Côté pile, Frédéric Augis est le maire plutôt bonhomme de Joué-lès-Tours, il est parfois même un élu rigolo qui dirige le conseil municipal de fin d’année en portant un bonnet de père Noël ou qui partage des photos de son chien Praline sur les réseaux. Côté face, c’est l’homme des campagnes électorales rugueuses et de la condamnation pour injure raciste envers l’un de ses collègues. C’est d’ailleurs ce second visage qui s’exprime dernièrement à l’approche des municipales 2026. Notamment avec une publication sur Facebook dont les commentaires font l’objet d’une plainte pour des « injures racistes et propos diffamatoires ».
À l’approche des municipales, Mister Augis ressurgit sur les réseaux sociaux. ©DR
Par Joséphine.
Un maire 2.0
Sur les réseaux aussi, Frédéric Augis est dual. D’un côté, il possède en tant que maire un compte officiel sur Facebook où il partage des informations institutionnelles et quelques photographies le montrant proche de ses administrés, des agents municipaux et des élus de sa majorité. Très lisse. Classique. Mais d’un autre côté, sur son compte intitulé « blog personnel », les contenus sont un peu plus âpres. Pourtant, la différence formelle entre les deux profils est assez minime – et confuse pour les personnes non expertes en réseaux sociaux – : présentations similaires, mise en avant de l’action politique, nombre d’abonnés comparable, accès totalement libre aux publications, mélange de photos privées et publiques.
Et c’est sur ce compte « blog personnel » que Frédéric Augis est devenu particulièrement offensif en ces temps de pré-campagne. Des articles de la Nouvelle République qui ne relaient pas pieusement la communication de la majorité municipale y sont vivement attaqués, ainsi que les journalistes qui en sont les auteurs. « Roman », « tract militant », « fiction engagée », « chronique d’ambiance écrite depuis un bureau », « discours partisans », « procès politiques », « parole militante », « mise en scène »… sont les sympathiques qualificatifs attribués par Monsieur le maire à certains papiers lui déplaisant.
La meute jocondienne
Mais c’est surtout une publication du blog personnel de Frédéric Augis sur Facebook le 13 novembre dernier, au sujet d’un article de la NR, qui a déclenché la polémique et l’emballement médiatique local. L’article en question évoque le cas d’un commerçant qui se plaint de l’inaction de la mairie de Joué-lès-Tours après l’incendie de son bar lors des émeutes urbaines de l’été 2023, bar situé dans un petit centre commercial laissé depuis dans un état déplorable. Bien entendu, Frédéric Augis n’a pas apprécié le papier et le fait savoir. Et sous le post Facebook du maire, c’est un véritable défouloir. 130 commentaires, dont la plupart parlent d’un « incendie volontaire pour toucher les assurances », d’un lieu rempli « d’hommes assis toute la journée qui ne travaillent pas », de commerce « acheté avec l’argent de la drogue », de clients « avec des belles voitures que nous travailleurs et retraités on ne peut pas se payer car on est là pour faire vivre ces fainéants », d’habitants qui « se plaignent, cassent ce qu’ils ont », du quartier qui « n’est pas la France mais le bled, ils brûlent tout, saccagent tout, des vendettas pour de la drogue, des règlements de compte (…) quand on est en France on vit français et on respecte la France ». Un commentateur se demande « pourquoi le gouvernement ne rase pas ce quartier en faisant le ménage, amenez les légionnaires ils vont nettoyer toute cette merde et la France redeviendra française ». Un autre « critique ceux qui pleurnichent, les cassos quoi… et j’aime le cochon si tu veux tout savoir », avant de conclure : « qu’ils restent dans leur bazar les caïds », « Joué c’est de la merde, c’est devenu une poubelle ».
Interrogé par la NR sur ces commentaires restés à la vue de tous depuis trois semaines, Frédéric Augis balaye d’un revers de main tout problème. « Je ne modère jamais, je ne regarde pas les commentaires » dit-il. Pourtant, Augis a bien « liké » certains commentaires, a même répondu à d’autres, notamment celui qui demandait « qui a mis le feu ? ». « En voilà une bonne question 😉 » répond carrément l’édile avec un mystérieux smiley clin d’œil plein de sous-entendus, avant de préciser : « les caméras avaient été vandalisées la veille de l’acte criminel ». Preuve, d’ailleurs, de la confusion entre ses comptes Facebook et du fait qu’il suit bel et bien ces interactions avec attention, Frédéric Augis répond à un commentaire de cette publication avec son compte officiel de maire.
La justice à la rescousse
Mais au-delà du caractère choquant de cette prose haineuse sous la publication d’un élu, il y a également matière à des suites judiciaires. « Après mûre réflexion, et sur les conseils de mon avocat, ainsi qu’après échanges avec SOS Racisme et la LICRA, j’ai pris la décision de déposer plainte contre les auteurs de ces messages, mais également contre Monsieur le Maire, en tant que modérateur de sa propre page Facebook, qui a laissé ces propos se maintenir publiquement sans modération ni suppression (…) Selon une jurisprudence claire de la Cour de cassation (chambre criminelle, 10 décembre 2019), un élu ou administrateur de page Facebook engage sa responsabilité pénale s’il laisse en ligne des propos illégaux publiés par des tiers sur sa page. De plus, Monsieur Augis est un dépositaire de l’autorité publique, ce qui renforce la gravité des faits. En sa qualité de maire, il avait le devoir d’agir rapidement pour supprimer les propos en question. J’ajoute que je mène depuis plusieurs années un combat légal, pacifique et transparent pour la réouverture de mon commerce et la redynamisation de mon quartier. Je ne peux accepter que cette mobilisation citoyenne soit aujourd’hui salie par des propos violents, racistes et méprisants », déclare publiquement Amine Abdellaoui, le gérant du bar incendié cité par la NR et pris à parti sur Facebook.
La polémique est d’autant plus aiguë qu’elle s’inscrit en pleine préparation de la campagne pour les municipales et que les coins populaires de Joué-lès-Tours – et ses légions d’électeurs – sont particulièrement courtisés. Il y a donc là un gros enjeu pour les candidats qui se doivent d’entretenir les meilleures relations avec les figures des quartiers, d’autant plus quand ces figures, telles Amine Abdellaoui, sont des gérants de bars, lieux par excellence de discussions politiques et de prescriptions de vote, lieux où les réputations se font et se défont rapidement. D’ailleurs, déjà pendant la campagne 2014, Frédéric Augis qui voulait alors conquérir la mairie avait promis un petit local contigu au bar à… Amine Abdellaoui qui l’avait alors soutenu. Mais désormais, le patron du bar, dégoûté par la situation, annonce s’engager aux côtés de Romain Fredon, le candidat d’union de la gauche qui tentera de ravir la mairie à la droite en mars prochain. Tout s’explique donc.
Flash-back
2014, parlons-en justement, pour pleinement saisir le personnage de Mister Augis que l’on sent poindre à nouveau depuis quelques semaines. Alors simple élu UMP de l’opposition depuis 2001 dans ce bastion socialiste qu’était Joué-lès-Tours, le jeune Doctor Frédéric décide que cette fois doit être la bonne et qu’il lui faut absolument gagner. Coûte que coûte.
Arrivé deuxième au soir du premier tour avec 600 voix de retard sur le maire socialiste sortant Philippe Le Breton qui briguait un quatrième mandat, Augis doit aussi composer avec un FN arrivé troisième avec 18% des voix et qui décide de se maintenir, provoquant une triangulaire. L’équation semble insoluble mais… Frédéric Augis choisit alors de s’appuyer sur le contexte local mouvementé pour essayer de retourner la situation.
Car depuis la rentrée 2013, des rumeurs délirantes au sujet d’une prétendue propagande autour de la « théorie du genre » circulent à Joué. Cette propagande serait même dispensée dans une école primaire de la ville dans le cadre de l’ABCD de l’égalité, un dispositif pédagogique déployé par le ministre socialiste de l’Éducation nationale afin de lutter contre les stéréotypes homme-femme. L’extrême-droite locale, doublée d’une drôle d’influenceuse Internet – Farida Belghoul – fait alors monter la mayonnaise, organisant même des « journées de retrait des enfants de l’école » pour protester contre l’enseignement proposé aux élèves, parfois présenté comme carrément un cours de masturbation, à grands renforts de vidéos et de posts sur les réseaux sociaux partagés des dizaines de milliers de fois.
Baron-Noir-du-37
Quelques jours avant le premier tour déjà, Frédéric Augis – signataire de la charte de la Manif’ pour Tous à l’époque – tentait de faire de la récupération, écrivant dans un document de campagne « je suis catholique et mes deux enfants sont dans une école privée. J’ai fait ce choix de parent car je ne souhaitais pas que mes enfants apprennent la théorie du genre dans les écoles jocondiennes. Car vous le savez comme moi, malgré les dénégations de la gauche de Philippe Lebreton la théorie du genre est présente dans les écoles jocondiennes. (…) En tant que maire de Joué-lès-Tours je serai toujours un soutien pour les collectifs et les associations qui se battent contre ce genre de théories et autres abominations ».
Et à 48 heures du deuxième tour, un autre drôle de tract circule en ville, tract dont Frédéric Augis jurera ensuite ignorer l’origine. « Le document ressemble trait pour trait à ceux de la campagne du candidat UMP à la mairie de Joué-lès-Tours. Il porte le logo de la liste « Une nouvelle ambition pour Joué » et utilise la même typographie que les autres tracts du candidat UMP », commente la NR après les révélations du site La Rotative. Sur ce tract, on peut lire que « depuis la rentrée scolaire, [Philippe Le Breton et sa majorité socialiste] imposent l’enseignement de la théorie du genre. Je dis STOP ! (…) L’école de la République doit (…) surtout ne pas enseigner des idéologies qui vont contre les valeurs de la famille ».
Au soir des résultats du second tour des municipales, coup de tonnerre : Frédéric Augis a gagné 800 voix en une semaine, à peu près le même nombre de voix que le RN a perdu… et a réussi à l’emporter de 200 petites voix dans une commune qui compte 36 000 habitants. Malgré les recours déposés ensuite, le Tribunal Administratif d’Orléans puis le Conseil d’État finiront par valider l’élection.
2026, une balade de santé ?
Six ans plus tard, en 2020, Frédéric Augis remporte un second scrutin haut la main cette fois, dès le premier tour, aucune liste RN ne s’étant d’ailleurs présentée face au maire sortant. Maire sortant qui, à ce moment-là, avait abandonné son étiquette LR, fatigué d’avoir été associé au naufrage filloniste de 2017 et aux querelles intestines locales consécutives.
En position de force, devenu conseiller régional en 2021 ainsi que président de la Métropole à la suite de l’explosion en plein vol du mandat de Wilfried Schwartz, Frédéric Augis a de bonnes raisons de se penser invincible pour 2026. D’autant plus que, selon mes informations, cette fois encore, aucune liste RN n’est prévue pour briguer la mairie de Joué. Il n’y aurait pas non plus de liste de centre-droit, même si les macronistes locaux n’auraient pas trop envie de se ranger derrière un Frédéric Augis moins fréquentable depuis sa condamnation d’avril 2024 pour injure raciste après avoir traité un de ses collègues maires de « sale portugais ».
Là est donc le caillou dans la chaussure d’Augis pour 2026. Quel sera le poids de cette condamnation sur un électorat jocondien assez largement issu de l’immigration ? Quel effet aura cette affaire de publication Facebook sur les citoyens issus des quartiers populaires de la ville ? Et puis, il y a aussi Médiapart qui a sorti il y a quelques jours une enquête sur les frais de représentation des élus locaux, parfois très importants et bien peu contrôlés et… Tours Métropole en sort égratignée. Signe possible d’un début de fébrilité, Frédéric Augis a d’ailleurs fait annoncer aux élus métropolitains qu’il n’y aurait pas de buffet de servi à l’issue du prochain conseil métropolitain. Ceinture !
Reste donc désormais à savoir si la liste d’union de la gauche menée par Romain Fredon à Joué-lès-Tours saura enclencher une dynamique d’adhésion qui pourrait avoir pour base un début d’essoufflement du système Augis.
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