« Past Lives, nos vies d’avant » : la puissance des amours enfantines

Ceux qui ont émigré ont évidemment une coupure nette dans leur vie. C’est le cas pour Celine Song, réalisatrice coréenne du sud venue au Canada vers 12 ans avec ses parents. Elle s’est à nouveau exilée à New York pour réaliser toutes ses ambitions artistiques. Son premier film nous raconte la force des liens de l’enfance et la place du souvenir.

Par Bernard Cassat

Nora et les deux hommes de sa vie. Photo Twenty Years Rights LLC


Une image formidable ouvre le film, trois personnages dans un bar, filmés de face, et une voix off qui se demande qui ils sont, comment ils vivent, quelles sont leurs relations. Toute la première partie du film raconte le parcours de deux d’entre eux, les deux asiatiques. En montrant quelques moments clefs axés sur des détails, le choix des prénoms occidentaux, la forte relation des deux enfants qui reviennent de l’école ensemble, leurs jeux dans des jardins publics, choisis pour leurs sculptures peu ordinaires. C’est très léger dans de belles images un peu passe-partout mais efficaces. Avec un côté pub pour McDonald’s très réussi. Images touchantes, déliées, comme la rencontre entre Nora et Arthur, son futur mari, sous un arbre éclairé par une guirlande très douce. En quelques secondes, elles installent une ambiance, un climat relationnel. Sur un rythme qui remplit totalement l’attention du spectateur. Ça fonctionne brillamment. Ça se complique un peu quand les différentes périodes de l’histoire s’introduisent dans la narration, on n’est pas sûr de bien saisir mais on sait que la suite va tout éclaircir.

La séparation en Corée. Photo Twenty Years Rights LLC


Une fois le passé installé, le présent peut s’en souvenir. Le présent, c’est la venue à New York de Hae Sung, devenu ingénieur et récemment célibataire. Nora et lui nous entrainent dans une visite touristique de New York, alors qu’ils se racontent leurs vies respectives après le départ de Nora. Ce passé commun devient vraiment un vert paradis des amours enfantines. Mais ni lui, ni elle n’en parlent vraiment, ne le nomment, ne le définissent. Le passé reste clos. Le film explore la puissance du souvenir, capable d’obliger à relire toute sa vie, à se reposer les questions fondamentales de l’amour et du sens. Une recherche non pas du temps perdu, mais du sens de son écho. Qu’est-ce qu’ils vont pouvoir faire de ce souvenir commun, alors que Nora comme Hae Sung, qui sans doute le savait plus qu’elle, découvrent que la relation de leur enfance était de l’amour. Cette découverte les bouleverse et pose évidemment le rapport avec leurs amours adultes, la puissance et la beauté de l’un comparées à la vérité complexe l’autre.

Celine Song ne rentre pas dans les réponses, mais indique seulement l’intense émotion qui accompagne ces questions. Beaucoup de regards, beaucoup de silences. Et des mots derrière les mots. Le retour à cette image du début, dans le bar, désormais sans voix off mais avec de vrais dialogues entre les trois personnages. Ils amènent à la scène déchirante, devant un rideau de garage bleuté dans une rue de l’East Side la nuit, où Hae Sung et Nora savent qu’ils rejouent leur vie. Que vont-ils choisir, puisque dorénavant c’est d’un choix qu’il s’agit ?

L’intense moment du choix. Photo Twenty Years Rights LLC.


« Nos vies d’avant » est à la fois intense et très léger. Les deux acteurs, Greta Lee dans le rôle de Nora et Yoo Teo dans celui de Hae Sung ont une présence à l’écran presque antinomique. Greta joue la superficialité d’une petite fille feinte, souriant de tout, utilisant tous les tics des filles d’aujourd’hui, secouant ses cheveux, plissant le nez. Lui est très grave, très profond, regards intenses et lourds pleins de significations implicites. Même dans les attitudes, il est lourdaud, comme pour montrer tout le temps son amour encore présent qui le rend mal à l’aise. Ils font passer l’émotion avec simplicité. Qui atteint un sommet dans la scène finale, que Celine Song fait durer pour rajouter une intensité supplémentaire. Son style enlevé, presque détaché, raconte joliment le va-et-vient entre la Corée et New York, va-et-vient qui est aussi temporel, qui fut sa vie, et les questions de l’amour et du couple qui la remplissent. Nora dans le film réalise ses ambitions artistiques, Celine dans la vie est bien partie pour faire de même.

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