« La Charte du Conseil français du culte musulman n’apporte pas de solutions concrètes »

La laïcité s’est encore invitée cette semaine dans l’actualité nationale avec l’adoption le 18 janvier de la Charte pour les principes de l’islam de France du CFCM. Le jour même où les députés commençaient à plancher sur la loi sur le renforcement des principes républicains. Deux sujets commentés sans langue de bois par l’intellectuel musulman orléanais Mohamed Khoutoul.

Mohamed Khoutoul

Mohamed Khoutoul. DR

Le président de la République n’a pas caché sa satisfaction le 18 janvier dernier, après l’adoption par le CFCM (Conseil français du culte musulman) d’une Charte pour les principes de l’islam de France. Dix articles qui abordent des sujets sensibles comme « la compatibilité de la foi musulmane avec les principes de la République, le rejet de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques, la non-ingérence des États dans l’exercice du culte musulman en France, l’égalité hommes-femmes ou le rejet de pratiques coutumières prétendument musulmanes ». Une charte affaiblie toutefois par le fait de n’avoir été signée que par six fédérations sur les neuf qui composent ce CFCM.

D’ailleurs, des voix d’intellectuels musulmans s’élèvent pour critiquer cette charte et le CFCM. C’est le cas de l’Orléanais Mohamed Khoutoul, auteur, entre autres, de l’ouvrage Islam, Intégration, Insertion (L’Harmattan, 2017).

Vous êtes très critique vis-à-vis de cette charte, pourquoi ?

 Mohamed Khoutoul : À sa lecture, il y a deux constats que l’on peut faire immédiatement. Le premier, c’est que l’on voit que l’État est impuissant à imposer son autorité par la loi. Pour moi, il n’y a pas de négociations possibles face à la barbarie de l’intégrisme radical. Le seul moyen d’agir c’est par la force militaire et policière et par la loi. Lorsque quelqu’un égorge un prêtre ou pose des bombes dans un café ou un restaurant, on peut rédiger une charte mais ça ne résoudra pas le problème.

Le second point c’est que cette charte rédigée par le CFCM démontre clairement l’incapacité de cette institution nationale à réfléchir à un projet global d’organisation de l’islam de France en France. Donc pour moi, il y a trois questions essentielles à se poser : en quoi cette charte est-elle utile et nécessaire ? Cette charte est-elle l’expression de l’essence du message du l’islam ? À mon avis, non. Elle ne fait que reprendre les termes génériques de Liberté, Egalité, Fraternité et République, mais ce sont des sujets que nous connaissons déjà donc on n’a pas besoin de les mettre dans une charte.

« Cette charte appauvrit le message d’excellence et noble de l’islam. »

Enfin, en quoi cette charte est-elle une référence pour la communauté musulmane et plus globalement pour les citoyennes et citoyens français ? En fait cette charte montre surtout les divergences qui existent au sein du CFCM. C’est le résultat d’une délégitimation de l’équipe dirigeante soucieuse avant tout de défendre ses intérêts individuels, idéologiques, culturels, linguistiques et de pays d’origine. Donc ils ne sont pas là pour servir l’islam. Au contraire, cette charte appauvrit le message d’excellence et noble de l’islam.

C’est ce qui expliquerait le refus de trois fédérations de signer cette charte ?

M.K. : Oui car chaque fédération cherche à présider ce CFCM afin de parler au nom de son pays d’origine et de sa communauté culturelle, linguistique et ethnique.

 Il y a tout de même des principes forts dans cette charte : l’égalité hommes-femmes, la compatibilité de la foi musulmane avec la République, le rejet de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques ou encore la non-ingérence des états étrangers.

 M.K. : Oui je suis d’accord bien sûr avec ces principes mais ce ne sont que des déclarations d’intention. Ce qui me gêne, c’est qu’ils ne disent pas quelles actions concrètes ils entendent mettre en place pour lutter notamment contre la barbarie de l’intégrisme radical dans certaines mosquées à l’échelle nationale. Donc ma question est : qu’est-ce-que l’on fait concrètement demain ? Est-ce-que le CFCM a la légitimité pour intervenir dans les mosquées ? Pour enfin dire les orientations que nous prenons. Les catholiques ont un clergé constitué avec un évêque dans chaque diocèse. Nous n’avons pas cela aujourd’hui [il n’y a pas de clergé dans l’Islam, NDLR]. Pourtant, nous pourrions mettre en place une organisation morale et institutionnelle en respectant les principes sacrés de la relation du relatif à l’Absolu.

Mais de toute façon, ce plan d’actions n’est pas possible car le CFCM n’est pas légitime pour parler au nom de tous les musulmans de France. Il y a une telle disparité culturelle, ethnique, linguistique que ça pose un vrai problème pour l’islam de France.

 Ce qui pose également l’épineuse question de la formation des imams en France ?

 M.K. : Oui et c’est d’autant plus compliqué que le CFCM n’a pas de compétence théologique, c’est pour cela que l’on essaie de créer un Conseil des imams de France mais encore faudrait-il qu’il y ait un socle commun [La grande mosquée de Paris s’est retirée du projet fin décembre, NDLR]. Dans cette construction de l’islam de France, il faut faire fi de ce qui relève de la culture, des pratiques sociales et des traditions des pays. On ne peut donc pas bâtir un islam de France sur ces bases. Il faudrait que des théologiens éclairés intègrent le CFCM et qu’ils aient la légitimité et l’autorité afin de pouvoir s’exprimer au nom de l’islam et dire aux musulmans de France « l’islam que vous devez vivre dans le contexte français ».

« En tant que musulman, je me sens concerné mais non responsable des actes terroristes.» 

 Par ailleurs, êtes-vous favorable à la future loi sur le renforcement des principes républicains et qui est discuté par les députés depuis le 18 janvier 2021 ?

 M.K. : Je suis tout à fait d’accord avec la volonté de renforcer les principes républicains et c’est heureux que le mot séparatisme ait été enlevé. Mais le problème aujourd’hui n’est pas lié à l’islam de France mais à l’arrivée en France de communautés issues de l’immigration de confession musulmane. La question c’est comment permettre à ces communautés, qui sont multiples, de s’acclimater en France en adhérant aux principes de la République. La réussite de cela ne peut passer que par l’école. Et bien évidemment encore une fois combattre la barbarie de l’intégrisme radical par la force de la loi et l’autorité de l’État.

En tant que musulman, je me sens concerné mais non responsable des actes terroristes. La communauté musulmane ne peut pas rester indifférente. Elle doit réagir par des discours dans les mosquées, en rappelant le message essentiel de l’islam, en construisant des mosquées dignes de ce nom, ouvertes sur la culture française. Il faut aussi que les principes de la République entrent dans les mosquées. Encore faut-il avoir pour cela des imams compétents sachant parler les deux langues et qui adaptent le message de l’islam au contexte français mais aussi qui soient capables de traduire l’esprit des textes fondateurs de la République.

 Enfin, que pensez-vous de la charte de la laïcité d’Orléans qui permettra aux élus qui le souhaitent de communier avec leur écharpe républicaine le 8 mai lors de la messe des Fêtes de Jeanne d’Arc ?

 M.K. : Pour moi, cela n’est nullement contraire aux principes fondateurs de la loi de 1905. Tant que les élus ne montent pas sur l’autel pour faire un discours politique, ça ne me pose aucun problème. Un élu de la République est aussi un homme ou une femme de foi et de loi. Soyons libres d’esprit pour bâtir une France plurielle dans la voie humaine et de juste milieu.

 Propos recueillis par Sophie Deschamps 

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. Enfin un discours plein de bon sens et compréhensible par tous. Voilà la personne qu’il faut nommer au niveau national pour mettre en place ses propositions.

  2. Enfin des solutions concrètes des paroles de bon sens et une solution pour tout le monde et je suis d’accord avec Mr BELOUET que Mr KOUTOUL et la bonne personne qu’il faut nommer au niveau national pour mettre en œuvre ses bonnes idées.

Les commentaires pour cet article sont clos.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    • matin 12°C
    • après midi 16°C
  • mercredi
    • matin 11°C
    • après midi 14°C
Copyright © MagCentre 2012-2024