Échappées théâtrales : entre féminisme et transfuge de classe

Deux pièces, deux thèmes sociétaux, deux metteuses en scène de renom, deux lieux emblématiques, l’Odéon et le théâtre Olympia de Tours, un immense succès et une déception totale, entre une relecture de Hamlet et une adaptation du chef-d’œuvre de Stendhal.



Par Bernard Thinat


Hamlet à l’Odéon

Il ne fallait pas s’attendre de la part de la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy, à une version des plus classiques de son Hamlet, créée à l’Odéon en ce mois de mars. Au contraire, même si le texte est celui de Shakespeare à 85 %, c’est un (ou une) Hamlet résolument féministe qu’elle a proposé(e) au public. Et non un Hamlet qui s’interroge pour savoir s’il va venger son père ou pas, mais une femme (extraordinaire Clotilde Hesme, un César de la meilleure actrice serait légitime) douée d’une volonté farouche, assumée, libérée du carcan patriarcal, qui réglera son compte à son oncle, coupable de fratricide.

Nous sommes dans un vaste appartement contemporain, côté cour un buffet copieusement garni, au centre, de larges fauteuils modernes ainsi qu’une télé grand écran. Et côté jardin, un lit avec couette. Au fond à droite, cachée par une porte, la cuisine.

Clotilde Hesme au regard noir, dans Hamlet – Photo Julien Gosselin


Christiane Jatahy s’est permis une entrée en matière bluffante. Un rideau de tulle étant tendu devant la scène, est projetée en vidéo, une fête où l’on boit, danse, chante, pendant qu’on distingue une jeune femme, triste, éperdue, assise derrière sur un fauteuil. Mais tout se confond aux yeux du public. Puis utilisant l’hologramme, apparaît sur le rideau de tulle, Loïc Corbery de la Comédie-Française, roi assassiné par son frère, écrasant tout l’écran de son visage couronné, voire tout l’Odéon, venu dire à son fils, ou sa fille, (après tout, Hamlet était peut-être transgenre, allez savoir), la vérité sur sa mort. Fantôme ressurgi 400 ans plus tard, la pièce ayant été publiée en 1623 ! Mais, et c’est tout le mérite de la metteuse en scène, pièce d’une actualité brûlante lorsqu’on la transpose à notre époque.

La pièce de Shakespeare se rejoue donc dans notre espace temporel. Scène hallucinante entre la mère, Gertrude (Servane Ducorps), et son fils devenu sa fille, deux femmes au très fort tempérament, la seconde refusant la soumission. On en viendra aux mains !

Pendant la fête, Clotilde Hesme songeuse – Photo Simon Gosselin


Au final, c’est bien d’une pièce féministe à laquelle on vient d’assister, Claudius (Matthieu Sampeur) appelant Hamlet « mon neveu », et l’autre le reprenant « ma nièce ! ». On entendra aussi « ce n’est pas une révolte, mais une révolution ». Entendre par là « révolution féministe », évidemment ! On n’en a pas fini avec le héros d’Elseneur… Sublime création !

Le Rouge et le Noir, au CDN (théâtre Olympia) de Tours

Catherine Marnas, qui terminait ses 10 années à la direction du Théâtre National de Bordeaux (CDN) au 31 décembre dernier, a choisi d’adapter le chef-d’œuvre littéraire de Stendhal. Concernant le cas Julien Sorel, ce fils de paysan qui rêvait de pénétrer la très haute bourgeoisie, on parle aujourd’hui de « transfuge de classe », et pour que le spectateur comprenne bien, une phrase d’Édouard Louis est projetée en grand sur le décor en fond de scène.

Le Rouge et le Noir de Catherine Marnas – Photo Stéphane Lartigue


Décor des plus succincts, un tapis rouge (façon Cannes) donnant accès à un trou noir, deux petits escaliers de part et d’autre. Catherine Marnas, en guise d’adaptation, a fait le choix de raconter l’œuvre du début à la fin, avec un narrateur dont les explications occupent peut-être, jusqu’à la moitié des deux heures quinze. On commence par nous raconter comment le roman a été très mal perçu dès sa parution. Puis c’est la condamnation à mort de Julien par les bourgeois de la ville. Après cela, on en revient au début et le récit défile. Crises d’hystérie sur le plateau, courses effrénées en tous sens, attitude parfois dédaigneuse de Jules Sagot dans le rôle de Julien Sorel, à la limite du ridicule en hussard sur son cheval

Mais une adaptation romanesque ne peut se limiter à une narration scolaire, sans aucun recul, aucune prise de distance par rapport au roman. Autant lire le chef-d’œuvre littéraire de Stendhal, le lecteur sera traversé d’émotions, lesquelles sont totalement absentes dans cette création théâtrale. Grosse déception !

« Transfuge de classe »

À ce propos, la linguiste Laélia Véron qui enseigne à l’Université d’Orléans, a publié avec Karine Abiven, enseignante de la Sorbonne, un livre intitulé « Trahir et venger, Paradoxes des récits de transfuges de classe », qu’elle viendra présenter à Orléans, à la Librairie des Temps Modernes, le 16 avril à 18h30. (C’était à Tours le 11 avril). Elle a par ailleurs accordé une longue interview au journal « Le Monde » concernant ce livre.

 

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