L’ancien monde, la start-up nation, le château et la Préfète #2

Le 15 décembre dernier, Magcentre reprenait les révélations du Canard Enchainé sur le limogeage de Marie Lajus, préfète d’Indre et Loire, remerciée sans préavis par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Depuis, de courriers en pétition de soutien, l’affaire a pris une ampleur nationale tant cette décision sans explication officielle apparait comme choquante quant au respect des lois républicaines en région. Nous revenons ici sur cette affaire avec une enquête très documentée sous la forme d’un feuilleton de Noël au cœur des rouages du pouvoir en région.

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Le château Louise de la Vallière Wikipédia

Chapitre 2

Le beau monde

Revenons à notre soirée d’inauguration du 22 octobre dernier, avec parmi les invités la comtesse Laurence Bizard-Hamilton, ancienne de sciences po Paris passée par Lagardère avant elle-même d’acheter en Touraine le Château de Champchévrier et d’en devenir directrice. Son mari, le comte Gustaf Hamilton, marchand d’art et de design suédois contemporain est là aussi, non loin du Baron Dominique de la Tournelle, issu de sciences po et passé par Oxbow, Christian Dior, Waterman, Newman, Yves Rocher et Thierry Mugler, tout en s’occupant d’un syndicat de patrons du textile. Une chambre de l’hôtel du Château Louise de la Vallière porte même le nom d’une de ses ancêtres. Émotion.

Ah, et n’oublions pas les politiques. Sont présent à la soirée Vincent Morette, maire PS de Montlouis et président de la communauté de communes à laquelle appartient Reugny et son château, et le député de la circonscription d’Amboise, Daniel Labaronne. Ce dernier, cadre LREM assez influent et facilement réélu en 2022, avait une carrière politique plutôt en dents de scie du temps où il était étiqueté plus à gauche. Say Who nous confie qu’il « est venu célébrer l’importance de ce projet voyant le jour pour la mise-en-valeur du patrimoine culturel de la région ». Et en effet, le député mouille la chemise pour le projet, il apparaît même en costume d’époque récitant un texte dans la vidéo promotionnelle du château de la Vallière.[Vidéo supprimée]

Le député Labaronne en costume, récitant un texte dans une vidéo promotionnelle du Château de la vallière.

Tous étaient là pour célébrer le Château, et « marcher dans les pas de Louise de la Vallière, flâner dans les allées du Château et se laisser transporter au temps des rois de France et de leurs favorites. ». Mieux, « à vivre une expérience à la fois sensorielle et temporelle, une véritable immersion au siècle de Louis XIV et de fait dans l’histoire de France, tant sur le plan culturel que patrimonial ». Car il est vrai que « cette maison d’exception trône au milieu d’une forêt ancienne de seize hectares qui abrite une réserve d’espèces animales protégées. […] Au restaurant gastronomique L’Amphitryon […] le chef élabore le menu avec l’aide d’un historien de la gastronomie. Le temps d’un séjour romantique, les hôtes peuvent également s’offrir une dégustation inoubliable au bar à champagne Le Saint-Évremond ou se détendre dans la piscine extérieure, chauffée toute l’année ». Et ne passons pas à côté du «  Spa « La Rosée » qui emprunte le surnom évocateur de Louise de La Vallière, incarnation de la beauté au XVIIe siècle, par sa grâce et la pureté de son teint. Détendez-vous en salle de soins, dans le jacuzzi, sous la douche sensorielle ». Et bien sûr, il y a les chambres, facturées entre 500 et 900 euros la nuit : « l’élégance du XVIIIe siècle qui se dévoile dans ce grand boudoir au nom de Madame du Barry, la favorite qui aimait Louis XV pour ses qualités d’homme et non pour sa couronne».

Petit plus pour vivre le grand frisson de l’Ancien Régime, le personnel du Château est régulièrement vêtu en costumes d’époque. En tout simplicité.

Quand l’ancien monde rencontre la start-up nation

Plus qu’une célébration du bon goût et du patrimoine, cette soirée du 25 octobre 2022 célèbre avant-tout le couple de propriétaires venus de Suisse : Miroslava Grebenstein – dite en toute simplicité Mira -, directrice d’une boîte grossiste en mode de luxe et Xavier Aubry, titulaire d’un prestigieux MBA à la Harvard Business School après des études de vétérinaire, désormais reconverti dans les start-up.

Après ses études, M. Aubry s’oriente rapidement vers le consulting spécialisé dans l’innovation, le management et l’ingénierie de projets. Il est membre du CA d’une association-lobby à Bruxelles qui regroupe les consultants du secteur et il a fondé Zaz Ventures en Suisse, boîte réputée dans l’accompagnement, la coordination et la prise en charge de la rédaction des dossiers de demandes de subvention de labos ou de consortiums public-privé qui développent des projets de recherche en robotique, intelligence artificielle, big data, nanotechnologies, thérapies géniques et technologies issues du quantique. Les deux époux sont au CA de Zaz Ventures, mais c’est Xavier Aubry qui dirige le cabinet, du reste visiblement en bonne santé : plus de 900 millions d’euros de subventions et investissements publics levés depuis 2014 pour les projets accompagnés, avec en général 10% de l’enveloppe qui va à la rémunération du cabinet, soit probablement un chiffre d’affaires dépassant les 10 millions d’euros par an.

En fait, l’implantation du couple en Touraine ne se résume pas à la vie de château et depuis peu, une autre dimension business est apparue. L’esprit hyper-actif des premiers de cordée, que voulez-vous.

 

En 2021, Zaz Ventures monte une sorte de succursale française qui répond au nom de Da Vinci Labs dont la direction est assurée par Xavier Aubry. La première année, la petite boîte n’a pas d’activité, mais en 2022, elle change d’adresse et occupe les locaux d’une jolie bâtisse que le couple semble également posséder ou du moins louer à Nazelles-Négron, commune toute proche de Reugny. Da Vinci Labs se consacre, selon les statuts que j’ai pu me procurer, à faire de la «  recherche et du support aux entreprises dans les secteurs de hautes technologies; conseil en formation, recrutement, marketing, communication, et financement de l’innovation; communication et gestion de projets scientifiques; location de bureaux et de matériel de recherche; investissements dans les startups de hautes technologies; organisation d’événements et d’escape games; production vidéos et artistiques; mécénat artistique, scientifique et culturel ».

Depuis septembre dernier, la boîte a également intégré la cité de l’innovation Mame, incubateur géré par Tours Métropole et présidé par M. Thibault Coulon, vice-président de la métropole, passionné de numérique… et de catholicisme conservateur. Cette année, Da Vinci Labs a accompagné un consortium spécialisé dans les technologie de la thérapie génique – PAT4CGT – qui a obtenu des subventions européennes et suisses à hauteur de presque 4 millions d’euros, faisant entrer 300 000 euros dans les caisses de la petite entreprise gérée par M. Aubry. Du reste, Da Vinci Labs entend monter en puissance, la boîte est très présente sur les réseaux sociaux, notamment grâce à l’embauche d’un spécialiste de la communication, elle édite un magazine semestriel en ligne et organise des concours autour de « l’art quantique ».

A suivre…

 
Suite à la publication de notre série d’articles concernant le projet Da Vinci Labs dont M. Xavier Aubry, managing partner de Zaz Ventures est le promoteur, ce dernier nous demande de publier les précisions suivantes. Les détails fournis ici n’apportent néanmoins pas de réponse au lien nécessaire entre la restauration du château de la Vallière (et son coût très élevé) et la construction dans son parc classé d’un centre d’incubation pour start-up, si prestigieux soit-il, construction à laquelle les services de la Préfecture semblent s’être opposés dans le respect de la loi.[NDLR]

Précision de M. Aubry du 4 janvier
La parcelle pressentie pour ce projet ne fait pas partie du parc classé du château ou de l’espace boisé classé (voir illustration pièce jointe). Les services de la préfecture instruisent actuellement le dossier, la demande de modification du PLU envisagée est conforme à la loi climat et résilience de 2021 […]

Pour être tout à fait précis le premier projet du Da Vinci Labs se situait dans le parc classé et a donc été refusé par l’Architecte des Batiments de France. La deuxième implantation proposée en limite du domaine classé se trouve dans une zone agricole inconstructible. Une procédure dite STECAL a été engagée par M. Aubry pour lever cette interdiction en justifiant que ce projet ne peut être réalisé ailleurs… [NDLR du 4 janvier]

 
Nous sommes consternés par la récupération politique et l’instrumentalisation du projet Da Vinci Labs dans un contexte beaucoup plus large de tensions entre Marie Lajus et les élus locaux. 
 
Votre article satirique contribue à la polarisation extrême de ces débats, qui mélange rénovation du patrimoine (décrit peu amènement comme “ancien monde”) et développement technologique à visée environnementale (présenté négativement comme la “start-up nation”).  
 
La réalité est toute autre.
 
Le projet du Château Louise de La Vallière est un projet de cœur, où nous avons investi tout notre capital entre 2018 et 2022, en sachant que nous ne pourrions jamais le récupérer (en effet la réhabilitation d’un château n’est jamais rentable). Le château avait notamment besoin de sérieux travaux de conservation (façades, toitures, intérieurs, rénovation énergétique) et aucun de ses propriétaires précédents n’avaient pu les entreprendre.[…]
Il a fallu trouver un modèle économique pour le château, afin d’assurer sa pérennité sur le long terme. Il existe différents modèles (ouverture partielle au public pour visite, organisation de mariages ou événements ou encore hôtellerie-restauration) et c’est le troisième que nous avons retenu. Point de “château-business” ici, il s’agit simplement de rendre ce projet indépendant de subsides privées (ou publiques) dans le futur. Car de nombreux châteaux en France sont à l’abandon, parce que leurs propriétaires n’ont pas souhaité (ou pas réussi) à y installer un modèle économique pérenne, susceptible de leur survivre.
 
“Le beau monde?” C’est vrai, la rénovation d’un patrimoine en danger a nécessité la participation de personnalités qui ont partagé leur expérience et leur compétence pendant ce projet de 4 ans. C’est à ce titre qu’elles étaient invitées à célébrer l’ouverture du château le 25 octobre, en présence de Jacques Garcia, et d’élus locaux de toutes couleurs politiques. Car la protection du patrimoine n’est pas une affaire de conviction politique. Un château devenu hôtel n’est pas l’illustration de “l’ancien monde contre le nouveau monde”, mais au contraire, la possibilité de faire renaître et d’ouvrir un lieu magique au public (nul besoin de réserver une chambre signature au Château Louise de La Vallière pour se faire une idée, nous accueillons tous ceux qui le souhaitent pour un café ou un menu bistrot). 
 
“La start-up nation?” Notre monde repose sur le développement technologique, qui nous a amené, par exemple, la première révolution quantique, c’est-à-dire les lasers et les transistors, et donc les ordinateurs qui sont devenus nos outils du quotidien. Cette révolution aurait pu naître en Europe, mais ce sont les Etats-Unis qui ont su capitaliser sur ces découvertes scientifiques et devenir la puissance industrielle que nous connaissons aujourd’hui. Hors, la France a la chance de compter les tous meilleurs physiciens quantiques au monde (comme Claude Cohen Tannoudji, Serge Haroche et Alain Aspect), et une génération de start-ups (comme Pasqal, Qubit Pharmaceuticals, Alice & Bob, C12, Quandela) capables d’amener leurs découvertes scientifiques vers des usages vertueux. La seconde révolution quantique, qui vient de démarrer, peut nous amener, dans les 10 prochaines années, une puissance de calcul “verte” car beaucoup moins consommatrice que nos super-calculateurs actuels. La simulation des propriétés quantiques des matériaux peut nous permettre de développer de nouvelles batteries sans métaux rares, ou des catalyses de capture de carbone. Ce n’est pas un hasard si l’Université de Tours, avec notre support, met en place un Master en Technologies Quantiques pour la rentrée 2023.
 
“Les subventions européennes?”. Entre 2019 et 2022, nous avons permis à plus de 100 start-ups européennes dans le domaine de la santé, de l’environnement, des technologies de l’information, de lever les fonds qui leur étaient nécessaires pour leur développement. Nous avons pour cela pris des risques considérables. En effet, les spécialistes de levée de fonds utilisent toujours un modèle hybride combinant une rémunération fixe (“retainer”) et une rémunération variable (“success fees”) qui varie entre 3 et 10% des montants levés, en contrepartie du travail nécessaire (12-18 mois pour une équipe de 5 personnes pour monter et suivre le dossier de financement). Or, nous avons pris le parti de travailler uniquement en rémunération variable, alors que le taux de succès moyen sur ce type de financement est de l’ordre de 5%. Nous avons également choisi de lancer nos propres projets de recherche. En effet, c’est la préfète, par le biais de ses services, qui a exprimé en février 2022 le besoin de crédibiliser le projet, qui ne leur semblait à l’époque pas assez étoffé. Le directeur de la DDT nous a donc recommandé de rejoindre des projets de recherche financés par la Commission Européenne, qui valideraient le caractère scientifique et économique du projet. Nous avons suivi cette recommandation et obtenu fin 2022 l’accord de la Commission Européenne pour démarrer 4 projets de recherche dans les disciplines que nous souhaitions explorer. Un exemple:  le projet SWIFTT  qui utilise l’intelligence artificielle et les données satellites Galileo afin de surveiller l’évolution des forêts au regard du risque climatique. Les coûts de ce projet sont financés à 70% par la Commission Européenne et à 30% par le Da Vinci Labs en fonds propres, il inclut des partenaires français comme le GCF, qui administre plus de 2M ha de forêts. Point de “dimension business”, car nous finançons donc ce projet à vocation environnementale à hauteur de 30% sur nos fonds propres.
 
En conclusion, l’acharnement médiatique dont nous faisons l’objet dans vos colonnes est incompréhensible, au regard des engagements que nous avons pris et démontré, en ce qui concerne la protection des patrimoines culturel et naturel du site de La Vallière à Reugny, et de notre mission humaniste, scientifique et environnementale. 
 
Xavier Aubry, managing partner de Zaz Ventures

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