La république égyptienne, le cinéma et la dérive autoritaire

Trois ans après La Conspiration du Caire, Tarik Saleh boucle une trilogie commencée avec Le Caire Confidentiel en 2017. Avec bien sûr le même acteur phare, Fares Fares. Un grand acteur star se trouve embarqué dans un complot politique sauvagement réprimé. De l’insouciance du début au tragique final, Saleh continue de traquer les dérives égyptiennes.

George Fahmy (Fares Fares) devant le studio de cinéma. Photo Yigit Eken.



Par Bernard Cassat.


Les Aigles de la République se déroule actuellement. Mais dès le générique, Tarik Saleh nous indique ses références de cinéma, la période des années 50, les grandes années du cinéma égyptien. Et il construit son scénario avec un miroir, un film dans le film. George Fahmy (Fares Fares), un acteur adulé par le public, mène une vie de star avec sa nouvelle copine qui a l’âge de son fils. Jusqu’au jour où il est pris dans un engrenage redoutable. Un groupe de généraux politiques proches du pouvoir détenu par Al-Sissi lui demande de tenir le rôle d’Al-Sissi lui-même dans un film de propagande. Il est obligé d’accepter, sinon son fils risque d’avoir de sérieux ennuis.

L’insouciance de la vie de star. Photo Yigit Eken.


Mais les siens vont s’aggraver au fur et à mesure. Surtout qu’il séduit la femme du ministre de la Défense, Suzanne, jouée par la très belle Zineb Triki. Autant le tournage du film que sa propre vie vont devenir des cauchemars. D’autant que les politiques en question fomentent un complot contre le chef qui va se terminer dans une fusillade au cours d’un défilé en l’honneur de la patrie. Cette scène évoque l’assassinat d’Anouar el-Sadate, qui avait été fatal à l’ancien président. Dans le film, Al-Sissi en réchappe, donc les comploteurs vont mourir. Et la star George Fahmy participe à cette liquidation. La comédie du début tourne en film noir, très noir.

L’œil et l’oreille du pouvoir : Mansour (Amr Waked). Photo Yigit Eken.


Le côté politique du film est au fond assez caricatural, l’essentiel du message se résumant à la très grande pression de la censure et aux arrestations arbitraires de l’ère Al-Sissi. Tous les systèmes de corruption éclatent au grand jour, des menaces sur la famille jusqu’à l’assassinat pur et simple. Rula (Cherien Dabis), une actrice amie de George, draguée et maltraitée par le ministre de la Défense, disparaît tragiquement. La dérive autoritaire des dirigeants sous-tend toute la narration, surtout par la présence de Mansour (Amr Waked), un confident d’Al-Sissi et patron du renseignement. En permanence sur le tournage du film, il contrôle tout, même le jeu des acteurs.

Avec Suzanne (Zineb Triki). Photo Yigit Eken.


Car le report de la question politique sur la question de l’art et du cinéma amène des réflexions sur le rôle des acteurs et des cinéastes dans ce régime qui tue. Tarik amalgame sans doute avec raison ces deux mondes, même si son film là-dessus reste manichéen. On sait, dès que George ne dit pas non au monde de la politique, que ses ennuis vont être immenses. Et qu’il complique encore sa situation par sa liaison avec la belle Suzanne.

La ville du Caire est une fois de plus très présente

Ville tentaculaire entourée de désert, rues grouillantes, vues aériennes, le réalisateur nous la montre de plusieurs façons. Les studios de cinéma également, grands halls blancs rectilignes. Tarik retrouve la beauté visuelle de La Conspiration du Caire, ses jeux d’images avec des foules, cette rigueur de construction graphique (les fans qui courent sur le toit du train). Il y a ici beaucoup d’intérieurs. Les appartements luxueux, mais aussi les lieux de pouvoir rigoureux et impériaux.

Les choses tournent mal. Photo Yigit Eken.


Mais tout le film repose sur les acteurs, surtout sur Fares. Il est formidable. À l’opposé physiquement d’Al-Sissi (la scène de la taille des présidents est assez jubilatoire) à qui il n’essaie d’ailleurs pas de ressembler, il est capable de beaucoup d’apparences (bad boy caché derrière ses lunettes noires pour acheter du viagra ou séducteur de la haute aux yeux brillants de malice) et le monde de la frime de star de ciné lui va comme un gant. Son visage, pourtant pas facile, exprime énormément, lui permettant de rester très crédible dans les moments tragiques de vérité de la fin.

Moins réussi esthétiquement que La Conspiration, qui sur le plan visuel était une pure merveille, ces Aigles de la République constituent néanmoins une très belle réalisation au savoir-faire poussé. Tarik Saleh est un grand cinéaste.


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