Le multiculturalisme, incompatible avec la France ?

[Tribune]

Que l’on approuve ou non les récentes manifestations organisées par le comité Adama de ce mois de juin 2020, force est de constater que chaque rassemblement a rassemblé plus de 15 000 personnes dans la capitale. Renouvelant le débat sur le racisme dans notre société, il est aujourd’hui impératif de s’interroger sur l’universalisme républicain français.

L’une des pancartes brandies pendant la manifestation organisée par le comité Adama à Paris, le 13 juin 2020 – © Cylia Rieumaihlol

« Se mettre sur un plan racial, c’est tomber dans un double piège. Celui des indigénistes, des racialistes, alors qu’il faut rester sur un plan républicain. C’est aussi tomber dans le piège de l’américanisation, alors que rien ne se construit, en France, en fonction de communautés », déclare Marine le Pen, présidente du Rassemblement National (RN) en sermonnant sa nièce Marion Maréchal qui fustigeait qu’elle n’avait pas à s’excuser « en tant que blanche et en tant que Française » pour la mort de George Floyd et d’Adama Traoré. Marine aurait-elle donné une leçon d’antiracisme à sa nièce ? Non car qu’aujourd’hui, les racistes en France se refusent justement à parler de « race ».

Cela explique l’opposition ferme de Marine le Pen à la proposition de Sibeth Ndaye, porte-parole du gouvernement, de rouvrir « de manière apaisée et constructive le débat autour des statistiques ethniques ». La prudence de l’extrême droite face à la démocratisation des statistiques ethniques est compréhensible. Il faudrait faire attention à ne pas déconstruire les fantasmes du RN telle que sa théorie du grand remplacement. Aujourd’hui, refuser de parler de « race », sous couvert de politiquement correct, c’est précisément entrer dans le jeu du RN. Afin de défaire le nœud social, il importe de s’accaparer de la question raciale – non pas sous le prisme biologique qui est désapprouvée depuis fort longtemps même par les extrêmes – mais sous le prisme d’une identité visible.

Les statistiques ethniques : un outil de connaissance du terrain

Les statistiques ethniques replacent au cœur du débat la question raciale. Parce que l‘Insee relève que le taux de mortalité en Seine-saint-Denis, département le plus diversifié de France socialement, est six fois supérieur à la moyenne nationale en mars-avril 2020 pendant l’épidémie de Covid-19. Outre ces fractures sociales parce que – que les individus le veuillent ou non – il est tout simplement visible sur le faciès des citoyens français issus de l’immigration qu’elles sont non-blanches. En se fondant sur la réalité, l’universalisme à la française n’est finalement qu’une chimère. Et de ce fait, dans cette vision édulcorée, sans cesse la société leur demande de faire un choix implicite entre la culture française et celle de leur origine. Comme si un citoyen français avec des origines étrangères ne saurait s’identifier à ses deux cultures.

Cessons la stigmatisation du multiculturalisme. Comprenons qu’en refusant aux individus de se prévaloir de la part visible d’une de ses deux cultures, le communautarisme gagne. C’est en faisant du multiculturalisme, un frein à la cohésion sociale que certains français d’origine baignent dans la terreur de l’aliénation de la culture française. En France, il est essentiel de prendre conscience qu’aimer la Marseillaise n’est pas incompatible avec le fait d’apprendre l’arabe. Et que de ne pas avoir d’affect pour la Marseillaise, n’est pas inconciliable avec le fait de chérir la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. 

Le multiculturisme par l’éducation

« L’éducation est l’arme la plus importante qu’on puisse utiliser pour changer ce monde », déclare Nelson Mandela. Nous devons en être convaincus. Les récentes manifestations contre les violences policières et surtout contre le racisme ont mobilisé plus de 15 000 personnes qui sont pour beaucoup des jeunes. Dans une France, en pleine crise identitaire, l’État ne peut pas passer à coté d’une réconciliation avec la jeunesse. Aujourd’hui, il est urgent de faire de l’éducation un pilier pour apprendre à vivre ensemble. C’est pourquoi, l’enseignement de l’histoire, la littérature ou l’art à l’école doit évoluer et dépasser les frontières.

La richesse de nos différences culturelles est l’universalisme. Quand l’Etat prendra en compte ces diversités, il pourra créer grâce à l’éducation, l’arme de destruction massive du racisme. En offrant à la jeunesse la chance d’étudier l’histoire de grandes civilisations, de grands réalisateurs étrangers ou la plume d’écrivains étrangers comme l’algérien Yasmina Khadra, l’un de plus grands romanciers de la langue française aujourd’hui, nous permettons une autre ouverturee sur le monde. Khadra raconte Kaboul, la guerre entre Israélo-palestinen, Bagdad. C’est avec ces connaissances que nous ouvrirons le champ des possibles pour celui qui n’a pas eu la chance de bénéficier d’une double culture mais aussi pour que la personne issue d’autres origines puissent avoir la possibilité de vivre et de comprendre sa double-culture. 

Les critiques au multiculturalisme

Certains penseurs tel que Bryan Barry émettent de fortes critiques au multiculturalisme. L’un des arguments du philosophe est que le multiculturalisme favoriserait les inégalités et se ferait au détriment d’une identité commune. Ainsi, la défense de l’égalité serait incompatible avec les droits culturels et les droits des groupes. Parmi les exemples, il donne celui des écoles avec des afro-américains qui s’initieraient au Black English [terme anglais originellement employé aux États-Unis pour caractériser la variété linguistique parlée par les Afro-Américains NDLR]. Pour lui, cela porterait préjudice à leur réussite car « la réussite économique passe par la maîtrise convenable de la langue vernaculaire du pays ».

 En 1996, la commission d’Oakland (USA) a reconnu l’existence d’un langage utilisé en tant que langue maternelle par les enfants d’origine afro-américaine, en expliquant que la reconnaissance de celui-ci permettrait de faciliter l’enseignement de l’anglais standard. L’apprentissage d’une langue maternelle n’est pas une marque d’opposition. D’ailleurs, elle est une richesse culturelle supplémentaire.

Pour l’universitaire britannique, Bhiku Parek, partisan du multiculturalisme, il faut s’écarter du libéralisme car il y urgence « à s’adapter à la mondialisation et à l’immigration post-coloniale ». Sa réflexion pousse à admettre la reconnaissance d’une identité propre des minorités. L’assimilation sous le prisme de l’universalisme républicain n’est plus réalisable mais évidemment, il importe de poser des limites comme en matière de santé publique. Cependant, il faut s’appuyer sur une réalité et non plus sur des fantasmes assimilationnistes. 

La société doit relancer le débat avec un regard différent et bienveillant pour redonner leurs places aux minorités. Nous devons apprendre à ouvrir le dialogue avec les principaux concernés dans le débat public et de ne pas s’estimer mieux placés qu’eux. Les débats sur le voile et le mouvement Black Lives Matter en France sont des exemples de notre incapacité à entendre les minorités qu’on ne peut minorer pour avancer.

Melissa Chenda Ang

Commentaires

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  1. Cet article, plein de bonnes volonté sans doute, est tout de même très “confusionnel”. Il amalgame toutes sortes d’idées et de concepts, dont certains sont curieusement pervertis pour servir la démonstration.
    L’universalisme par exemple, y est présenté comme une chimère. Non, c’est un idéal, ce qui est une autre chose, qui postule que… tous les hommes sont égaux, et que leur émancipation (leur capacité à mobiliser leur raison pour se forger leur propre opinion, leur propre conscience, plutôt que de se faire imposer une vérité absolue et indépassable par un dogme) doit être le but de notre société. C’est l’origine, en France de l’école laïque et républicaine par exemple. Il est d’ailleurs remarquable que l’aspiration à la liberté, à la justice sociale, à l’égalité (qui sont au cœur des valeurs universelles décrites par les philosophes du siècle des Lumières), sont aussi au centre des revendications des jeunes hongkongais ou des peuples africains qui se lèvent face à leurs dictateurs, voire aux opposants russes ou turcs). Mais c’est vrai que le mot chimère sonne tellement mieux et fait savant.
    C’est aussi la confusion, savamment entretenue dans ce papier, entre multiculturalisme et communautarisme.
    Dans la République français (idéale et non chimérique), il n’y a qu’une seule communauté, égale en droit (c’est aussi un idéal), constituée de tous les citoyens libres et responsables.
    Et chaque fois que je dis “idéal” c’est bien sûr qu’il y a encore beaucoup de travail pour atteindre, approcher, les objectifs évoqués. Mais à part dans la mythique maison de dieu, il n’y a guère de construction humaine qui puisse raisonnablement prétendre à cette perfection !
    Soyons à cet égard toujours attentif à l’avertissement du philosophe Régis Debray (qui n’est pas connu comme étant un grand supporter des thèses de l’extrême droite) : il n’y a souvent qu’un pas, dans l’esprit de leur défenseur, entre l’exigence de la reconnaissance du droit à la différence et celle de la reconnaissance d’une différence des droits. Et c’est justement cela qu’assure notre constitution républicaine : l’identité des droits de tous les citoyens.
    Ceci n’empêche aucunement de saluer, de célébrer même parfois, les identités culturelles multiples dont nous sommes tous composés (mon origine bretonne, alsacienne, tunisienne, béninoise, vietnamienne, ma croyance ou mon athéisme, mes préférences sexuelles, mes choix politiques, mes goûts, mes pratiques sportives et culturelles, …) qui sont les multiples facteurs de mon identité et mon multiculturalisme personnel … sachant qu’une les transcende néanmoins toutes : je suis citoyen d’une République, que certes je voudrai meilleure, mais qui m’offre déjà ce qui se fait de mieux (ou presque) sur cette terre, en matière de protection sociale, de lutte contre la pauvreté, de respect de la démocratie, …
    Quant à la rengaine sur les statistiques ethniques régulièrement entonnée, surtout par ceux qui n’ont aucune idée de ce que sont les statistiques et de leur usage, il suffit de voir leur “parfaite” utilité dans des pays qui les pratiquent, et qui sont d’ailleurs aussi des pays favorisant le communautarisme ou le multiculturalisme revendiqué ici, pour se rendre compte de ce qu’ils apportent concrètement en matière de lutte contre les discrimination ou autres tentations “racisantes”. On pense particulièrement aux USA, à la Grande Bretagne… mais on pourrait aussi citer quelques émirats moyen-orientaux, ou d’anciennes républiques socialistes… Il est d’ailleurs cocasse, puisque le RN est cité comme l’opposant des statistiques ethniques, de se souvenir que son prédécesseur immédiat, le Front National (FN) les réclamait il y a peu pour mieux dénoncer la prévalence de la délinquances prêtée aux personnes d’origine africaines ou maghrébines en France… Voilà comment certains veulent utiliser ce type de données “scientifiques” (on a eu le cas à Béziers il y a 5 ans). Rappelons enfin, à ce sujet, comme le font régulièrement les responsables de l’Institut national des études démographiques (INED), que les chercheurs (les vrais pas les pseudo-savants des réseaux sociaux ou des chaînes d’info en continue), sont tout à fait en mesure, avec les autorisations nécessaires de la Cnil, de poursuivre des études très sérieuses sur les discriminations liées aux origines, aux habitats, … qui font les démonstrations nécessaires pour les décideurs publics. Charge à ces derniers d’en tirer d’utiles politiques. Le rapport Borloo sur la ville en 2018 en est malheureusement un parfait mauvais exemple.
    Quant au débat sur le voile, lui aussi convoqué à l’appui de la démonstration des vertus du multiculturalisme, il est symptomatique de la confusion, consciemment ou inconsciemment entretenue dans ce papier. Il ne devrait échapper à personne qu’il s’agit avant tout d’un attribut religieux, ou en tout cas une revendication de visibilité religieuse, qui vise avant tout à assigner à celles (pas ceux d’ailleurs) qui le portent une appartenance communautaire indépassable. Il est d’ailleurs, ce voile, parfaitement autorisé dans tout l’espace public, comme privé. Il est simplement interdit dans l’enceinte de notre école publique et laïque, car, comme le disait Jean Zay en 1937, “il faut laisser les querelles des hommes à la porte de l’école”… afin de donner aux enfants les instruments nécessaire à la construction de leur propre raison qui en fera des citoyens adultes et responsables… et non pas les marionnettes des gourous de leur communauté d’enfermement.

  2. On ressent une grande intelligence de la part de ce journaliste. Excellent article, à partager !

  3. entièrement d’accord avec M. Marcel Georges.
    1) la référence à Mme Le Pen est malvenue, les fondateurs de son parti se référaient au régime dit de Vichy, qui élaborait des fichiers sur le juif, les francs-maçons, les gens du voyage…
    2) l’enseignement de l’Arabe existe dans l’enseignement public, avec on peut le regretter des effectifs faibles….
    3) l’auteure de cette tribune peut-elle me dire à partir de quand un citoyen est-il “noir” : 1, 2, 3 ou 4 grands-parents ?
    4) la France est le pays d’Europe où les mariages “mixtes” sont les plus nombreux! Ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons.
    5) on ne demande pas de respecter la “culture française” mais la loi qui s’impose à tous les citoyens et à ceux qui vivent sur le territoire, et heureusement elle évolue : abolition de la peine de mort, de l’autorité paternelle, égalité femmes-hommes, mariages de personnes de même sexe…veut-on nous enfermer les uns et les autres dans des cultures d’origine d’un autre âge!

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