L’aide alimentaire en question

Différents acteurs de la solidarité ont accueilli l’anthropologue Bénédicte Bonzi pour une conférence intitulée « la France qui a faim ». L’occasion de questionner et analyser une organisation basée sur la solidarité dont les limites dépassent largement la simple générosité, à une époque où le nombre de bénéficiaires explose et où le système montre ses failles voire ses niches.

Le collectif Alerte. Au premier rang, de G à D : Séverine Demoustier, directrice de la FAS CVL, Dominique Lorenzi, Bry, coordinatrice du collectif Alerte, Monique Fantin, présidente des Banques alimentaires CVL, Emmanuel Barbier, délégué loirétain du Secours Catholique.
Au second rang : Mario Pardo et Florence Moritz, représentant des personnes concernées, Jean-François Mézières, Uriopss. Cl AC Chapuis

 

Par Anne-Cécile Chapuis

Réunis en un collectif régional judicieusement intitulé « Alerte », plusieurs acteurs de la solidarité interpellent les pouvoirs publics et l’opinion sur la précarité d’aujourd’hui, en mettant le focus sur les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Composée de 34 fédérations ou associations, cette organisation a pour ambitieux objectif « l’éradication de la pauvreté », en portant la parole des personnes en situation de précarité et d’exclusion.

Un système pas si vertueux qu’il n’y parait

S’adresser à l’aide alimentaire n’est jamais un choix ni une partie de plaisir. Mario Pardo et Florence Moritz sont « passés par là » et peuvent en témoigner aujourd’hui, ayant rejoint les associations représentantes des usagers. Outre la demande qui explose, c’est aujourd’hui un public de toutes catégories d’âge et de situation qui est amené à solliciter les organismes caritatifs. Et ce qui navre les bénévoles ou professionnels de cette aide, c’est de voir le « je renonce », cette « terrible composante de la pauvreté », comme l’énonce Dominique Lorenzi, responsable du collectif « Alerte »

Alors, un système qui ne répond pas à la demande ? Les acteurs du social vont plus loin et parlent d’une double violence qui touche en premier lieu les bénéficiaires (ils n’aiment pas ce mot !), mais aussi les bénévoles dont la générosité et l’élan sont en butte à une nécessité de réguler donc de choisir, gérer, voire exclure. Un comble !

Les associations dédiées à l’aide alimentaire sont inféodées à l’industrie agro-alimentaire et aux grands distributeurs. Avec la loi Garot de 2016 contre le gaspillage faisant obligation aux grandes surfaces de recycler leur surplus, ces derniers économisent sur la gestion des déchets en donnant aux associations, avec une défiscalisation de 60% sur la valeur de ce qu’ils donnent. Bénédicte Bonzi n’hésite pas à parler d’un « marché indigne de la faim ».

Bénédicte Bonzi, conférencière (à G) et Dominique Lorenzi, collectif Alerte. Photo AC Chapuis

L’alimentation, une variable d’ajustement ?

Bénédicte Bonzi ne ménage pas ses propos, parlant des « bénévoles qui contiennent face à une politique qui ne remplit pas ses objectifs » Elle connait bien le système pour avoir œuvré longtemps aux Restos du Cœur et y avoir puisé les éléments concrets de sa thèse de doctorat. Elle décrypte les mécanismes du don avec son cortège de hontes et de dépendances, donnant des chiffres impressionnants sur l’état des lieux actuel, n’hésitant pas à relier la problématique à celle vécue aujourd’hui par les agriculteurs, et questionne la paix sociale. Mais elle sait dépasser les constats et analyses, proposant des solutions et ouvertures sur une transformation des pratiques sociales et politiques.

Une Sécurité sociale de l’alimentation 

Elle annonce d’emblée : ce n’est pas une lubie. Créer une nouvelle branche de notre système de santé ouvrant un droit fondamental à l’alimentation comme l’est le droit au logement permettrait de sortir l’alimentation de la loi du marché. Elle insiste sur un principe basé sur la solidarité avec cotisations et conventionnement, et parle de tournant historique vers un autre projet de société.

Un auditoire nombreux et participatif lors de la conférence du 23 février 2024. Photo AC Chapuis


Les acteurs présents lui emboîtent le pas, comme Angélique Delahaye, présidente de SOLAAL qui témoigne de la générosité du monde agricole dans une organisation autour des « glanages solidaires », ou Monique Fantin de la Banque alimentaire qui parle « d’un édifice construit sur du sable » ou encore Emmanuel Barbier, délégué loirétain du Secours Catholique qui vise un « mieux manger pour tous, sans gérer les poubelles des grandes surfaces », et enfin Benjamin Otto, chef de projet qui fait état de nombreuses expérimentations et rejoint la proposition « La sécurité sociale c’est une lutte »

Au-delà des questions graves et qui entrainent vers un vertigineux puits sans fond, le mot de la fin (de la faim ?) revient peut-être à ce témoignage d’une jeune femme qui décrit les rendez-vous solidaires du mercredi Place d’Arc à Orléans, où les femmes du quartier cuisinent et offrent des plats chauds aux personnes dans le besoin, hors de tout système, simplement dans la générosité et le partage.

Un juste retour aux sources ?

 

Pour en savoir plus :

https://www.magcentre.fr/239487-mobilisation-generale-pour-les-metiers-de-lhumain/

https://www.magcentre.fr/261821-dominique-sacher-une-vie-au-service-de-lhumain-et-de-la-solidarite/

Commentaires

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  1. Article très intéressant ! Une partie de nos concitoyens adhèrent à cet effort de générosité et souvent ce ne sont pas les plus à l’aise financièrement ! Les enfants sont plus touchés que les adultes. C’est pourquoi le Lions International réalise des collectes en faveur des Bébés depuis plus de 12 années en région Centre. Près de 300.000 euros récoltés cette année et redistribués aux familles les plus touchées. Et si les bénévoles ne prenaient pas l’initiative de ces collectes, que se passerait-il ? Il faudrait bien que nos élus s’en préoccupent et revoient de manière plus équitable la répartition des aides !

  2. “… la répartition des aides …?” Si les riches qui siègent au Lions ne s’en mettaient pas plein les poches, il y aurait moins de misère et il n’y aurait pas besoin de ces aides.
    Ce n’est pas le véto qui va le soigner, le Lions, hélas.

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