Mais qui s’affronte vraiment lors des émeutes ?

[Billet]

Ces quelques nuits d’émeutes depuis la mort du jeune Nahel nous ont surtout montré une chose : l’état de peur dans lequel est le pays. Peur de la Police, de ses méthodes, de ses armes et de ses violences d’un côté, peur des émeutiers, inquiétante masse informe tapie dans l’ombre avec sa haine de la France et sa soif de chaos, de l’autre côté.

Par Joséphine


De part et d’autre de l’échiquier politique on joue de ces peurs de façon assez démagogique et simpliste, avec comme point commun une dépolitisation des événements, invoquant de manière pseudo-magique une Autorité à restaurer : autorité sur la Police qui est en roue libre, autorité étatique et parentale sur les sauvageons devenus incontrôlables. Bref, on connaît la chanson depuis Machiavel et Spinoza, la foule est mue par les passions dont la plus puissante est la peur, l’art de gouverner serait donc un ensemble de techniques pour attiser ou calmer ces passions à l’avantage des dirigeants. Sauf qu’en régime démocratique, dans un pays avec des citoyens passés par l’école, l’idée est plutôt de parier sur l’intelligence des individus pour analyser les situations et proposer des solutions aux problèmes. Dans ce cas, la peur est la pire des conseillères, et cette peur, elle se nourrit d’abord de l’aveuglement lié aux émotions et à l’instinct de survie face à la violence, même si celle-ci est perçue via BFM. Face à cet aveuglement, on devrait peut-être donner une chance à la nuance et la précision pour mettre à distance la sensation d’être submergés par une horde, en uniforme ou non.

Qui sont les émeutiers ?

A défaut d’études précises qui viendront peut-être, on ne peut émettre que des hypothèses et il est impossible de hiérarchiser le poids des différents groupes qui ont participé aux violences. Je m’appuie ici sur des heures sur Twitter et les réseaux sociaux, sur des témoignages de politiques, de fonctionnaires et de militants ainsi que sur les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur. Petit inventaire à la Prévert, j’insiste, dans le désordre vu l’absence de statistiques fiables :

  • Des mecs de quartiers populaires qui subissent du harcèlement policier dans leur quotidien (contrôles à répétition, petites humiliations, paroles déplacées, regards menaçants, tutoiement, palpations, sensation de surveillance…) et qui ont été pris de colère et de volonté de vengeance après les images du policier qui abat Nahel lors d’un simple contrôle routier, apparemment sans raison valable.

  • Des personnes issues des quartiers populaires plus organisés et politisés sur les questions de discriminations et de violences policières, soit en lien avec les collectifs tels Justice pour Adama ou des émanations plus ou moins formelles de Black Lives Matter.

  • Des dealers et petits délinquants qui profitent de la situation pour péter le commerce qui sert à blanchir l’argent du trafic de groupes ennemis.

  • Des militants de la gauche radicale (la vraie hein, pas les sociaux-démocrates de LFI) qui entendent faire basculer une situation d’émeute en contexte révolutionnaire, coiffant un mouvement spontané de revendications politiques.

  • Des mecs bourrés ou défoncés qui participent à des émeutes avec une approche festive et cathartique. Oui, ça peut paraître étrange, mais cela existe, c’est profondément humain, une sorte de fascination pour le feu et la destruction.

  • Des mecs qui passent par-là ou qui vont juste voir les émeutes et qui sont embarqués par une sorte de jeu, d’autant plus s’ils sont pris à partie ou s’ils voient un dérapage de la police qui leur semble injuste.

  • Des mecs de certains quartiers populaires qui vont procéder à des destructions dans d’autres quartiers populaires, sur base d’une vieille querelle, de luttes pour un business ou par « tradition » de rivalité.

  • Des mecs qui rentrent dans une compétition avec d’autres quartiers ou entre amis via les réseaux sociaux, en une sorte « d’Interville de la street », ou pour se poser en influenceurs, faire des vues et ainsi flatter leur égo ou se parer d’une certaine virilité à faire valoir auprès de la gent féminine ou des copains.

  • Des gamins ponctuellement peu ou mal encadrés qui se retrouvent pris dans des phénomènes de groupe, avec une maturité toute relative liée à leur âge. Visiblement 60% des mineurs arrêtés lors des émeutes sont des primo-délinquants. C’est donc le contexte qui les a fait passer à l’acte, et c’est également leur manque d’expérience qui a permis à la police de les arrêter plus facilement, d’où leur surreprésentation.

  • Des gamins en voies de marginalisation, déscolarisés, souffrant probablement de carences affectives, matérielles et éducatives, avec un noyau familial dysfonctionnant et un accompagnement de l’Aide Sociale à L’Enfance ou de la Protection Judiciaire de la Jeunesse qui manquent cruellement de moyens.

  • Des amoureux de la violence qui peuvent la vivre régulièrement de manière euphémisée via les sports de combat, des formes de fiction, du hooliganisme ou de la bagarre de rue et profitent du contexte pour vivre leur passion.

  • Des petits délinquants, des marginaux, des toxicomanes, des personnes en situation de misère qui profitent de la situation pour procéder à des vols dans des magasins, avec un risque moindre qu’en temps normal.

Le choix des cibles des destructions peuvent être politiques ou symboliques, avec un propos revendicatif assumé, ou alors le fruit du hasard, l’occasion créant le larron. L’affrontement avec la Police structure également les lieux de la violence. La stratégie de contention des émeutiers dans les quartiers populaires augmente les tensions et localise les destructions, d’autant plus que les grands ensembles d’habitat HLM sont souvent enclavés entre des espaces de circulation difficiles à franchir, c’est d’autant plus simple pour bloquer les émeutiers.

Face à cette situation, on le voit bien, de nombreuses implications politiques apparaissent : quelles politiques d’encadrement de la jeunesse et de son temps libre, eux qui sont sur-représentés dans les quartiers populaires ? Quelle politique d’accompagnement des parents dépassés ? Quels services publics dans les quartiers populaires ? Quelles politiques de désenclavement ? Quelles politiques de dé-densification et de mixité sociale pour éviter les concentrations extrêmes de populations marginalisées dont les effets sont très coûteux en termes humains, sociaux, sanitaires et financiers. Répondre à tout ça qu’il faut que les parents gèrent leurs gosses, deux claques et au lit, est d’un simplisme et d’un moralisme de bien mauvais goût et une marque d’ignorance sur les réalités des difficultés d’élever des enfants.

Et en face ?

Là aussi, de multiples confusions et raccourcis nuisent à une bonne compréhension des enjeux, la Police étant très diversifiée, d’autant plus qu’elle n’est pas la seule actrice sur le terrain et surtout, étant un instrument de l’Etat, elle est le fruit des politiques publiques de maintien de l’ordre, avec tout de même une certaine marge de manœuvre autonome liée au type d’opération :

  • Les CRS et Gendarmes Mobiles, ils appliquent les doctrines en matière de maintien de l’ordre, de gestion de la foule et de violences de masse dans l’espace public. Probablement souvent virilistes, bravaches et avec un engagement patriotique et favorable à l’ordre social, ce sont les spécialistes de ces situations et ils suivent très largement les ordres de la hiérarchie, elle-même au service du gouvernement et de ses stratégies.

  • Les Brigades Anti-Criminalité, en petites équipes, moins encadrées et contrôlées, ce sont les spécialistes des flagrants délits et de la délinquance de la voie publique. Ils connaissent le terrain, ils connaissent leurs « clients » – selon leur expression – et lesdits clients les connaissent aussi car ils incarnent la police qui vient au contact au quotidien. Moins formés au maintien de l’ordre et habitués des interventions musclées, ils déploient davantage de violence et peuvent profiter de ces situations pour régler des comptes personnels, avec l’impression de pallier les défaillances d’une justice considérée comme laxiste ou soumise à des procédures qui protègent les délinquants.

  • Les gardiens de la paix de la Police Nationale ou les Policiers Municipaux, rarement au contact direct mais qui peuvent intervenir ponctuellement en marge des émeutes, moins entraînés, moins effrayants aux yeux de la population, ils en sont aussi plus proches, connaissant et gérant en partie les problématiques sociales et les effets de la pauvreté dans certains quartiers.

  • Des groupes constitués de militants d’extrême-droite qui profitent de la situation pour vivre le grand frisson de leur fascination pour l’engagement violent, fantasmant une guerre civile imminente et saisissant l’occasion de régler des comptes avec des militants antifa, parfois sous le regard bienveillant de certains policiers, sur base d’une certaine proximité idéologique, les enquêtes sur FR-Deter et le procès qui a eu lieu récemment à la cours d’Assises de Paris l’ont démontré.

  • Des groupes de militaires ou de réservistes qui se constituent en groupes anti-casse, un peu selon les modalités décrites ci-dessus, avec leur savoir-faire en plus. Des cas sont suspectés à Lorient et historiquement, dans les années 60-70, le phénomène était chose commune.

  • Des groupes d’habitants de quartiers populaires, avec cette fois une présence importante de femmes qui tentent de protéger les services publics, leur voiture, leur commerce ou la tranquillité de leur quartier, à coups de tuyaux d’arrosage ou de discussions plus ou moins tendues.

On le voit là aussi, la situation est complexe et ne peut être analysée qu’en termes anti-policiers. Déjà, ils ne sont pas les seuls à s’occuper de sécurité et ils suivent très largement les ordres. C’est un problème politique, à la fois dans le recrutement – ce qui implique plus de moyens, plus de formation et des salaires plus élevés – et dans les doctrines sécuritaires. On a besoin de davantage de police de proximité et d’îlotiers qui ne seront pas considérés comme de purs instruments de contrôle exogène au quartier. On a besoin de davantage de police judiciaire et d’enquête : faire des descentes musclées dans des points de deal avec trois fourgons de CRS, ça ne vaut pas
grand-chose si on ne dispose pas d’enquêteurs, de spécialistes des procédés de blanchiment, de spécialistes fiscaux. Et puis, dans cette police judiciaire, il y a ceux qui protègent les mineurs, ceux qui luttent contre les terroristes, contre la fraude fiscale et la corruption, contre les braqueurs et la criminalité organisée, souvent avec des gens formés à Bac+5 et dévoués, vu les conditions de travail.

On a besoin de meilleures doctrines de maintien de l’ordre public. On a besoin de CRS, notamment face aux hooligans ou pour protéger des bâtiments publics ainsi que pour gérer les foules. Des alternatives à la surenchère de l’armement et des moyens techniques existent, mais il faut de la volonté et mettre de l’argent sur la table. C’est là où le cynisme de la droite est patent : jamais il n’y a eu autant de postes de supprimés dans la police que sous Sarkozy et désormais sous Darmanin, notamment pour la Police Judiciaire. Ces politiciens pallient leurs manquements politiques et leur volonté de faire des économies à tout prix en développant des discours le menton en avant, convoquant l’autorité et la sécurité comme une valeur qui tomberait du ciel.

Non, tout cela, c’est une affaire de politiques publiques. On sait que la droite technocrate macroniste, libérale-affairiste LR ou autoritaire RN n’a qu’une priorité : sauvegarder la propriété privée et limiter le niveau de la fiscalité, avec un blabla migratoire ou entrepreneurial pour se différencier. On attend de la gauche de vrais discours politiques construits et pas juste des slogans de LFI ou des prises de position penaudes d’EELV, du PS ou du PCF qui ne font que suivre le tempo et les sujets imposés par la droite, se désolidarisant des violences en boucle, sommés par des journalistes qui se pensent impertinents. Voilà le principal enjeu pour la Nupes, passer enfin à l’offensive avec de vrais discours et propositions débattus et négociés dans la perspective de 2027. Le reste n’est qu’agitation pour courir après le RN… et finir derrière.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Les émeutes urbaines : bon sens et pensée libérale

Le Blog de Joséphine

 

Commentaires

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  1. Louable tentative d’objectiverr les choses. Mais ne pas oublier le fonds : la misère.

  2. Certes ! Mais à la fin a qui profite la peur occasionnée par ce fracas . Dans ma boîte aux lettres j’ai trouvé un tract de Reconquête totalement infâme et suintant le racisme ( l’antisémitisme viendra en son temps) . C’est terrible parce que mon quartier très populaire n’a pas brûlé et est resté plutôt en dehors de ce fracas ?!? Mais si je choppe le loustic qui distribue cette « merde » il va passer un sale quart d’heure ! La tolérance zéro avec les fascistes !

  3. Pourquoi “la haine de la France” ? Pour une fois, il semble que vous mélangiez un peu tout. Dommage !

  4. Cher Joséphine, comme la plupart des commentateurs, vous vous êtes livrée à un excellent travail d’analyse, en omettant l’essentiel : les quartiers dits “populaires” étaient des quartiers ouvriers, à une époque, les années cinquante, où il fallait loger les millions d’ouvriers de l’agriculture et de l’industrie. En 2023, il n’y a plus d’ouvriers agricoles et nos emplois industriels sont passés de 26% à 10% en 25 ans, entre 1998 et 2023. Restent les logements… Et pour les remplir, les bailleurs sociaux ont fait appel aux migrants. Le résultat est celui que nous connaissons, car le système scolaire, social et de l’emploi n’offre aucune perspectives à ces enfants en dehors du football, qui les fait rêver, et du trafic de drogue, qui leur permet de survivre. Ensuite, ce n’est qu’une question d’opportunités, jamais de choix délibérés. En fait, il n’ya aucune issue raisonnable….

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