Le juge et les bassines

L’audience du 4 mars dernier du juge des référés du tribunal administratif d’Orléans était appelée à statuer sur une requête de l’association de veille environnementale du Cher (AVEC) demandant la suspension de l’arrêté préfectoral du Cher autorisant les travaux d’aménagement d’une méga-bassine aux Aix d’Angillon. L’occasion pour l’ancien avocat Patrick Communal de revenir sur l’enjeu environnemental de ces “méga-bassines” et d’analyser le jugement rendu.

Par Patrick Communal

Devant le Tribunal administratif d’Orléans cl PC

L’enjeu environnemental et social des méga-bassines

Confrontés aux conséquences du réchauffement climatique, notamment aux sécheresses estivales et à la baisse catastrophique du niveau des nappes phréatiques, les préfets, à l’arrivée du printemps et dans de nombreuses régions de France touchées par le phénomène, prennent des arrêtés prescrivant des économies de consommation d’eau destinées à protéger, autant que faire se peut, la ressource et à sauvegarder la satisfaction des besoins vitaux. Pour maintenir un modèle dispendieux en eau, et plutôt que de songer à adapter l’agriculture à l’évolution climatique, les tenants de l’agro-industrie et d’un système productiviste, par ailleurs gros consommateur d’engrais chimiques et de pesticides, ont entrepris la construction de réservoirs d’eau géants destinés à pourvoir à leurs besoins en irrigation pendant la période de restriction estivale. Ces réservoirs baptisés par leurs promoteurs « réserves de substitution » et par leurs opposants « méga-bassines » sont alimentés pendant l’hiver par des pompages dans la nappe phréatique et dans les cours d’eau environnants. Le procédé altère la ressource collective en obérant la reconstitution hivernale de la nappe, il constitue un gaspillage stupide avec une perte par évaporation estimée selon les zones géographiques entre 20 et 60%. Le niveau des nappes est en interaction avec celui des cours d’eau, et détermine l’alimentation en eau des zones humides et des sols qui se reconstituent en hiver et au printemps.

Ces prélèvements altèrent également, de ce fait, l’écosystème et la biodiversité. Enfin, les méga-bassines heurtent le principe d’un partage équitable d’une ressource en eau qui se raréfie au profit d’un accaparement de celle-ci par une très petite minorité d’agriculteurs défendant un modèle par ailleurs condamné à court terme par l’évolution du climat, retardant d’autant les évolutions indispensables à la survie de l’agriculture. Les méga-bassines sont soutenues par les collectivités locales qui participent à leur financement et, pour l’heure, défendues par l’Etat et ses préfets, tous cédant, au détriment de l’intérêt général et de notre avenir collectif, à la pression du lobby de l’agro-business qui a la haute main sur le syndicalisme agricole. Cette politique des méga-bassines n’est pas seulement critiquée par les scientifiques, les experts du GIEC et les écologistes mais également par la Cour des comptes dans un rapport de 2023 qui observe que les politiques publiques ne prennent pas en compte les impératifs de protection de la ressource en eau et d’une répartition équitable de celle-ci. Le Conseil économique et social a rendu récemment un avis dans le même sens. Face au laisser-faire des pouvoirs publics, les adversaires des méga-bassines manifestent comme à Sainte Soline ou lors du convoi de l’eau de cet été et mènent une bataille juridique devant les juridictions administratives.

L’audience du Tribunal administratif d’Orléans

C’était le sens de l’audience du 4 mars dernier du juge des référés du tribunal administratif d’Orléans appelé à statuer sur une requête de l’association de veille environnementale du Cher (AVEC) demandant la suspension de l’arrêté préfectoral du Cher pris en application de l’article L214-1 du code de l’environnement et qui a pour effet de permettre les travaux d’aménagement d’une méga-bassine aux Aix d’Angillon. Un petit rassemblement avec banderoles et pancartes devant le tribunal avait mobilisé un cordon de policiers et un officier du renseignement territorial mais la manifestation était bon enfant, Berrichons et Orléanais réunis dans une hostilité commune aux méga-bassines ont replié leur matériel avant d’entrer sagement dans une salle d’audience qui n’accueille que fort rarement un public aussi nombreux.

La suspension administrative

Pour obtenir la suspension par la voie du référé d’une décision administrative, deux conditions doivent être remplies : d’une part la demande doit être justifiée par l’urgence, ce qui signifie que l’exécution de la décision aurait des conséquences irréparables et d’autre part elle doit se fonder sur des moyens de droit sérieux, raison pour laquelle les requérants doivent déposer, parallèlement à la requête en référé, un recours sur le fond visant à l’annulation de la décision contestée et qui sera examiné en son temps, c’est à dire dans plusieurs mois, par le tribunal mais qui permet au juge des référés de prendre connaissance immédiatement de l’argumentaire des requérants. La décision du juge des référés qui suspend ou refuse de suspendre une décision ne préjuge pas du jugement au fond qui sera rendu ensuite par le tribunal en formation plus élargie, le juge des référés est souvent qualifié de juge de l’évidence parce qu’il ne procède pas à l’examen approfondi du litige.

Boris Radici, représentant l’association AVEC, a évoqué dans son intervention les dommages irréversibles causés par une méga-bassine sur la vie aquatique au regard de la proximité d’un cours d’eau, l’Ouatier, dont la morphologie est en très mauvais état sur 83% de sa longueur et d’une manière plus globale les atteintes à l’écosystème. Ces atteintes environnementales étaient, selon Boris Radici, de nature à justifier l’urgence de suspendre les travaux engagés.
Mais l’association avait également mandaté une jeune juriste qui s’est attachée à contester avec beaucoup de précisions réglementaires la procédure retenue par la société civile d’exploitation agricole (SCEA) de la Chaumelle pour engager ses travaux.

L’article L214-1 du code de l’environnement soumet à un régime, soit d’autorisation préalable, soit de simple déclaration, les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) qui affectent les eaux superficielles ou souterraines. Les IOTA soumis à autorisation doivent être précédés d’une étude environnementale équivalente en droit à une étude d’impact et, par suite, à enquête publique ; les IOTA soumis à simple déclaration doivent uniquement faire l’objet d’une étude d’incidence produite par le pétitionnaire. L’association a donc soutenu que les travaux engagés par leur surface et leur volume et l’ampleur du prélèvement sur la ressource en eau, relevaient du régime de l’autorisation, et donc d’une étude environnementale, l’absence d’une telle étude, au regard de la jurisprudence du Conseil d’état, entrainant de facto une décision de suspension par le juge administratif. Elle a également mis en exergue les insuffisances de l’étude d’incidence environnementale produite par la SCEA de la Chaumelle, notamment sur les données pluviométriques fournies qui sont caduques et sur les données de remplissage de la méga-bassine en fonction de la hauteur de la nappe phréatique, du ruissellement et de l’évaporation et son impact sur l’Ouatier qui coule à proximité. L’association souligne à cet égard que cet aménagement nécessite une modification de l’autorisation globale et unique de prélèvement délivrée par la préfecture dans le secteur concerné pour l’ensemble des utilisateurs au regard des nécessités du remplissage de la méga-bassine.

Une bassine autorisée sans autorisation de la remplir

La représentante de la préfecture du Cher a soutenu que les travaux ne relevaient pas du régime de l’autorisation préalable parce qu’ils ne créaient qu’un plan d’eau ne constituant, ni une réserve de substitution, ni une retenue collinaire (alimentée par ruissellement) et que la déclaration n’avait pas pour effet d’autoriser un forage spécifique qui serait destiné à alimenter le plan d’eau prévu qui ne peut bénéficier que de l’autorisation globale et unique de prélèvement dont le volume n’a pas été modifié par l’autorité préfectorale.
Le juge des référés a retenu cet argumentaire et a rejeté la requête de l’association qui demandait la suspension des travaux. Mais ce rejet ne constitue pas vraiment une victoire pour les promoteurs du projet dans la mesure où dans ses motivations, le juge acte que « les décisions attaquées n’ont pour objet, ni pour effet d’autoriser des prélèvements d’eau, ni de modifier les autorisations de prélèvement délivrées… » En d’autres termes, la SCEA de la Chaumelle est autorisée à créer une méga-bassine mais elle n’est pas autorisée à la remplir et ce déficit d’autorisation est acté par un jugement.
L’ordonnance de référé rendue le 6 mars crée donc une situation d’insécurité économique pour les aménageurs de cet équipement qui devront au retour de l’hiver prochain, solliciter une autorisation de prélèvement que le Préfet du Cher pourra accorder ou refuser et qui pourra le cas échéant être de nouveau contestée en justice sur la base d’un dossier juridique assez solide produit par l’association AVEC. Par ailleurs, cela peut donner à réfléchir ceux qui envisageaient un projet de même nature dans la région. Pour l’heure, AVEC reste vigilante sur les suites apportées à l’affaire et les militants demeurent mobilisés.

Commentaires

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  1. La décision de laisser construire et que le remplissage soit soumis à l’autorisation préfectorale, c’est ce qui est indiqué dans l’autorisation d’aménagement.
    La préfecture doit indiquer chaque année le volume que la société peut prélever.
    Pouvez vous m’indiquer le chemin pour avoir accès la l’étude hydrologique
    qui aurait était faite pour la bassine des Aix.
    La DREAL et l’agence de l’eau Loire Bretagne n’en n’ont pas connaissance.

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