Sénatoriales, mode d’emploi

Dimanche 24 septembre, la moitié de la Haute Assemblée sera renouvelée. Or l’absence de majorité absolue confère une importance accrue à la configuration et aux positions du Sénat, désormais souvent saisi en premier des projets de loi du gouvernement.

Par Pierre Allorant


La démocratie participative des élus : le « Grand conseil des communes de France »

Parmi les échéances électorales qui suscitent peu les discussions de comptoir ou autour de la machine à café, les sénatoriales occupent une place à part, et pour cause. Scrutin indirect, il ne mobilise que le collège des grands électeurs, avant tout constitué de milliers d’élus municipaux qui forment le socle de la démocratie française.

Paradoxe : sous les radars médiatiques, cette élection nationale échappera au lancinant regret de la montée de l’abstention, puisque le vote y est obligatoire, et son absence punie d’une amende. Autre particularité : les débats récurrents sur le mode de scrutin le plus juste ou le plus efficace n’y ont guère leur place, la loi électorale distinguant assez habilement les départements ruraux (tel le Loir-et-Cher) où le ou les deux sénateurs seront renouvelés au scrutin uninominal majoritaire à deux tours (la même journée), et les départements urbains (tels l’Indre-et-Loire et le Loiret), disposant d’au moins trois sénateurs (12 à Paris) où le scrutin de liste à la proportionnelle assure une représentation pluraliste au prix d’un risque d’éloignement de la relation entre le collège électoral et les sénateurs élus qui dépendent davantage de leur parti.

La surreprésentation des élus des petites communes de moins de 9 000 habitants au sein d’un collège électoral sénatorial où la représentation communale monopolise 95 % des voix, est un héritage de notre histoire, protectrice de l’autonomie municipale. La Troisième République, désireuse de rassurer les campagnes et de les convertir aux bienfaits de la démocratie, a renoncé à remettre en cause les lois de 1875 qui avaient installé un Sénat puissant. Seule la Quatrième République a réduit le prestige et les pouvoirs de la Haute Assemblée, la privant même, un temps, de son nom pour le neutre « Conseil de la République ». Et on sait ce qu’il advint de l’ambitieux projet référendaire porté par Jean-Marcel Jeanneney en avril 1969 pour coupler régionalisation et réforme du Sénat, provoquant le départ du général de Gaulle.

Statu quo national, renouvellement régional

Si la majorité sortante du centre et de la droite au Sénat semble solidement installée, et la réélection de l’habile président Larcher assurée, l’héritier des nombreux vétérinaires, membres des « couches nouvelles » annoncées par Gambetta et fortes de la confiance des campagnes, le scrutin ne manque pas d’intérêt. Conservatoire des vieux partis marginalisés à l’Assemblée nationale depuis la déflagration de 2017, le Sénat est la scène de la permanence des clivages fondateurs entre les deux majorités de gouvernement traditionnelles.

Au plan régional, même si le scrutin prend pour cadre la circonscription départementale, les équilibres partisans ne devraient pas changer. Il faudra attendre les élections au Parlement européen pour saisir les nouveaux rapports de force. Mais l’élection du 24 septembre va marquer un renouvellement humain dans les trois départements du Centre-Val de Loire concernés cette fois. Renouvelable par moitié, pour un mandat de six ans, le Sénat remet en jeu les sièges des sénateurs des départements du 37 au 66, ainsi que de l’Ile-de-France, de l’Outre-mer et des sénateurs des Français de l’étranger ; le Cher, l’Eure-et-Loir et l’Indre ont donc encore trois ans pour réfléchir à leur représentation, si les « Rencontres de Saint-Denis » n’aboutissent pas d’ici-là à un « big-bang » institutionnel rebattant les cartes de la démocratie représentative. L’Indre-et-Loire, du fait du basculement de Tours, pourrait offrir un de ses sièges à Pierre-Alain Roiron, alors que le Loir-et-Cher pourrait nous offrir une surprise dont il a le secret aux sénatoriales.

La retraite à 42 ans de mandat : hommage à Jean-Pierre Sueur, « Homo Parlementaris » ligérien

Incarnation du Sénat dans le Loiret au XXIe siècle, depuis 21 ans, et de la passion de légiférer et de contrôler l’exécutif depuis 42 ans, avec une indépendance, une détermination, un « fight spirit » dont Alexandre Benalla conserve le souvenir cuisant, Jean-Pierre Sueur va quitter la vie parlementaire, et toute la représentation départementale en est dépeuplée. On nous permettra ici de rendre un vibrant hommage, en ces temps de dénigrement des élus et de haine de toutes les élites, au dévouement sans compter d’un grand parlementaire doublé d’un maire marquant, bâtisseur et visionnaire. Dans un département longtemps bastion de l’UMP, il a réussi à se faire réélire au premier tour par un collège où les maires ruraux ont su reconnaître la qualité de sa présence et de ses interventions. Quel que soit le résultat du 24 septembre, et en dépit des qualités incontestables des probables élus – Hugues Saury, unique sortant, Pauline Martin et Christophe Chaillou – la présence de l’universitaire linguiste et péguyste venu de Boulogne-sur-Mer va manquer au Palais du Luxembourg, lui dont l’éloquence tranquille était saluée par Jacques Chirac. Il y incarnait parfaitement l’image de sérieux et de travail serein en commission, pour peaufiner la qualité d’écriture de la loi, souvent maltraitée à l’Assemblée où, selon la formule de Jules Jeanneney, régnait le « beuglant », bien avant l’actuelle législature.

À l’instar des modérés Charles de Freycinet, Emile de Marcère et Alexandre Ribot sous la Troisième, du communiste Alain Bocquet et du centriste Jacques Barrot sous la Cinquième, et de Fernand Rabier dans le Loiret radical des années 1888-1933, Jean-Pierre Sueur aura, de la « vague rose » de 1981 à notre temps présent des violences verbales et physiques contre les élus, durant près d’un demi-siècle, porté haut les couleurs des libertés parlementaires. Si « un sénateur est un député qui s’obstine » selon Robert de Jouvenel, le Questeur Sueur a eu raison de s’obstiner : il a répondu à l’appel du grand sénateur républicain Victor Hugo : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires ».

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Commentaires

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  1. Très bon article pour rappeler l’utilité du Sénat et ne surtout pas le supprimer, comme le voulait apparemment un temps l’actuelle Majorité relative ou minorité Présidentielle (on entend les deux qualificatifs pour désigner le camp Présidentiel depuis juin de l’année dernière et les Législatives). J’ignore s’ils le veulent toujours, mais il serait bon de leur montrer un tel article pour leur faire vraiment prendre conscience de la nécessité démocratique du Sénat tel qu’il est renouvelé et installé.

    Oui le vote pour les Sénatoriales est obligatoire sous peine d’une amende de mémoire de 75€ qui tombe systématiquement en cas d’abstention ! Un grand électeur surreprésentant le Conseil Municipal d’Orléans en 2001 qui n’était pas venu voter [il venait je crois de déménager de mémoire] a dû voir arriver la prune en question. Pour info, certaines communes désignent en effet des grands électeurs supplémentaires, et certaines très petites communes n’ont aucun grand électeur si je ne dis pas de bêtise, mais j’ignore la limite entre présence ou pas de grand électeur dans la commune.
    J’étais moi-même Grand Électeur suppléant en 2001 (on désigne les Grands Électeurs surreprésentant les Conseils Municipaux par scrutin de liste à la proportionnelle au sein d’un Conseil Municipal extraordinaire ou ordinaire, et c’est donc au prorata de la force du camp dans le Conseil que la liste présentée par tel ou tel camp a ses Grands Électeurs de désignés). Je n’ai in fine pas voté, personne ne s’étant désisté. Mais j’ai pu découvrir le fonctionnement et j’ai à l’époque beaucoup appris. J’avais alors 21 ans, autant dire que j’étais un nourrisson en politique (Sourire).

    Oui aussi Alexandre BENALLA a dû avoir un souvenir cuisant de son passage devant la Commission d’Enquête parlementaire sur l’affaire qui a porté son nom. Philippe BAS ne l’avait pas ménagé, et Jean-Pierre SUEUR non plus. Heureusement qu’ils étaient là tous les deux. Parce que de l’autre côté, au Palais BOURBON, comme tout était fait pour protéger les «soldats Macroniens», ça a tourné court puisque Guillaume LARRIVÉ avait fini par claquer la porte, estimant ne plus pouvoir faire son travail correctement, à quoi je réponds qu’il avait parfaitement raison, ayant regardé certaines des auditions devant ladite Commission de l’Assemblée, et en ayant regardé d’autres devant celle du Sénat. Il n’y avait pas photo entre les deux.

    Au passage, Marlène SCHIAPPA a dû avoir les oreilles qui sifflent et doit elle aussi avoir un souvenir cuisant de son passage devant la Commission d’Enquête Parlementaire sur le Fonds Marianne et son fonctionnement. Jean-Paul HUSSON (LR), rapporteur de la Commission des Finances, et Claude RAYNAL (PS), Président de ladite Commission, ayant été Rapporteur pour le premier et Président pour l’autre de cette Commission d’Enquête, ne l’ayant absolument pas ménagée, et à juste titre puisqu’elle n’a pas cessé de se prendre les pieds dans le tapis et a répondu de manière plus qu’évasive à de (trop) nombreuses reprises.

    Du coup, oui, votre hommage à Jean-Pierre SUEUR, ovationné comme Gérard LONGUET (LR) ou Éliane COHEN-ASSASSI (CRC [Communistes Républicains et Citoyens] / PCF) par ses collègues, est ô combien mérité. Il a énormément apporté au Sénat, et si le Sénat n’avait retrouvé sa couleur d’origine, le bleu, traduire la Droite, en 2014, c’est Jean-Pierre SUEUR qui serait très probablement devenu le Président de la Haute Assemblée, le sortant Jean-Pierre BEL, arrivant alors en fin de mandat et ayant décidé de raccrocher à l’époque. L’Histoire en a décidé autrement, mais il aura marqué de son empreinte le Sénat et je ne serais pas surpris qu’une plaque commémorative ou quelque chose dans ce genre là soit fabriqué et lui soit dédié. Idem pour Gérard LONGUET et Éliane COHEN-ASSASSI.

    Je trouve que les trois vont manquer. Je ne partageais pas les idées de la Sénatrice Communiste de Seine-Saint-Denis, mais j’aimais beaucoup l’écouter et j’ai toujours apprécié son franc-parler, son fair-play, son côté très humain derrière sa force de conviction inébranlable. J’avoue avoir été surpris en apprenant qu’elle raccrochait car je ne m’y attendais absolument pas. Et pour être honnête, ça m’en a fichu un coup. Surtout en la voyant ému aux larmes lors de cette ovation et de cet hommage de Gérard LONGUET. Pareillement pour Gérard LONGUET. Pour Jean-Pierre SUEUR, étant Orléanais, je savais déjà qu’il raccrochait, donc en voyant l’ovation au Sénat, j’étais déjà préparé en quelque sorte. Pas pour les deux autres. Puissent les suivants, quels que soient leurs bords et orientation politiques, être à la hauteur et faire sur le long terme aussi bien qu’eux.

    Et vive le Sénat ! Contre-pouvoir plus qu’indispensable par les temps qui courent et où les débats sont nettement plus calmes et apaisés qu’au Palais BOURBON depuis l’année dernière et une Assemblée Nationale sans majorité absolue.

  2. Thomas, je comprends et suis d’accord avec vous. Mais sur quelles sanctions ont débouché ces auditions ? Pshiiiiit ! C’est d’autant plus frustrant. Aussi, ne vous étonnez pas si le peuple se tourne vers un extrême.

  3. Bonjour
    @Arsène, je ne pense pas qu’une commission ait un quelconque pouvoir judiciaire, donc il est logique qu’elle ne sanctionne pas, et quelle passe le relais à la Justice, la Justice fait ensuite son travail. Ca n’est pas un tribunal, le souci est la façon dont les médias l’ont présenté.
    Pour le reste, la retraite de Jean Pierre Sueur est ô combien méritée, il manquera à tout le monde, 42 ans de service public ce n’est pas rien, son travail a été énorme, je le connais depuis que je suis bébé (je suis né en 83 et sourcien), je confesse que c’est lui qui m’a donné goût à la politique , il est un exemple et il y a beaucoup à apprendre de lui.

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