Dans le nouvel ouvrage de Jean-Louis Tallon « Terry Riley, figure libre », monographie mais récit intime, touchant, brillant et vivant consacré à l’un des grands acteurs de la musique contemporaine, certains mots tiennent de fil rouge à une enthousiasmante et passionnante aventure musicale : le don, le talent, le destin, les routes qui se croisent, les pistes qui ’entremêlent, les destins qui suivent leurs propres élans.
Par Jean-Dominique Burtin

Un nouveau sillon musical sous la plume d’un musicologue
Auteur et écrivain orléanais, Jean-Louis Tallon a publié, entre autres, divers ouvrages consacrés à la sphère musicale de notre temps, « Philippe Hersant, portrait d’un compositeur » (Cécile Dufaut en 2015), « Gavin Bryars en parole et musique » (Le mot et le reste en 2020), « Meredith Monk, une voix mystique » (Le mot et le reste en 2022). Cette fois, cet auteur publie toujours chez Le mot et le reste, une somme impressionnante et passionnante, première monographie de 241 pages et 10 chapitres agrémentée de photographies et de reproductions de partitions consacrée à Terry Riley. Il s’agit, à l’évidence, d’un véritable récit, d’un hommage sensible et savant au compositeur américain né en 1935 d’une famille irlandaise. Ce dernier, qui vit aujourd’hui au Japon, est, comme le souligne Sophie Todescato, responsable de la librairie orléanaise Les Temps Modernes organisatrice ce samedi 20 septembre d’une rencontre avec Jean-Louis Tallon, l’auteur et l’acteur d’une œuvre qui se situe à l’intersection du minimalisme, de la musique indienne, du jazz et de l’électronique entre improvisation et écriture.
Le portrait attentif d’un artiste, compositeur interprète, contemplatif et voyageur
Voici, grâce à Jean-Louis Tallon, un tour du monde musical via moult expériences et délicieuses anecdotes. Soulignons, ainsi, de manière souriante, cette création d’un quatuor inspirée des cornes de brume d’une baie américaine, l’achat d’un alligator pour compagnon de voyage de Colleen Riley, fille du compositeur, ou l’usage d’une ventouse de toilettes pour remplacer au pied levé le trompettiste Chet Baker absent le soir d’un concert lors duquel doit être donnée l’événement The Gift.
Voici, plus sérieusement, le portrait d’un artiste contemplatif et voyageur, celui d’un créateur, pianiste et pas seulement, un être à l’esthétique plurielle et spirituelle qui occupe une place fondatrice dans l’histoire de la musique.
Pour illustrer son propos, Jean-Louis Tallon a tenu à faire écouter, au fil de la rencontre orléanaise, joignant la musique à la parole, différents extraits de l’œuvre de Terry Riley : A rainbow in Curved Air; In C; Sun Rings ; le troisième mouvement du quatuor intitulé Beebopterismo ; The new Albion chorale, the discovery mouvement tiré de The harp of new Albion, œuvre à la mélancolie envoûtante de fluidité et de retenue toute en intense avancée ; Chorale of the blessed day, instant tiré de Songs for the voices of the two prophets où l’on entend le chant de Terry Riley..
Sensible évocation du séjour au Maroc
Jean Louis Tallon, écrivain, évoque aussi le séjour du compositeur au Maroc au début des années 60 :«Terry Riley est particulièrement séduit par les sonorités musicales des gammes maqâma, ces motifs mélodiques propres au musiques arabes, persanes et turques, qu’il surprend peut-être au détour des ruelles, dans ces dédales qui n’en finissent pas, tandis qu’il s’y engage. Il ne se lasse pas non plus d’entendre l’appel du muezzine, dont la voix résonne dans la douceur du ciel marocain et lui parvient à travers la fenêtre de sa chambre tandis qu’il fume du kief et plonge son regard dans les dehors d’une ville qu’il fait sienne à cet instant. Les circonvolutions du chant qui s’évapore, s’étendent dans le silence d’une cité entière à l’écoute, ses circularités reposantes l’inspirent, le transportent. Il reste fasciné par la façon avec laquelle cette musique soumet de petites unités mélodiques à une répétition intensive et cyclique, parvient à capter l’attention grâce à l’improvisation mélocyclique sur une harmonie statique. Le jeune homme prend des notes, noircit ses carnets de nombreux croquis. »
Cette monographie, emplie de tendresse, de pudeur, savante et humaine, d’une belle écriture et romancée, est riche de rebondissements sur fond d’événements politiques mondiaux et d’évocations en de précieux portraits de compagnons de route. Voici une belle histoire à l’intime, un souffle littéraire et poétique.
Des évocations, de l’enfance au militantisme
Dans Terry Riley figure libre, nous découvrons l’importance d’une famille à l’écoute, de la radio, du magasin de disques, du train et de son rythme répétitif non loin de la maison familiale, des voyages en bus que fait le jeune Terry, fils de cheminot, pour découvrir en cachette Los Angeles à l’issue de ses cours.
Il y aussi de prenants souvenirs : ses larmes qui coulent devant sa mère lorsqu’il entend, à l’âge d’un ou deux ans, South of the border, une chanson populaire ; sa première composition au lycée Shesta de Redding, la pièce Evening inspirée par Fauré, Poulenc, Satie ; ses rencontres avec Ann Smith qu’il épouse en 1958, avec La Monte Young son double fraternel, avec la chorégraphe Anna Halprin, ou avec Pandith Pran Nath dont il sera en Inde le disciple.
De très belles pages révèlent encore l’inspiration et l’apparition d’une pièce musicale, sa vie pastorale à Sri Moonshine Ranch, propriété qu’il achète en 1974 en Californie à quelques kilomètres de son lieu de naissance et d’enfance, Colfax et Weimar. A découvrir, encore, sa place de père, son engagement militant notamment dans la pièce Children of Gaza pour chœur d’enfants et ensemble (2015), sa rencontre avec le Kronos Quartet avec qui il travaille avec ferveur y compris pour une commande de la NASA.
Une intense aventure musicale, des temps de vie mis subtilement en correspondance
Ce que l’on peut trouver particulièrement joli dans cet ouvrage, outre l’évocation des petits boulots pour survivre ou un éclairage sur ses musiques pour des films le plus souvent expérimentaux, est l’intention Jean-Louis Tallon d’avoir délicatement disséminé ses entretiens avec Terry Riley et ses enfants en fin de livre, à l’instant où se trouve évoquée l’installation en 2020 du compositeur au Japon, pays du Soleil levant, là où son œuvre continue de naître et de s’élever.
Enfin, bien des noms de l’histoire de la musique lors d’une époque effervescente se retrouvent dans ce livre. Parmi eux : Errol Garner, Art Tatum, Thelonius Monk, Schoenberg, Webern, Stockhausen, Berio, Luigi Nono, Yoko Ono, Fluxus, Dexter Gordon, Bud Powell, Lennie Tristano, Jean Barraqué, Philip Glass, Steve Reich.
Et puis il y a des mots, des expressions, des bonheurs d’écriture tels des petits cailloux qui permettent de retrouver son chemin dans l’âme et les paysages de cette musique dont l’importance a parfois été considérée, par certains, en leur temps, comme aussi essentielle que celle du Sacre du printemps, de Stravinsky, ou de la toile Les demoiselles d’Avignon, de Picasso.
En voici quelques uns : Un objet sonore… Une élasticité du temps …Les silences tenus … Un statisme vertigineux jusqu’à l’éternité… Un continuum sonore à la fois calme et exubérant… Les motifs sonores multicouches… Une mobilité statique… Un chemin spirituel… Deep listening (écoute profonde) … Sonic awareness (conscience sonore)… Le do dièse est l’histoire polaire de Riley…L’état brut d’une pensée musicale, l’écho de plusieurs vies…
En résumé, voici un ouvrage remarquable, au verbe humble, à la fois brillant et touchant. Voici une passion personnelle mise au service de l’évocation d’un magnifique pan de la création musicale contemporaine, audacieuse et fervente, émouvante et surprenante.
« Terry Riley, figure libre »,
par Jean – Louis Tallon, Editions Le mot et le reste, 241 pages, 22 euros.
Librairie Les Temps Modernes, 57, rue Notre Dame de Recouvrance, Orléans.

Jean-Louis Tallon, le 20 septembre aux temps Modernes. Photo: RT.
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