Alerte au Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile de Tours !

La détresse des travailleurs sociaux du CADA de Tours face aux pressions préfectorales révèle une réalité alarmante. Les directives visant à libérer des places pour les Jeux Olympiques génèrent une catastrophe sociale. La quête d’une image parfaite pour les JO semble primer sur la compassion, soulignant l’impact inhumain de ces décisions administratives.


Le billet de Joséphine

« Il faut que la Préfecture comprenne qu’on n’est pas que des simples exécutants. On a une conscience professionnelle, on ne va pas tout accepter. Si on fait ce métier, ce n’est pas pour gérer des flux, mettre des gens à la rue et les maltraiter. On y croit nous, au droit international, à la dignité des personnes et à la solidarité entre les peuples, ce ne sont pas juste des idées en l’air ou un slogan. C’est vrai que on ne fait pas de vagues, qu’on n’a pas la culture de la grève parce qu’on a trop peur que les personnes que l’on accompagne en pâtissent, mais là ce n’est plus possible ». Ce témoignage d’un travailleur social du Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) de Tours traduit bien l’état d’esprit actuel des équipes qui s’occupent au quotidien de l’hébergement et de l’accompagnement d’une partie des populations migrantes.

Des procédures qui se complexifient constamment

Depuis la présidence Sarkozy, c’est l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) qui est en charge du premier accueil des demandeurs d’asile arrivant sur le territoire. L’OFII joue d’abord le rôle de plate-forme de redistribution de ces demandeurs dans toute la France afin de désengorger certaines villes, notamment Paris et les cités frontalières. L’Office dispose ainsi dans chaque département de Structures de Premier Accueil des Demandeurs d’Asile (SPADA) pour accompagner les personnes qui entendent déposer une demande d’asile. Elles sont alors enregistrées et dirigées vers l’institution qui s’occupe de l’instruction des dossiers et de l’attribution ou non du statut de réfugié : l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) puis la Cour Nationale des Demandes d’Asile (CNDA) en cas d’appel. Les SPADA orientent également les demandeurs vers une structure qui doit proposer des solutions d’hébergement le temps que l’administration apporte une réponse à la demande d’asile, ce qui peut prendre de 6 à 36 mois… Pendant ce laps de temps, ce sont donc les CADA qui doivent mettre à l’abri les demandeurs et leur proposer un accompagnement social et sanitaire ainsi qu’une formation à la langue française. C’est cependant directement l’OFII qui gère le versement de l’Allocation pour Demandeur d’Asile (ADA), soit 207 euros par mois par personne si elle est logée par le CADA ou 432 euros par mois si la personne n’obtient pas de logement, ce qui de fait la pousse à travailler – au noir – pour tenter de survivre et ne pas se retrouver à la rue, la somme allouée étant de toute évidence insuffisante.

Le plus souvent, l’OFII passe des conventions via les Préfectures avec des associations spécialisées qui prennent alors en charge les demandeurs d’asile et reçoivent des financements en contrepartie. En Indre-et-Loire, comme dans 22 autres départements, c’est Coallia, association crée en 1962 et reconnue nationalement pour ses compétences en la matière, qui est la principale délégataire des missions de l’OFII et qui gère un des deux CADA de l’agglomération tourangelle. Coallia s’occupe donc de 130 places d’hébergement, à savoir, une trentaine d’appartements dispersés qui accueillent soit des hommes ou des femmes isolées, soit des familles. Ces logements sont loués aux bailleurs sociaux locaux « mais en réalité, leur nombre est insuffisant, les besoins sont bien supérieurs à l’offre. Les demandeurs d’asile qui attendent qu’un hébergement stable du CADA se libère se retrouvent en situation d’errance. Ils changent de ville ou font appel au 115. Ils obtiennent parfois des nuitées dans un hôtel social et alternent avec des périodes à la rue ou de prise en charge par des associations comme le Réseau Éducation Sans Frontières, Chrétiens Migrants ou Emmaüs, quand ils ne finissent pas dans des squats tenus par des marchands de sommeil », explique une salariée du CADA.

Une fois la demande d’asile traitée par l’OFPRA, deux issues sont possibles. Soit la personne est reconnue réfugiée, elle dispose alors au maximum de 6 mois pour quitter son hébergement géré par le CADA. Elle peut ainsi s’organiser pour rejoindre un Centre d’hébergement Provisoire (CPH) – 60 places saturées à Tours – ou trouver un logement de manière autonome, via une demande de HLM ou autre, demande en général assez longue à traiter car là aussi, l’offre est insuffisante. Soit la personne est déboutée de sa demande d’asile et elle signe un contrat de séjour avec le CADA, ce qui lui permet de disposer d’un mois supplémentaire pour quitter son hébergement. Pendant ce délai, le débouté peut déposer une demande de titre de séjour à la Préfecture, sinon, il reçoit automatiquement une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF).

« Il faut nettoyer les rues de Paris avant les JO »

Conforme à sa tradition humaniste et à ses missions d’aide, Coallia ne met personne dehors, y compris lorsque les délais légaux sont dépassés, ce qui arrive très régulièrement, même si des rappels fermes et réguliers sont faits pour que le débouté du droit d’asile trouve une solution. D’ailleurs, périodiquement, des commissions spéciales se réunissent autour de Coallia avec des représentants de la Préfecture et de la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) afin de les trouver, ces solutions et éviter toute sortie sèche du dispositif CADA, « ce qui est souvent synonyme de mal-logement, de travail au noir, de manque de soins et de clochardisation, avec le risque de glissement vers la petite délinquance et la détention, administrative ou pénale », analyse un travailleur social.

Sauf que depuis quelques semaines, le message de la Préfecture est clair : il faut faire de la place, expulser avec le concours de la force publique les personnes en fin de contrat séjour CADA, et cela pour accueillir des demandeurs venus de Paris et ainsi désengorger au plus vite la capitale en vue des Jeux Olympiques, pensés comme une vitrine de la « marque France » par un Emmanuel Macron qui entend laisser une trace plus valorisante dans l’Histoire que sa gestion des Gilets Jaunes ou du recul de l’âge de départ à la retraite imposé aux forceps.

« On assiste depuis peu à Tours à des expulsions sèches des hébergements CADA, sans aucun suivi ni solution, y compris dans un contexte de temps froid et pluvieux, la trêve hivernale ne s’impose pas à ce type de logement. On reçoit également des demandes absurdes de requalification de logements, ceux dédiés aux familles devant être de toute urgence transformés en accueil de personnes seules débarquées de Paris, ce qui pose des problèmes d’aménagement et… quid des familles, en fait ? On subit aussi des pressions pour attribuer malgré tout les logements insalubres de notre parc, avant la conduite des travaux nécessaires par les bailleurs, même en cas de fuites d’eau importantes ou d’invasion de blattes », confie un professionnel assez atterré.

Bref, peu importe comment, il faut faire place nette, garantir le turn-over, assurer coûte que coûte la souplesse des dispositifs au détriment de la stabilité de l’offre et des intérêts des personnes. Au diable le prix humain ou les risques que l’on fait courir aux personnes et plus généralement à la société, en termes de sécurité ou de santé publique. La barbarie bureaucratique dans toute sa splendeur, en fait.

Chronique d’une catastrophe annoncée

Des personnes déboutées avec des problématiques psychiatriques se retrouvent à la rue, avec des difficultés pour suivre des soins, rarement hospitalisées, là aussi par manque de places, avec le risque de voir des comportements violents ou suicidaires exacerbés par la vie à la rue. Des personnes déboutées avec des enfants et un titre de séjour temporaire pour travailler se retrouvent sans solutions d’hébergement, leur statut ne leur donnant pas le droit à des allocations logement, ce qui refroidit les bailleurs sociaux dans leurs attributions de logements HLM. D’autres déboutés de Tours rentrent dans le cercle vicieux de la grande précarité et du travail au noir. On les retrouve sur les marchés, auprès des maraîchers, dans la restauration, les chantiers ou la livraison à domicile, et parfois ils tombent dans les filets de réseaux peu scrupuleux. « Le pire, c’est qu’avec la complexification administrative en cours depuis des années, les procédures sont illisibles et décourageantes, même pour les personnes dont les employeurs sont prêts à suivre le parcours du combattant pour faire régulariser leur salarié sans-papiers (…) on aboutit à des absurdités, avec des gens qui sont là depuis des années, avec des OQTF sur la tête, mais inexpulsables car on ne sait pas vraiment d’où ils viennent et que l’on condamne à la clandestinité, à la peur et au travail dissimulé (…) et ce sera bientôt pire avec la loi qui vient d’être votée par les macronistes avec l’appui de LR et du RN, les sans-papiers ne relèveront même plus du 115, on reviendra 50 ans en arrière, et les campements de fortune ne vont faire que grossir », témoigne une professionnelle du secteur.

Voilà donc où nous en sommes, dans une situation qui devient particulièrement inquiétante humainement mais aussi politiquement. Bientôt – c’est une question de temps –, une personne expulsée de son hébergement, sans perspectives, sans soins, dans l’impasse la plus totale finira par agresser quelqu’un ou par braquer un commerce. Et bien entendu, il ne sera pas question des responsabilités de l’administration et des choix politiques qui auront conduit à cette catastrophe. Non, les matamores du macronisme ou de la droite plus ou moins extrême hurleront au laxisme judiciaire ou au péril migratoire, et nous aurons le droit à une loi encore plus dure et à des sondages encore meilleurs pour le RN, le tout avec des discours sur le pseudo-bon sens de ces postures pourtant cyniques, démagogiques et irresponsables.

Mais bon, pour l’instant, ce qui importe, c’est la qualité de la carte postale des JO et de faire tourner l’hôtellerie parisienne, du reste grande pourvoyeuse d’emplois précaires pour les sans-papiers. Tout comme les chantiers des infrastructures olympiques, d’ailleurs.  

Manifestation ce dimanche 14 janvier

Après celle du 23 décembre dernier, une nouvelle mobilisation nationale contre la loi immigration est prévue ce 14 janvier. A Tours, plusieurs organisations appellent à se réunir dès 12h00 pour un repas partagé à la table Jeanne-Marie, 65 rue Febvotte, où chacun peut apporter à manger et à boire. Suivra un rassemblement Place de la Liberté à 14h30 avant un départ en manifestation dans les rues de la ville.

 

Commentaires

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  1. Merci pour cette alerte Joséphine!
    Quelle honte que celle de “vouloir nettoyer Paris ” pour pouvoir regarder les jeux olympiques dans un Paris vidé de ses pauvres!
    Nouvelle déchéance après la loi Immigration, le soutien à Depardieu , Dati à la culture,…

  2. Macron et ses complices de droite, du RN de le Pen et de la droite de gauche de Hollande, Cazeneuve, Touraine, etc…c’est le mépris total qui s’intensifie d’année en année. C’est choquant mais quand un président estime qu’il y a ” des riens ” eh bien quelle empathie peut-on attendre de ses méprisants personnages ?
    Ce qui est sidérant c’est que des gens ont votés pour ces gens, comme dans la 3ème circonscription d’Indre-et-Loire où Henri Alfandari a été élu aux législatives. Ce député bien à droite, adhérent chez Horizon, a voté pour la loi retraite de Borne et Macron et aussi la loi immigration. Lui n’ouvre pas sa permanence aux pauvres qui dorment dans la rue.
    Alors espérons qu’aux prochaines élections que les citoyennes et citoyens prennent enfin leur destin en mains en allant voter pour virer ces gens qui préfèrent les belles cartes postales retouchées, et virent la misère loin des beaux quartiers.

  3. Et on en parle pas des médecins légistes qui doivent faire faces aux nombreuses demandes de consultation pour les demandeurs d’asile, et que les rendez-vous demande 5 mois d’attente minimum pour répertorié les différentes blessures physiques et psychologiques ?

Les commentaires pour cet article sont clos.

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