Des frères de sang aux frères humains : une histoire de la fraternité

Le jeudi 14 décembre dernier, au musée des Beaux-Arts, la section orléanaise de l’association Guillaume Budé recevait Alexandre de Vitry* pour un entretien, mené par Hadrien Courtemanche**, autour de son dernier ouvrageLe droit de choisir ses frères ? Une histoire de la fraternité (2023)”.
 
Compte rendu par Hadrien Courtemanche
 
Devant un public fidèle, Alexandre de Vitry évoqua la genèse de ce projet
monumental, fruit de près de dix années de recherche, en partant de ce constat « l’actualité de la fraternité est le signe tragique de son inactualité. » En effet, ce vocable millénaire semble aujourd’hui obsolète malgré sa présence tutélaire dans nombre des débats de notre temps.

Du latin Frater

C’est à Charles Baudelaire que l’auteur emprunte le titre de son ouvrage ; une formule quelque peu provocatrice qui reflète la casuistique inhérente à toute réflexion autour de la métaphore fraternelle.
Dans un second temps, le conférencier revint sur les racines linguistiques de la
fraternité, naviguant entre l’indo-européen bhrater et le latin frater, afin de montrer que, dès l’origine, cette dernière est marquée du sceau de l’ambivalence et de la polysémie ; la fratrie étant autant une réalité sociale qu’une image permettant de représenter la vie publique. Puis, c’est aux mythes que l’auteur se référa – ceux issus de la tradition biblique – pour évoquer la
question de la violence et du fratricide qui semblent indiquer que la fraternité se déploie précisément lorsqu’elle s’éloigne du référent familial. Enfin, c’est autour de la dialectique ouverte/fermée qu’Alexandre de Vitry acheva le premier temps de sa réflexion, en évoquant l’opposition entre une fraternité universelle et une conception plus recentrée ; la sœur de l’ombre de la trinité républicaine désignant autant un groupe, un élan hospitalier, une valeur
qu’une attitude face au monde.

A la faveur de la Révolution française

Mais, à quel moment la fraternité – née dans le creuset du christianisme – se
sécularise-t-elle ? C’est en 1789, à la faveur de la Révolution française, que la première rupture a lieu, actant le passage d’un régime paternaliste à une communauté politique fondée sur l’égalité de tous et l’invention de la notion de citoyenneté, parangon de la fraternité républicaine. La seconde, née sur les barricades de 1848, témoigne de l’apogée de la fraternité et marque également l’implosion du terme sous le poids de sa propre polysémie. Triomphant mais sombrement paré du sang des révoltés, le langage fraternel entre dans une longue période de caducité politique.
 
Si la fraternité semble avoir été évacuée manu militari de l’espace public suite aux douloureuses expériences révolutionnaires, elle va trouver dans la littérature un locus amoenus où se ressourcer. Et qui mieux que Victor Hugo pour réinsuffler à l’ancienne métaphore un peu de sa vitalité perdue ? Ce sera Les Misérables (1862), monument de la fraternité universelle qui offrira le plus éclatant « point de contact entre l’idéal solidaire et la réalité pesante de la solitude et de la misère » du XIXe siècle. Toutefois, à l’universalisme
hugolien, s’oppose la conception baudelairienne fondée sur l’idée de choix, impliquant un processus d’élection autant que d’exclusion, menant vers une fraternité d’élus. Deux auteurs reflétant pleinement la conflictualité originelle de la fraternité. Puis, c’est à Charles Péguy, ardant défenseur d’une fraternité exigeante et intransigeante, qu’Alexandre de Vitry se réfère avant d’évoquer les atrocités du XXe siècle.
À une fraternité accueillante succède « une fraternité du tombeau, une fraternité faite tombeau. » Cependant, bien que l’indicible ait terrassé le réseau signifiant de la métaphore fraternelle, la littérature résiste. De Romain Gary à Jonathan Littell, en passant par Albert Cohen ou Thomas Mann, les écrivains réactualisent les présupposés sémantiques du lexique fraternel; la littérature apparaissant comme un espace de résistance et de résilience favorisant la survie de la fraternité dans la mémoire collective.
 
*Alexandre de Vitry est Maître de conférences en littérature française du XXe et du XXIe siècles à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université
**Hadrien Courtemanche est Professeur de Lettres modernes Doctorant en Littérature française Université Sorbonne Paris Nord – Laboratoire Pléiade EA 7338

“Le droit de choisir ses frères ? Une histoire de la fraternité”
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2023,
440 p. Prix Émile Perreau-Saussine 2023.

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