Jean-Noël Rieffel, sur les ailes du sensible

Nous avions déjà conversé avec Jean-Noël Rieffel à l’occasion de la sortie de son premier livre, Éloge des oiseaux de passage, qui fut un phénomène littéraire en 2023. Le revoici, toujours aussi lyrique et foisonnant, pour son deuxième récit, Aimer comme un albatros, à nouveau publié par les éditions des Équateurs.

Par Izabel Tognarelli.

Il est comme ça, Jean-Noël, dès qu’il s’exprime, ce n’est que profusion : de mots, de références littéraires, et bien sûr d’espèces qui peuplent la nature. Il cite Rainer Maria Rilke (quel écrivain plus intense que celui-ci ?) au débotté ; son écriture est une envolée. Il part souvent d’un moment intime, puis s’élève pour élargir le cercle avant de se laisser porter par le souffle de sa pensée, comme les oiseaux migrateurs se laissent porter par un couloir de vent. Mais il revient toujours à son nid, sur les bords de Loire, et à ses deux poussins sur lesquels il veille au grain. Avec ce nouveau récit, Jean-Noël Rieffel nous entraîne dans le grand tout du vivant. Car il n’écrit pas sur la nature : il écrit avec elle.

Le souffle des grands vols

Avec Aimer comme un albatros, Rieffel poursuit sa déclaration d’amour — au monde, au vivant, à l’autre. L’albatros, ce planeur immense des mers australes, parmi les oiseaux les plus menacés au monde, devient ici le symbole d’un amour lent, rare, durable. Loin des appariements fugaces et des « likes » numériques, les albatros prennent le temps : « Ils attendent cinq à six ans avant de choisir une partenaire et ne font qu’un seul poussin auquel ils se vouent corps et âme, en une parité exemplaire. Et ils peuvent vivre jusqu’à 80 ans », nous explique-t-il, en ornithologue expérimenté.

Rieffel mêle ciel et chair, l’oiseau et l’homme. Il évoque le martinet noir — « oiseau qui fait tout en vol, dort en volant et s’est quasi affranchi de la servitude terrestre » — mais aussi l’alouette des champs, « dont le chant inspire la joie absolue ». Il invoque Maurice Genevoix, son phare en littérature, écrivain de la sensibilité au monde, témoin de la guerre autant que poète du vivant. Genevoix avait fait de la joie une mission (« Chaque jour, faire de la vie une joie ») et alertait déjà sur la virtualisation du monde, l’appauvrissement de notre rapport au réel, à la nature, aux sensations. Comme lui, Rieffel milite pour une existence enracinée, incarnée, attentive à tout ce qui vit, vole et bruisse autour de nous.

Un chant contre l’ensilencement du monde

Rieffel voue Descartes — et sa vision de l’animal-machine — aux gémonies : cette conception du monde a fait tant de mal. Les oiseaux ressentent le chagrin, le deuil ; ils ont de l’empathie. Et si parler de leurs émotions peut faire penser à de l’anthropomorphisme, qu’importe : Rieffel y voit plutôt une bio-inspiration, un art de tirer du vivant des leçons de lenteur, de fidélité et de mouvement.

L’écologie selon Jean-Noël Rieffel est sensible, sensorielle, charnelle. Le vivant est une présence à ressentir, une source d’émerveillement, parfois une médecine intérieure : « La biodiversité soigne nos blessures morales », nous dit-il. La nature nous recentre, face à une existence de plus en plus virtuelle qui, si on n’y prend pas garde, nous transforme en âmes grises.

Au fond, ce que cherche Rieffel, c’est ce que déjà cherchait Maurice Genevoix : ressentir, donc être ; refuser cette « mince couche superficielle de l’existence », que Bernanos dénonçait dans Journal d’un curé de campagne ; retrouver le sol, les racines, le sens. Avec Aimer comme un albatros, Rieffel nous invite à comprendre que certains oiseaux, tels les grèbes huppés, eux aussi peuvent être amenés à divorcer et qu’il arrive, comme ce fut le cas du Moho de Kauai, qu’un chant s’éteigne à tout jamais.

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