Éric Cénat se confie avant la création de « Dorphé aux Enfers-Orléans 69 »

Coproduite par le CDN d’Orléans, la pièce « Dorphé aux Enfers – Orléans 69 » créée par le théâtre de l’Imprévu, et qui s’inscrit, par pure coïncidence, dans l’actualité immédiate, sera présentée au Théâtre Gérard-Philipe à Orléans la Source, les 23 et 24 novembre. Magcentre a rencontré le metteur en scène Éric Cénat.


Propos recueillis par Bernard Thinat

Magcentre : Qu’est-ce qui vous a amené à choisir le thème de la rumeur d’Orléans au théâtre ?

EC : Etant natif d’Orléans, la première fois que j’en ai entendu parler, j’étais adolescent. Au moment de la rumeur, ma mère était professeur au lycée Jean-Zay, elle a donc été en quelque sorte dans « le cœur du réacteur » de la rumeur puisqu’elle a dans un premier temps été propagée par des lycéennes de la ville. C’est quelque chose qui m’a marqué. J’ai découvert ce qu’est l’antisémitisme, d’une part à travers la rumeur, d’autre part avec une série US « l’Holocauste » diffusée en 1979 que notre Professeur d’allemand nous avait demandé de regarder à la télévision. C’est donc à ce moment que ma mère me parle de la rumeur et je fais le lien avec la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Cela m’a profondément touché comme on peut être touché à l’adolescence. Mon intérêt est aussi venu par un documentaire au début des années 80, produit par la MCO d’Orléans, « Une vieille histoire », et cela renforce ma curiosité pour la rumeur d’Orléans. Je regarde où sont les magasins incriminés, je sens la rumeur autour de moi, elle ne m’obsède pas, mais avec le Théâtre de l’Imprévu, j’ai eu la conviction qu’il fallait faire quelque chose, mais j’en ai toujours repoussé l’idée.

 

Éric Cénat – Photo B.T.


Magcentre : Quel est alors le déclic qui vous a permis de vous lancer dans ce projet ?

Lors du premier confinement, j’ai eu du temps de réflexion, et un week-end, « je me noie » dans la rumeur d’Orléans. Mais comment faire ? Qui pourrait écrire un texte ? Et avec mon épouse, Claire Vidoni qui est comédienne et qu’on retrouvera sur le plateau, on pense à Luc Tartar. Je le connais bien, son goût pour l’histoire, pour l’adolescence, je sentais une affinité entre nous, et en juillet 2020, nous nous sommes rencontrés à Paris et il m’a donné son accord. Après avoir obtenu une subvention de Ciclic, l’agence du livre et du cinéma en Région Centre, en mai 2021, Luc Tartar est venu à Orléans pour un premier mois de résidence. Il a arpenté la ville, s’est rendu au Cercil. Il a pris des notes, est revenu fin septembre 2021 et pendant deux mois, il a finalisé la pièce dont on a fait une lecture au CDN en décembre. Pour moi, cela vient de loin, c’est une longue histoire.


Magcentre : Sans trop en dire, quelle est la structure du texte ?

Il y a 26 tableaux en deux parties, la première qui fait les deux tiers de la pièce a trait à la rumeur de 1969, et la seconde tire un fil vers aujourd’hui. Certes, la rumeur de 69 s’est éteinte, mais les rumeurs circulent aujourd’hui d’autant plus qu’on a les réseaux sociaux, et une rumeur devient vite mondiale. On parle de fake news, de théorie du complot, de choses absurdes, violentes, méchantes, qui secouent nos sociétés, et il fallait faire le lien.


Magcentre : Que verra-t-on sur scène ?

J’avais demandé à Luc Tartar, deux comédiennes et deux comédiens. Il m’a fait remarquer que lorsqu’on parle de rumeur, on pense à la foule. Il a donc imaginé treize rôles, ce qui permet à chaque artiste de jouer 3 à 4 rôles sur les deux temporalités, ils doivent prendre un nouveau corps, une nouvelle voix, c’est un challenge magnifique pour eux.


Magcentre : Vous pouvez expliquer le titre, « Dorphé aux Enfers » ?

Dorphé fait penser au mythe d’Orphée. Mais Dorphé était le nom d’un des 6 magasins qui ont été mis en cause par la rumeur, situé rue du Chariot, un magasin très moderne, post 68, où ma mère aimait bien aller parce que c’était à la mode, c’était une autre façon de s’habiller après le choc sociétal de mai 1968. Et ce fut le magasin le plus impacté par la rumeur parce que le 31 mai 1969, la veille du 1er tour de l’élection présidentielle, plusieurs centaines de personnes se réunissent devant Dorphé aux cris de « Mort aux Juifs », on est au bord du lynchage. Avec Luc Tartar, le magasin Dorphé nous est apparu comme le point central avec ce nom qui rappelle la mythologie. Luc a donc voulu une héroïne, une adolescente, qui dise non à la rumeur, et qu’il a appelée Eurydice, qui va aller à la rescousse du commerçant, et qui va peut-être se perdre aussi comme Eurydice en Enfer, se brûler les ailes parce que c’est un choc terrible pour elle, un peu comme Antigone. La mythologie qui fait appel à nos fondements, était pour nous importante parce que la pièce ne pouvait pas ne concerner qu’Orléans, le nom de la ville n’étant cité qu’une ou deux fois.

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Magcentre : Il y a donc une dernière partie qui évoque le temps présent…

On est au temps des réseaux sociaux. C’est l’histoire d’une jeune fille qui s’appelle Jade, lycéenne, qui va trouver le journal que sa grand-mère, Eurydice, a écrit au même âge en 1969. Elle a un petit copain qui va s’en emparer via les réseaux sociaux, un peu pour s’amuser, et tout va lui échapper comme la rumeur, et engendrer des conséquences.


Magcentre : Après le Théâtre Gérard-Philipe, une tournée est prévue ?

Le spectacle va repartir en février, puis lors de la saison suivante. On ira à la Chapelle-Saint-Mesmin, à l’Université d’Orléans, Issoudun, dans le Loir-et-Cher en milieu rural, au mémorial de la Shoah, à celui de Drancy, Beaune, Auxerre, Dijon…


Magcentre : Le CDN d’Orléans est dans la co-production, comment s’est traduite son aide ?

Le CDN, avec sa directrice Séverine Chavrier, a soutenu le projet dès le départ. Il a accueilli Luc Tartar pour deux soirées lors de sa résidence autour de la sortie d’un roman, « Clémence », publié par la maison d’éditions orléanaise Infimes. Il y a eu une soirée au cours de laquelle on a lu des textes de Luc Tartar. La première lecture de « Dorphé » a eu lieu au CDN qui a assuré la co-production, et les deux premières représentations sont incluses dans la programmation du CDN. Cela a été un soutien très fort pour nous.

« Dorphé aux Enfers – Orléans 69 »

Jeudi 23 novembre à 20 heures 30
Vendredi 24 novembre à 19 heures 30
Théâtre Gérard-Philipe – Orléans la Source
Durée 1 heure 30

Texte Luc Tartar
Mise en scène Éric Cénat
Assistante à la mise en scène Élisa Habibi
Jeu Tristan Cottin, Laura Segré, Nicolas Senty et Claire Vidoni
Scénographie et costumes Charlotte Villermet
Création lumière Vincent Mongourdin
Création sonore Christophe Sechet
Régie générale Stéphane Liger et Nicolas Sochas
Construction décor Jean-Paul Dewynter
En collaboration avec la maîtrise de Léonard / Chœur d’enfants de la musique de Léonie

Jeudi 23 novembre à 18h
De la rumeur à sa représentation
Rencontre avec Luc Tartar et Éric Cénat
– Auditorium du Musée des Beaux-Arts
en partenariat avec l’Association Guillaume Budé

Mardi 28 novembre à 18h
Rencontre autour des archives audiovisuelles (INA) de la rumeur d’Orléans
CERCIL – Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv, entrée libre sur réservation
02 38 42 03 91 – (COMPLET)

Dimanche 26 novembre à 18h
La Rumeur (1961 – 105 mn) – de William Wyler
Cinéma Les Carmes

Plus d’infos autrement sur Magcentre : « Quand les héros des uns sont les bourreaux des autres… » au CDN tourangeau

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  1. Éric Cénat est un grand metteur en scène mais pas seulement c’est aussi un diplômé d’histoire son mémoire sur la libération “du théâtre d’Orléans “par les américains en témoigne et son engagement contre l’ignorance et l’antisémitisme ne date pas d’hier plusieurs des créations du Théâtre de l’imprévu traitent ce sujet et les distributions sont très minutieuses sûr que DOrphée sera du même acabit

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