Les droites de Tours inventent le naufrage en automobile

A Tours, la droite locale se focalise curieusement sur le stationnement payant, accusé de nuire au petit commerce. Une polémique qui révèle un décalage flagrant entre les discours simplistes des critiques et les enjeux complexes de l’aménagement urbain en centre-ville.

Par Joséphine


A peine divisées en quatre groupes lors du dernier conseil municipal, les droites tourangelles concentrent cette dernière semaine leurs critiques sur la question du stationnement payant censé assassiner le petit commerce, perpétuant cette tradition presque touchante de livrer des discours simplistes et à côté de la plaque, preuve que l’objectif n’est plus d’analyser des situations et de proposer des politiques publiques municipales mais de faire de la com’ pour exister médiatiquement et nourrir une ambition personnelle pour 2026, voire 2032.

Après la fermeture à la circulation auto du pont Wilson, le sapin-gate et les fake-news sur les décos de Noël, les accusations contre l’irresponsable gauche écolo-bobo commerçophobe portent désormais sur le passage de quelques dizaines de places de voiture en stationnement payant quartier Colbert et sur la Tranchée. On parle sur les réseaux sociaux de centre-ville désert en plein effondrement, des supporters de la droite allant même jusqu’à annoncer crânement que c’en est terminé, qu’ils ne viendront plus faire leurs courses à Tours, #Résistance.

 
En réalité, les commerces qui ferment en ce moment sont avant tout des grandes chaînes nationales passées à côté de la révolution Internet et concurrencées par la livraison de masse – moins chère –, et ce alors que la piétonisation des centres urbains est étudiée de longue date et montre plutôt une dynamique positive pour la fréquentation et donc pour les chiffres d’affaires. Du reste, l’offre des transports publics, de parking relais et de voies pour les vélos sont en augmentation depuis plus de 10 ans, quelle que soit la couleur politique de la municipalité, offrant des possibilités concrètes au sacro-saint consommateur.

Le rapport ville-centre/communes périphériques

En fait, la problématique des places de voiture gratuites en ville pour que les gens viennent faire leurs courses facilement pose tout un tas de questions, délicatement éludées par les droites. D’abord, le rapport ville-centre/communes périphériques, grand impensé qui vient buter sur l’incapacité de la métropole de véritablement mettre en cohérence les politiques entre les communes qui la composent. Il y a une énorme contradiction entre les intérêts des habitants de Tours qui sont confrontés aux multiples nuisances automobiles et les populations éloignées du centre qui entendent encore tout faire en voiture, par habitude personnelle et culture individualiste, les lotissements pavillonnaires et le rural proche étant très étendus, mal connectés aux transports en commun et reposant sur le choix depuis les années 1970 du tout automobile. Ceci, dans un contexte très concurrentiel, avec le développement des centres commerciaux qui tentent de capter la clientèle des classes moyennes du périurbain, conduisant à une baisse de la rentabilité et donc à la disparition de certaines enseignes.
 
Penser le centre-ville comme un énième centre commercial ne peut être une solution, l’aménager comme une mise en scène à des fins de consommation est un drôle de parti pris qui exclut de fait une large partie de la population, celle qui ne peut se permettre de flâner en faisant du shopping, celle qui pratique la ville au quotidien et pas juste le samedi après-midi ou pendant les soldes. Les effets de ce processus sont connus : ségrégation spatiale et auto-censure. Il suffit de se balader du Sanitas jusqu’à la place Anatole France, soit 2 petits kilomètres, pour constater que la place Jean Jaurès constitue une puissante barrière spatiale, les classes populaires et racisées semblant disparaître dans un vortex à l’orée de la rue Nationale.

La typologie des commerces

Se pose d’ailleurs la question de la typologie des commerces, loin d’être homogène : défendre l’artisanat et les commerces indépendants, incapables de suivre l’augmentation des loyers liée à la pression immobilière des grandes enseignes, ok, mais le centre-ville n’en comporte plus beaucoup depuis longtemps. On assiste à la concentration de la propriété des commerces entre les mains de quelques acteurs majeurs et de grandes fortunes, qui embauchent des salariés précaires et mal payés pour faire tourner leurs magasins. Ces mêmes acteurs majeurs sont d’ailleurs plutôt favorables au stationnement payant car il permet davantage de rotation des véhicules et donc des consommateurs. Le flux, toujours le flux.
 
Il y a aussi des implications générationnelles, les plus de 55 ans ayant davantage baigné dans la culture de la bagnole, synonyme de liberté, de promotion sociale affichée par l’achat d’un véhicule, et accoutumés à la pratique du porte-à-porte, du garage personnel au parking qui jouxte le lieu visé, sans contrainte horaire, sans dépense supplémentaire. Il n’est pas question de les exclure de la ville, mais ils n’en ont pas le monopole non plus, même avec un fort pouvoir d’achat, un SUV électrique et un faible taux d’abstention.

L’utilisation et la destination de l’espace public

Enfin et surtout, il y a la question plus profonde de l’utilisation et la destination de l’espace public. Doit-on grignoter de l’espace commun pour permettre le confort des automobilistes qui nous offrent le privilège de venir dépenser leur argent et qu’il convient donc d’attirer à tout prix ? Quid des piétons, des personnes à mobilité réduite, des personnes âgées urbaines, des enfants, des animaux ? Quid de l’aménagement d’espaces qui ne sont pas uniquement tournés vers la logique de gestion des flux et d’attractivité commerciale mais plutôt pensés pour que les gens puissent se regrouper, discuter, s’adonner à l’oisiveté et à des activités non lucratives, physiques ou culturelles ? Veut-on des places de parking, ou plutôt des trottoirs larges, des bancs ombragés et des équipements gratuits pour tous ?
 
Bref, pour le dire autrement et plus vite : les droites de Tours ne se feront pas élire par le troisième âge de Saint-Cyr ou de Saint-Avertin avec des discours à l’emporte-pièce et totalement décalés, alors qu’une masse de la population tourangelle attache une importance grandissante aux questions des nuisances sonores et des pollutions et plus généralement de la qualité de vie. Et cela ne passe pas par le sauvetage des Galeries Lafayette qui proposent des produits hors de prix fabriqués en Chine et vendus par des femmes payées au Smic… qui ne peuvent plus se permettre de vivre en centre-ville depuis bien longtemps.

 
Plus d’infos autrement sur Magcentre: L’hommage aux Manouchian réunit la gauche à Orléans
   
 

Commentaires

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  1. Tours v/s Orleans
    Merci chère Joséphine pour cet article dont la teneur, et surtout les arguments développés, montrent parfaitement que les centres villes ne sont plus adaptés au “tout bagnoles” si cher à quelques idiles. Qu’ils soient de l’opposition municipale Tourangelle ou de la majorité Orleanaise leur démarche semble la même : privilégier ceux qui, comme vous le soulignez, ont un comportement individualiste voire égoïste.
    En effet certains, qui habitent loin d’un centre ville, n’ont malheureusement pas d’autre choix que de se déplacer en voiture. Mais alors pourquoi ne pas proposer de véritables et accessibles parking dit relais, pourquoi ne pas proposer des transports en commun gratuits, pourquoi ne pas proposer un service de vélos porteurs qui aideraient ceux qui le souhaitent à transporter la veste, le pull, le sac à main, le ballotin de chocolats… achetés dans l’un de ses commerces. On n’y achète pas une armoire normande !

    Car ce sont bien les piétons que les “bagnoles” qui font le battre un cœur de ville.
    Selon certains pas de voiture en centre ville et, bingo, c’est la mort du commerce : de qui se moque t’on ?
    Aujourd’hui quel commerçant se plaint d’être rue de la Rep., rue des Carmes, rue Louis Roguet, rue de Bourgogne, place de Loire, etc. ?
    Certes notre ville manque cruellement de parkings relais, certes l’hypothétique parking du boulevard Aristide Briand se fait attendre, mais on a quand-même de quoi se garer ailleurs que devant “sa” boutique favorite.
    Sincèrement quels sont les commerces du “cœur d’Orléans” dont on sort les bras très chargés ?
    Je verrais bien les rues Jeanne d’Arc et Charles Sanglier piétonnes. Touristiquement ça aurait de “la gueule”.

    Je rajoute que depuis quelques temps nos édiles municipaux nous font valoir le succès du tourisme dans notre ville. Ces touristes visitent t’ils, consomment t’ils, achètent t’ils en voiture ?

    Comme vous le soulignez aussi certains rétorquent que rue de la République, et ailleurs aussi, il y a des boutiques qui ont disparus. Mais ce sont des marques nationales -voire internationales- dont l’objectif n’est que la recherche de profits. Si c’est pas rentable : on ferme ! Pour beaucoup d’entre elles il y a peut-être une erreur de stratégie commerciale et d’adaptation aux styles de consommation d’aujourd’hui qui je le conçois évolue très, trop, vite.

    Pour ma part, ancien commerçant (82 rue Bannier – Richard-Sports ), conseiller munipal de 1989 à 2001, je suis très fier d’avoir participé à l’élaboration de la première ligne de tram, à la pietonisation de la rue de la République…

    Citoyens Orleanais revoltons nous : un centre ville sans voiture ça peut exister. Il s’agit simplement d’une décision politique que nos élus municipaux aux commandes de la villed n’ont pas le courage de prendre.

  2. Cet article ne pose pas le vrai problème, le développement des transports en commun. Tours n’a qu’une seule ligne de tramway, le maire de Tours en refusant le passage par le boulevard Béranger (les racines ne sont qu’un prétexte) a retardé la réalisation de la deuxième ligne et éloigné celle-ci du centre-ville.
    La troisième ligne (ST Cyr/ST Pierre des Corps) est compromise par l’hostilité du maire de droite de St Cyr et probablement le refus du maire de Tours d’emprunter le boulevard Heurteloup (encore les racines) seul axe sérieux pour desservir Saint-Pierre-des-Corps. Avec une population comparable Angers a déjà ses trois lignes de Tramway. La droite et la gauche dirigent maintenant ensemble la Métropole, mais l’attentisme de la Métropole sur le tramway n’est pas un bon signal pour les tourangeaux.

  3. les salariées et salariés des Galeries Lafayette apprécieront. Faut-il privilégier Ikea qui vend des produits à bas prix (mais dont la durée de vie est limitée), fabriqués eux aussi en Chine, et cette entreprise participe activement à la déforestation et à la destruction du cadre de vie des populations autochtones.
    Il ne faut pas non plus stigmatiser en fonction de l’âge tous les jeunes ne sont pas soucieux de la planète, et tous les vieux n’ont pas participé à sa dégradation.
    J’ai plus de 70 ans, j’ai toujours refusé d’acheter des voitures diesel, je me suis battu pour le Larzac (et nous étions très nombreux), contre l’implantation des centrales nucléaires, contre le dementellement du réseau ferré.

  4. @Ritchie : merci pour votre brillant retour sur les sujets légitimes ou pas. Je vous invite à écrire sur la question, ce sera plus simple. Il est vrai que votre tirade est très située politiquement, on dirait presque du Christophe Bouchet.
    Par ailleurs, cette obsession pour le Tram comme alpha et oméga des mobilités et la validation de la compétition entre métropoles pourrait être l’objet d’une réflexion. Les logiques de la Chambre de Commerce ne sont pas forcément les meilleures ni les plus adaptées à la diversité de la population.

  5. @LR : oui, vous avez raison, ces 300 places payantes à Couvert et Tranchée ont eu la peau des Galeries Lafayette… Et comme d’hab : les statistiques et catégorisations sociologiques ne sont ni une stigmatisation ni un déterminisme, c’est juste une manière d’analyser le réel. Mais en tout cas, merci pour votre mini-biographie.

  6. Christophe Bouchet que je ne connais pas et la chambre de commerce militent pour l’aéroport de Tours et pas pour le tramway.
    Un rame de tramway dure 40 ans, transporte beaucoup plus de passagers que le bus et est accessible aux handicapés, poussettes, vélos… C’est l’hostilité d’élus qui se prétendent de “gauche” au tramway qui interroge!

  7. @Ritchie : non, non Bouchet à pris position pour le tram et le tracé que vous évoquez, il utilise d’ailleurs les mêmes éléments de langage que vous.
    Le tram est très cher, implique d’énormes effets-tunnel et de l’enclavement, ca ne permet pas un maillage fin et souple. Vous semblez oublier également que la question est celle de la métropole et non de la commune de Tours, exclue de l’exécutif de la métropole après la crise Schwartz qui n’a pas été capable de faire avancer le dossier.
    À coût égal, je pense qu’il y a de meilleures solutions que le tram qui semble davantage un objet d’apparat pour élus en mal de selfies.

  8. A propos de tram, il faudrait qu’un tourangeau ait vraiment vécu les désordres de la construction de nos lignes de tram A et B d’Orléans pour en connaître les conséquences…
    Avant de parler de l’attractivité des commerces à proximité du Tram, faudrait compter combien de commerces ont fermés à cause de la construction du tram…
    Quel observateur sérieux peut dire ce qui reste du commerce local dans le Faubourg Madeleine 12 ans après son inauguration…? Cet axe à perdu toute attractivité commerciale, 40% de locaux fermés…

    Plus proche du centre, quelle chalandise dans la rue des Carmes, 12 ans après…?

    Certes les dealers sont allés “plus loin”, mais il ne subsiste que de pôvres enseignes qui peinent à trouver leur clientèle…
    Après maints projets lancés par un ancien maire,(on doit même pas dire son nom tellement on l’a vite oublié) mis au placard par un autre, en fait son ancien meilleur ami(!), quel est l’état du parking à côté de la station de tram Pont de l’Europe…?
    Un vague terrain? non , un terrain vague pour accueillir les touristes venant par l’ouest dans notre ville, de Blois ou de l’autoroute, à deux pas des panneaux “Orléans ville d’art d’histoire”…!

    La décence serait, puisqu’aucun réel projet ne prend place, d’en faire au moins…un parking décent !

    La gauche orléanaise a eu sa ligne de tram A, la droite orléanaise pour faire le poids sa ligne de tram B, il faut s’attendre, comme dans beaucoup de villes, que la prochaine municipalité soit “écologiste” à Orléans, et que nous aurons une ligne de tram C…
    Tram “C”…. c’est pas pour demain… faut dix ans… et combien en faudra-t-il pour se décider enfin, à prolonger la A vers Ardon, la B vers Chécy et la Chapelle Saint Mesmin?

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