Sucrine du Berry : menace sur un légume local

Vieille variété régionale apparue dès le 19e siècle dans nos contrées, cette courge subit depuis une quinzaine d’années une dégénérescence s’éloignant de sa forme et de ses caractéristiques décrites dans les années 1980-1990. Dans le Cher, l’Union pour les Ressources Génétiques du Centre-Val de Loire (URGC) a lancé un plan de sauvegarde pour retrouver les origines de la cucurbitacée.

Venue d’Amérique latine aux 17e et 18e siècles, la Sucrine du Berry fait partie du patrimoine légumier de la Région Centre-Val de Loire estimé à des centaines de variétés. Photo URGC.

Par Estelle Boutheloup


Elle se vend partout en France : des étals des marchés à ceux des hypermarchés. Ronde, allongée, ovale, striée, orangée, jaune très pâle… elle est multiforme et multicolore. Et c’est bien là le problème. « Depuis 10-15 ans, la sucrine du Berry perd ses caractéristiques décrites dans les années 1980-1990. Et si l’on n’agit pas maintenant, cette courge risque de disparaître par dégénérescence », explique Lucie Bourreau-Gomez, chargée de mission ingénieure des races et variétés locales à l’Union pour les Ressources Génétiques du Centre-Val de Loire (URGC).

Il faut attendre sa redécouverte dans les années 1980 pour disposer de quelques éléments sur cette variété locale, « voire paysanne, c’est-à-dire non créée par un semencier. » Débarquée d’Amérique latine aux 17e et 18e siècles, cette courge de la famille des sucrières du Brésil est alors cultivée par les paysans partout en Europe au cours des 19e et 20e siècles. « D’où sa grande variété. » Dans le Berry, la sucrine, sucrette dans le patois local, est vraisemblablement sélectionnée par des jardiniers de la région qui la cultivent communément comme les pommes de terre pour les soupes et les pâtés en pâte feuilletée, avant d’être oubliée dans la seconde moitié du 20e siècle. « Elle n’est pas très développée et évolue selon le principe de la sélection. »

Une nouvelle sélection de souches

Multiforme et multicolore, la sucrine du Berry subit une dégénérescence depuis une quinzaine d’années. Photo URGC


C’est la foire aux potirons et légumes rares de Tranzault, au sud de Châteauroux (Indre), qui va la remettre au goût du jour ! « C’est un particulier qui va la repérer et la faire goûter. Le succès est immédiat dans toute la région. » À tel point que des semenciers professionnels bio vont commercialiser partout les graines de cette cucurbitacée reconnaissable à sa forme pyramidale ou de poire, sa couleur crème et cuivre, côtelée avec une peau lisse et une chaire orange vif au goût doux et moins sucré que le potimarron. « Aujourd’hui, pour être vendus, les légumes doivent être inscrits au catalogue officiel des variétés et une fiche descriptive propre doit être fournie. Mais à l’époque, à la fin des années 1980, la sucrine ne sera pas décrite », poursuit Lucie Bourreau-Gomez.

« Le but est donc de réintroduire la sucrine des années 80 sur le territoire et qu’elle soit recultivée. La sucrine n’est pas en danger mais il y a une alerte depuis 4 ans. » Pour cela un plan de sauvegarde a été lancé par l’URGC, association qui veille à la sauvegarde des variétés et races locales, pour qu’elle retrouve sa forme et ses caractéristiques. Ainsi, en 2022, l’URGC a repris contact avec des maraîchers, restaurateurs, jardiniers et particuliers qui connaissaient bien la sucrine pour en établir une description d’origine. Cette année, il a été demandé à un grand nombre de décrire les sucrines de leurs jardins en indiquant où ils avaient acheté les semences. « L’objectif est de s’approcher de la sucrine historique en sélectionnant 20 souches maximum ». Souches qui seront comparées les deux ans à venir en les cultivant chez un producteur de semences local. « Nous pourrons ainsi décrire et identifier précisément les souches et une fiche descriptive de référence sera alors établie. »

Le patrimoine légumier, « Trésors vivants »

À Orléans, la ferme urbaine 9TER a volontiers participé. Avec une production de 320 kg cette année, la sucrine fait partie des 130 variétés de légumes anciens et bio vendus ici à la ferme. « Je savais qu’il y avait une déperdition du type et qu’il y avait un travail de présélection à faire », explique Vincent, chef de culture. Aussi, avec son collègue Malo, il va alors répondre au questionnaire de l’URGC sur le lot de l’année : « Caractéristiques physiques de la courge – forme, couleur, taille du pédoncule, striée ou non, diamètre de la cicatrice florale, numéro du lot pour la traçabilité… – et données sur un lot de graines fournies par les semenciers. Il est vrai qu’ici nos sucrines ne sont pas homogènes… » Une expérience que la ferme poursuivra l’an prochain avec d’autres variétés anciennes comme la tomate boulette de Tours, le radis rouge d’Orléans, ou encore la laitue brune percheronne.

Vincent et Malo cultivent la sucrine du Berry sur la Ferme 9TER à Orléans.
Photo Estelle Boutheloup

Un patrimoine légumier estimé à plusieurs centaines de variétés en Région Centre-Val de Loire dont une bonne partie a été retrouvée : « Sur cette estimation, nous sommes sûrs que 85 d’entre elles sont locales dont 79 sont menacées, liste Lucie ajoutant, 30 variétés ont été retrouvées et nous en avons les graines, reste encore 50 pour lesquelles nous cherchons… Si elles existent elles sont chez les particuliers qui ne savent pas qu’ils possèdent des variétés rares. Et si une seule personne arrête de produire des graines, on ne pourra plus en trouver… »  

C’est pourquoi, pour préserver ce patrimoine légumier mais aussi fruitier et animal issu de la biodiversité domestique, l’URGC a créé en octobre dernier la marque « Trésors vivants » pour repenser les produits du terroir comme l’agneau Solognot, la poule noire du Berry, le haricot Comtesse de Chambord ou la pomme Cravert. Une démarche de préservation du patrimoine mais aussi de développement d’une agriculture paysanne en bas de chez nous. 

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Commentaires

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  1. Merci à Mme Estelle Boutheloup pour ce très intéressant article au sujet de la célèbre berrichonne. Affaire à suivre. La photo d’introduction est une belle nature morte.

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