette font peur, dans l’imaginaire et dans l’inconscient, mais ils régulent les populations de rongeurs et ont un rôle crucial dans la chaîne alimentaire. La présence des chouettes dans la nuit est absolument magnifique. Quand vous voyez cette dame blanche, elle est superbe. Mais l’idéalisation de la nature peut nous faire faire fausse route.


Car la nature comporte sa part de cruauté.

Tout à fait.


Dans votre récit, vous parlez de votre enfance et de votre adolescence citadines, du décalage que vous ressentiez par rapport à vos camarades de classe. Vous avez à présent 40 ans, mais les choses n’ont pas beaucoup changé : la pression sociale pousse encore les jeunes adultes vers les écoles de commerce, vers un avenir plus bankable que garde-forestier. Que diriez-vous à de jeunes gens qui ne se retrouvent pas dans ce modèle ?

La passion et le sens de mon métier m’ont animé au cours de mes études. J’ai plein de camarades qui ont embrassé de brillantes carrières dans lesquelles ils ont fait du business, dans lesquelles ils ont gagné beaucoup d’argent. À la faveur du confinement, beaucoup de gens se sont reconvertis ou ont complètement changé de vie. Ils se sont rendu compte que l’essentiel n’est pas dans l’acquisition de biens matériels ou dans le prestige de l’emploi, mais dans le sens que l’on peut donner à son travail et dans la manière dont on le vit. À ces jeunes gens, je dirais que les sciences naturelles et les sciences du vivant ont besoin d’eux. Nous avons besoin de veilleurs du vivant ; plus que jamais nous avons besoin de personnes qui protègent le vivant. Les sciences du vivant sont un trésor, source d’immenses satisfactions, intellectuelles comme émotionnelles. Je ne jette pas la pierre aux écoles de commerce. À mon époque, on ne comprenait pas trop que je veuille travailler dans les sciences naturelles pour protéger le vivant : je passais un peu pour un hurluberlu. Aujourd’hui, avec tous les lanceurs d’alerte, notamment Greta Thunberg et Camille Étienne, on sent tout de même que, d’un point de vue générationnel, la prise en compte environnementale irrigue les plus jeunes. Après, il ne faut pas se laisser aller à la solastalgie (autre nom de l’écoanxiété) dans laquelle la peur d’un cataclysme majeur paralyse.


Alors, que pouvons-nous faire ?

Chacun d’entre nous a un rôle à jouer, quel qu’il soit, et chacun doit le remplir. C’est ce qui fait sens. Certains ont une responsabilité plus grande que d’autres, mais nous devons tous être acteurs de ce chantier majeur qui est un chantier pour l’humanité. La biodiversité est un bien commun : chacun doit s’emparer de sa préservation, à son niveau, dans son quotidien, dans sa manière de travailler, quand on peut, quand on a la chance de faire un métier que l’on aime, mais aussi dans sa manière de se loger, de consommer, de voyager, dans sa manière d’habiter le monde et la nature. Et ça, c’est à la portée de tous.


Comment résumeriez-vous votre message ?

Tout passe par les enfants. Il est crucial d’apprendre à nos enfants à s’émerveiller de la nature. L’émerveillement est le premier pas vers le respect. Il faut être en mesure de contempler la nature, par le regard (nous sommes des êtres très visuels), mais pas uniquement : il faut aussi le faire de manière tactile et par l’écoute. Ça se passe dès l’enfance et puis ça s’enrichit. Les graines semées durant l’enfance sont cruciales pour développer des « consciences vertes ». L’éveil au vivant, savoir nommer les choses, ça s’apprend et l’école ne le fait pas assez ; les parents non plus, à mon avis. Chacun d’entre nous a cette responsabilité, y compris quand un grand-père dit à ses petits-enfants : « Moi, il y a quelques années, je voyais beaucoup plus d’alouettes des champs quand je me promenais dans la campagne. Je voyais plus d’hirondelles perchées sur les fils à l’automne. Aujourd’hui, ces oiseaux sont de moins en moins nombreux ». Et d’expliquer pourquoi. Ce rapport à la nature est un témoignage de ce qu’il a vécu, de ce qu’il a pu voir. Chacun a un rôle de passeur, de génération en génération. Il est extrêmement important de développer dès l’enfance ce lien à la nature.

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