Caroline de Bodinat met en lumière les soignants de l’ombre

« Demain dès l’aube » est le troisième livre de Caroline de Bodinat, publié cette fois-ci par les éditions Flammarion. Son récit est le fruit de dix mois d’immersion dans le quotidien du groupe Caton, entreprise de pompes funèbres implantée sur plusieurs départements, notamment de la région Centre-Val de Loire. Hommage à une profession méconnue, exigeante, indispensable.

Par Izabel Tognarelli


Pendant l’épidémie de Covid, les blouses blanches ont été applaudies ; à juste titre, car les soignants n’ont pas flanché face à une terrible adversité. Mais les hommes et les femmes en noir ont été les grands oubliés. Pourtant, ils étaient sur le pont, eux aussi, sursollicités ; obligés d’exercer dans des conditions inhabituelles, très difficiles, parfois absurdes, eux qui contribuent si souvent à redonner du sens à ce qui n’en a pas. Le récit de Caroline de Bodinat lève le voile sur le quotidien des conseillers funéraires, porteurs, thanatopracteurs, marbriers, maîtres de cérémonie, tous ces soignants de l’ombre dont on ne mesure guère le travail, alors que leur profession est si exigeante.

Dix mois d’immersion à visage découvert

La famille de Caroline de Bodinat est originaire de l’Orléanais. Elle connaît bien Pascal Caton, PDG du groupe Caton, ainsi que Gautier Caton, son fils. « À chaque nouvelle fin de chapitre, nous appelons les Caton comme on compose le 18 », explique-t-elle en préambule. L’entreprise a donc accueilli la journaliste et écrivain en toute connaissance de cause, une attitude très courageuse quand on sait à quel point ces deux professions peuvent déclencher des réactions parfaitement irrationnelles. Le résultat est une expérience de lecture dans laquelle on peut entrer avec quelques difficultés, en se demandant au début si on ne s’est pas trompé de livre, pour se sentir de plus en plus intéressé par ces portraits d’hommes et de femmes attachants par leurs forces et leurs failles, et finalement se demander comment on va quitter ce livre. Ce cheminement semble le reflet de l’expérience de l’auteure au cours de son immersion.

Photo Pascal Ito © Flammarion


« Au tableau de notre nature morte, ils retournent le sablier »

Demain dès l’aube est un livre courageux. Au cours de son immersion, Caroline de Bodinat a appris à conduire une grue, elle est descendue dans un caveau pour refaire le ciment, a préparé les cercueils, les a scellés à la cire ; elle les a même vissés. Elle a appuyé sur le bouton vert qui déclenche l’entrée du cercueil dans la gueule du dragon ; a affronté une exhumation. Elle a assisté aux obsèques, y compris une cérémonie au cours de laquelle le cercueil était blanc, épreuve tout aussi insupportable pour les acteurs du monde funéraire que pour le commun des mortels, mais épreuve au cours de laquelle ils ne doivent surtout pas craquer, car ils doivent savoir compatir tout en restant strictement à leur place. Dans ce métier comme dans quelques autres — notamment les pompiers, le monde judiciaire et les médecins — on se forge un mental. Mais on ne connaît sa limite que le jour où l’on tombe. Bien sûr, il y a la psychologue de l’entreprise, mais il arrive tout de même de tomber. Franck est tombé. Il semblait pourtant solide, les discussions avec lui comptent parmi les plus savoureuses de ce récit. Et pourtant, il est bel et bien tombé, laissant l’auteure, tout comme ses collègues, avec les fous rires qu’ensemble ils avaient partagés.

Caroline de Bodinat ne s’est donc rien épargné. Elle a vraiment partagé le quotidien des hommes et femmes en noir ; elle l’a rendu jusque dans les sons, celui de la visseuse au moment de la mise en bière, celui de la porte du four qui coulisse, la violence du bras mécanique qui pousse le cercueil. Elle a regardé ce que personne ne veut voir, la grande vulnérabilité des défunts ainsi que les difficultés de ce métier dans lequel on soulève à répétition des masses colossales. Elle a aussi mis en lumière l’exigence de cette profession dans laquelle on voit tous les jours des gens pleurer. Elle dit sa fierté d’avoir été aux côtés de ces professionnels du funéraire, une expérience qu’elle n’est pas près d’oublier. De leur côté, les employés qui l’ont côtoyée ne sont certainement pas près non plus de l’oublier.


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Commentaires

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  1. Le funéraire est aussi un business parfois malhonnête.
    Respect à ceux qui n’abusent pas du chagrin des familles.

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