Salgado invité de l’album de Reporter Sans Frontières

En cette période de confinement à durée indéterminée, Magcentre vous propose un petit tour dans ses archives, à la recherche des pépites du quotidien qui ont fait notre info en ces temps bénis de l’avant Covid-19.

Plus de 14.000 articles à revisiter au hasard de ces 8 années d’existence pour trouver le papier de l’actualité d’un jour de cette décennie d’information sur un autre ton. Bonne lecture !

Article publié le 20 avril 2016 dans la rubrique Bouquins

Il y a au moins trois bonnes raisons d’acheter l’album de printemps de Reporters Sans Frontières !

Première raison, c’est bien sûr le soutien à cette association qui non seulement défend à l’échelle mondiale la liberté de la presse et son corolaire la protection des journalistes menacés pour leur métier, mais aussi établit chaque année le classement des pays en matière de liberté de la presse en prenant en compte tant les assassinats de journalistes que la concentration des médias dans les mains de  quelques riches oligarques.

La deuxième raison, c’est donc l’incontournable publication dans ce numéro, de la carte du monde de la liberté de la presse, accompagnée de quelques monographies par pays dont l’évolution semble inquiétante à différents égards.

Il y a bien sûr la Chine (176/180) qui non seulement détient le record mondial de journalistes emprisonnés mais cherche aujourd’hui, forte de sa puissance économique, à imposer dans les instances de régulation du net son concept de journalisme “constructif”, qui trouve un inquiétant écho du coté de la Hongrie (64/180 -45 places en trois ans) où Viktor Orban, premier ministre réélu en 2010, a créé une sorte de CSA dont il nomme les cinq membres en charge d’un contrôle tatillon de la “moralité” des journalistes menacés directement de lourdes sanctions financières (jusqu’à 900 000 € d’amende !).

Et la France ?

Passons sur la Pologne qui dégringole de 29 places en quelques mois, passant de la 18ième place à la 47ième, le nouveau gouvernement de Jaroslaw Kaczynski,  élu en 2015 reproduisant les choix institutionnels de la Hongrie, passons sur la Russie de Poutine (152/180) dont la crise ukrainienne n’a fait que renforcer la répression des médias, et regardons la France qui avec un classement de 45/180 ( -7 places en un an, alors que les assassinats de Charlie Hebdo n’ont pas été pris en compte), derrière le Bostwna et juste devant la Pologne, ne fait pas vraiment figure de bon élève pour le pays qui s’auto-qualifie de pays des “droits de l’homme et du citoyen”.

En plus des inquiétudes pointées par le site de RSF quant à la loi sur la protection des sources journalistiques toujours en gestation, la publication épingle la concentration galopante des médias français entre les mains de quelques oligarques: après TF1 du groupe Bouygues et le groupe Figaro du groupe Dassault, la concentration s’est accélérée ces dernières années avec l’arrivée dans le secteur des médias de Vincent Bolloré (Canal+), Xavier Niel (Le Monde), et autre Patrick Drahi (BFM tv). Et RSF d’indiquer qu’en France, à l’instar des Etats Unis, “une poignée de milliardaires contrôle 90 % des médias dans le pays”.

Sebastiao Salgado Sao Paulo Brésil 1996

Et pour se consoler de ces nouvelles pour le moins inquiétantes concernant l’Europe, troisième raison incontournable, les 100 photos publiées dans cette revue de printemps, du brésilien Sebastão Salgado, auquel le cinéaste Wim Wenders a consacré un film en 2014 (voir Magcentre).

Salgado est sans doute l’un des grands photographes de cette fin de XXième siécle qui réussit dans des clichés d’une composition qui touche à la perfection, à transmettre une empathie palpable pour les sujets  photographiés. Des situations de guerre ou de misère les plus extrêmes qu’il saisit, il construit des images dont la beauté transcende l’humanité de ses sujets: ces visages, ces corps, ces pieds, ces regards nous renvoient à l’universalité de notre condition humaine, impliquant toujours notre conscience au delà de notre regard.

Certes la photo est un art, mais telle que la pratique Salgado, c’est un humanisme.

Gérard Poitou