Expos parisiennes : vive le noir et blanc

Malgré une rentrée parisienne artistique toute en couleur avec l’ouverture de la grande rétrospective Rothko le 18 octobre à la Fondation Louis Vuitton et celle consacrée à Nicolas de Staël au musée d’Art moderne de Paris, nous avons choisi de faire un pas de côté. Et de vous mener dans les méandres du noir et blanc également célébré à Paris cet automne avec plusieurs expositions passionnantes.

Par Bénédicte de Valicourt


Corps-à-corps. Histoire(s) de la photographie

Faire converser deux collections de photographie, l’une publique et l’autre privée? Tel est le pari pas évident, mais très réussi, du Centre Pompidou qui met en scène en face à face une partie de sa collection de photographies, l’une des plus importantes au monde (avec plus de 40 000 tirages et 60 000 négatifs) et celle de Marin Karmitz, le fondateur des cinémas MK2, collectionneur passionné. Celui-ci a rassemblé au fil de ses coups de cœur et avec les conseils avisés de Christian Caujolle, ancien directeur de l’Agence Vu, et du galeriste new-yorkais Howard Greenberg, plus de 1 500 tirages. Un ensemble en noir et blanc, sombre et mélancolique tournant autour du corps et constitué d’ensembles d’un même artiste dont le collectionneur a suivi la carrière. Une démarche pas si éloignée de celle du grand musée parisien.

Walker Evans New York 1938 1941 Collection Marin Karmitz


Il y a là plus de 500 tirages, historiques ou contemporains, qui questionnent notre perception du corps. Elles se répondent parfois dans un heureux ballet, faisant émerger des interrogations sur la place de l’individu et sur le rôle du photographe dans la construction des identités qu’il capture. Au passage, la réunion des deux collections permet également de reconstituer des séries d’un même photographe, dont Marin Karmitz ou le Centre Pompidou conservent des œuvres différentes. Marin Karmitz a toujours privilégié la « street photography » à l’américaine et ignoré l’école dite « humaniste française (Boubat, Willy Ronis, Doisneau). Pour compléter l’ensemble, quelques ex-votos ou des travaux sur la mémoire et la féminité d’Annette Messager, sont disposés ça et là, très dans le ton de ce parcours inquiet sur le corps et comme un parfait reflet du fonds Marin Karmitz.

Centre Pompidou, Paris 4e. Jusqu’au 25 mars, galerie 2, niveau 6. Tous les jours de 11 heures à 21 heures sauf mardi. https://www.centrepompidou.fr/fr/

« Noir et blanc, une esthétique de la photographie »

Vous l’avez peut-être déjà aperçue dans le métro parisien en 2021. C’est là que les commissaires de cette exposition, initialement prévue au printemps 2020 au Grand Palais et sans cesse repoussée en raison de la crise sanitaire, avait choisi de la montrer partiellement. Aujourd’hui, elle revient en majesté à la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui possède un fonds exceptionnel de photographie noir et blanc.

BNF_2023_Mario Giacomelli


Effets d’ombre et de lumière, rendu des matières dans toute la palette des valeurs du noir et blanc en passant par les gammes de gris… Le noir et blanc est, pour ses défenseurs, un gage absolu d’excellence plastique et graphique, de poésie et de mise à distance symbolique. Il est aujourd’hui en pleine renaissance.

La preuve en image à la BnF, qui a patiemment construit au fil des ans une collection exceptionnelle de photographies en noir et blanc et œuvre depuis toujours à sa défense. L’exposition chronologique, débute par une salle sur les origines du noir et blanc, une esthétique en soi qui apparait comme une ligne de force dans la création photographique depuis plus d’un siècle et demi. Puis, elle s’intéresse aux contrastes, avant de mettre l’accent sur les jeux d’ombre et de lumière, les nuances de matière et la photo de nuit. Avec ça et là, des focus sur le blanc représenté par des photos de neige. Ou le noir, proche comme le montre l’exposition, du dessin et du graphisme. Tout un parcours, où l’on croise les plus grands noms de la photographies comme Nadar, Man Ray, Ansel Adams, Willy Ronis, Helmut Newton, Diane Arbus, Mario Giacomelli, Robert Frank, William Klein, Daido Moriyama, Valérie Belin aux côtés de photographes moins connus mais tout aussi talentueux. Soit plus de 207 artistes de 37 pays, présentés côte à côte dans une approche esthétique et sensible et sans aucune contrainte chronologique. C’est parfaitement réussi, grâce à la qualité des photographies exposées mais également à l’attention portée à la qualité des tirages, à la variété des techniques présentées et des papiers photographiques (tirages pigmentaires, gommes bichromatées, gélatino-argentiques barytés…).

Bnf, site François Mitterrand jusqu’au 21 janvier 2024. www.bnf.fr

« Trésors en Noir et Blanc »

Vous ne savez pas ce qu’est une estampe, cette technique d’impression faite à partir d’une gravure ?

200 feuilles des plus grands maîtres du genre, de Dürer à Rembrandt, à Callot et Goya, entre autres, sont remontées des réserves du Petit Palais, qui en possède une collection extrêmement prestigieuse. Elle est le reflet du goût de ses donateurs, les frères Auguste et Eugène Dutuit et du conservateur Henry Lapauze, à l’origine d’un musée de l’Estampe moderne créé en 1908 au sein du Petit Palais.

Jacques Callot Les deux pantalons


C’est un évènement à ne rater sous aucun prétexte, tellement les œuvres exposées sont belles et très rarement sorties de l’ombre en raison de leur grande fragilité. Il y a là des pièces très rares, d’une qualité exceptionnelle et c’est une occasion unique de les voir, tout en découvrant un panorama inédit des techniques du XVe au XXe siècle. On est franchement ébloui. A condition de prévoir du temps pour s’attarder devant chaque œuvre et avoir le temps d’admirer en toute quiétude chaque détail, feuillages, muscles des animaux, villes très travaillées… Ce travail, de très grande précision et hautement technique a permis dès le XVe siècle de diffuser l’art, tout en ouvrant aux artistes une fenêtre sur le travail de leurs contemporains, sans qu’ils aient à se lancer dans de longs et parfois dangereux voyages.

Petit Palais jusqu’au 14 janvier. www.petitpalais.paris.fr


Et aussi:

– Portrait éphémère du Japon, photographies de Pierre-Elie de Pibrac

Yakuzas, rescapés de Fukushima ou personnes « évaporées » ayant opté pour une disparition volontaire. Pierre-Elie de Pibrac a sillonné le Japon entre décembre 2019 et août 2020. Il y a engagé une correspondance assidue avec des personnes dont il voulait raconter l’histoire, avant de les photographier en décors et lumières naturels. Un processus qui lui a permis de briser avec patience la glace, dans un pays où les gens ne se livrent pas facilement. En parallèle, il a photographié en noir et blanc le Japon éternel des chutes d’eau, des étangs ou des canopées denses vides d’êtres humains. Un renvoi à la tradition de l’uyiko-e, art subtil de l’encre et des gravures sur bois et à la conscience aiguë de la précarité de l’existence, omniprésente au Japon.

Au musée Guimet jusqu’au 15 janvier 2024. www.guimet.fr

– « A partie d’Elle. Des artistes et leur mère ».

Qu’il soit question d’interroger la « normalité du normal » comme Michel Journiac. Ou de faire corps une dernière fois avec sa mère, à l’image de l’artiste et photographe sud-africaine Lebohang Kganye, dans sa série « Ke Lefa Laka Her-Story » … La mère, dans son tête à tête avec chaque artiste, est au centre de cette exposition. Entre critique sociale, quête de soi, conjuration ou apaisement, réalité de la présence ou effets de l’absence, les images mettent en jeu la question de la filiation et ce qu’il en reste. Avec, pour chacun des 25 artistes, une vision esthétique tout à fait personnelle, mâtinée souvent d’humour et parfois d’irrévérence.

Le Bal, jusqu’au 25 février 2024. 6 impasse de la Défense, 75018 Paris.
Tél. : 01 44 70 75 50 www.le-bal.fr

Image de une : BNF_2023_Ray K. Metzker

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