Quand le football adoucissait le goulag

Dans Goulag Football Club, le journaliste orléanais François Guéroult, passionné de foot, nous conte le destin incroyable de Nikolaï Starostin. Ce grand footballeur russe fit la gloire du célèbre Spartak Moscou dans les années 30 avant d’être expédié au goulag puis d’en sortir grâce à sa popularité.

Par Sophie Deschamps.

François Guéroult, écrivain et journaliste France-Bleu Orléans

L’écrivain-journaliste orléanais François Guéroult sort Goulag Football Club. Photo SD


« Dites-moi, camarade Pavel Dmitrievitch Beridzé,
avez-vous déjà assisté à un match de football ? Je veux dire : un vrai match de football, avec de vraies bonnes équipes, dans un vrai stade avec du public, en championnat ou en coupe ? » 

C’est ainsi que commence Goulag Football Club. Un roman historique de François Guéroult, publié aux éditions Infimes et qui se lit comme un thriller. Car ici nul besoin de romance tant la réalité dépasse la fiction. Nous sommes en juin 1941, et les prestigieux clubs de foot de la capitale soviétique, le Spartak Moscou et le Dynamo Moscou se livrent une rude concurrenceLe Spartak a toutefois le dessus grâce à un surdoué du ballon rond : Nikolaï Starostin. Un joueur hors pair mais aussi un fin stratège qui sait mener et entraîner une équipe, dont trois de ses frères, Alexandre, Andreï et Piotr. Ce qui a le don de mettre en rage le puissant et terrible Lavrenti Beria. En effet, le chef du NKVD (l’ancêtre du KGB) est un inconditionnel du Dynamo. Il demande donc à Béridzé, l’un agent du NKVD de faire tomber Starostin. L’objectif est de l’expédier le plus loin possible de Moscou. Et de fait en 1944, Starostin et ses frères sont condamnés à dix ans de goulag.

La fiction au service de l’Histoire

Mais vous chercheriez en vain la biographie de Béridzé. En effet, c’est un personnage totalement inventé par François Guéroult : « J’assume le côté romanesque du livre mais avec cette idée que la fiction doit être au service de l’Histoire. Donc j’essaie d’être hyper rigoureux sur toute la partie historique. Mais en même temps j’essaie de prendre du plaisir en écrivant mes ouvrages et évidemment j’espère en donner aussi aux lecteurs. De plus, le côté fiction me permet, notamment à travers les dialogues d’entrer plus facilement dans l’histoire avec un grand H.

J’ai donc voulu rendre le personnage de Béridzé le plus crédible possible. Comme c’est un enquêteur du NKVD, je me suis inspiré d’enquêteurs qui ont vraiment existé. J’ai fait beaucoup de lectures et ce qui m’a frappé, c’est que beaucoup d’agents de la Police Politique de l’URSS sont très fiers de ce qu’ils ont accompli. Ils ont en effet le sentiment d’avoir participé au combat révolutionnaire et de la manière la plus noble qui soit alors même qu’ils commettaient des atrocités. »

L’intérêt de ce texte est aussi de faire revivre la mémoire du football d’avant-guerre en Russie : « J’ai eu vent des exploits de Nikolaï Starostin en Russie lorsque la France a gagné la Coupe du monde en 2018. À l’époque, j’ai vu un documentaire sur l’histoire du football russe. Un sport très populaire en Russie puis en URSS malgré des conditions météo pas toujours faciles. C’est aussi comme ça que j’ai appris que des joueurs de foot s’étaient retrouvés au goulag. Ça m’a donné envie d’en savoir plus. »

Du foot au goulag 

Car la popularité de Nikolaï Starostin est telle qu’il va créer et entraîner des équipes de foot au sein de communes liées au goulag  : « C’était des villes-centres d’intérêt dont dépendaient les camps. Du coup, il y a réellement eu des matchs dans certains goulags. Du coup, les détenus étaient un peu mieux nourris. Car ces rencontres servaient de propagande. Le pouvoir pouvait ainsi démontrer qu’au goulag il y avait un projet de reconstruction de l’individu sur tous les plans, y compris physique. Donc Beria était obligé de ménager Starostin alors qu’il n’a hésité à éliminer ou à faire condamner lourdement des intellectuels et des artistes. » Nikolaï et ses frères devront toutefois attendre 1954, après la mort de Staline, pour pouvoir revenir à Moscou. 

Ce roman historique évite enfin l’écueil de nous servir toutes les métaphores et jeux de mots possibles et imaginables sur le football. On relève à peine deux clins d’œil à la toute fin du texte avec une annexe Temps additionnel et une postface Prolongations, signée de l’avocat Didier Clin. Montrant que l’on peut être “intello” et fan de foot, il nous livre une observation fine des changements récents sur les rapports entre football et politique. Mais aussi à l’intérieur des équipes où selon lui l’individualisme prend le pas sur le collectif.

Mais laissons le mot de la fin à Nikolaï Starostin, décédé en 1992, à qui François Guéroult fait dire : « Je dirais plutôt que Beria n’a pas compris ce qui fait l’essence même du football, et qui en garantit le charme : cette part d’incertitude, de hasard et d’irrationnel qui fait qu’on ne peut jamais être certain de maîtriser un match avant de l’avoir disputé. »

François Guéroult sera présent à Orléans le samedi 14 octobre 2023 à 17h au Green Café, 212 rue de Bourgogne.

Puis à Montargis le samedi 28 octobre, de 15h à 18h, à la librairie Le Hérisson, 70 rue du Général Leclerc.


Pour aller plus loin sur Magcentre : Coupe de France de football : Vierzon intègre le club des 5 de la région

Pour retrouver les autres livres de François Guéroult :

Oradour, le roman d’un procès

Sida, la peine et le sursis 

L’autre Goering 

Contre Hitler 

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