Jean Zay et la crise agricole

De son élection comme député du Loiret en mai 1932 à son entrée au gouvernement Sarraut début 1936, Jean ZAY publie, presque chaque dimanche, un éditorial dans l’organe radical régional, dirigé par son père Léon, la France du Centre. En septembre 1935, en pleine campagne législative partielle dans la circonscription rurale de Pithiviers, il s’intéresse au drame des agriculteurs, victimes de la surproduction mondiale liée à la crise de 1929. Il évoque son ami le docteur Cabanis, rempart républicain contre la menace populiste des « Chemises vertes », dont le leader Dorgères vient de réunir un meeting houleux à la halle aux grains de Blois, pour tirer profit du malaise paysan et déstabiliser la démocratie parlementaire.

Henri_Dorgères_lors d’une réunion du Front paysan à la halle aux grains à Blois en 1935

« Le drame agricole » dans la France du Centre du dimanche 8 septembre 1935

“En envoyant, le 22 septembre, notre ami Cabanis¹ à la Chambre des députés – de même qu’ils élurent, dans des difficiles conditions, le docteur Billard au Conseil général –, les paysans du Gâtinais montreront qu’ils restent attachés aux hommes sérieux et compétents. La démagogie agraire des agitateurs à la Dorgères2 n’a jamais eu de prise dans le Loiret, où elle ne compte d’ailleurs aucun auxiliaire véritable, mais à la veille de la rentrée politique, le scrutin de Pithiviers attestera la stabilité républicaine d’une des régions les plus représentatives du pays.
Quiconque chercherait aujourd’hui à diviser les citoyens français et à opposer notamment les agriculteurs aux citadins, commettrait une besogne criminelle.
Jamais les événements n’ont si fortement attesté leur solidarité. Aussi bien, la représentation nationale a-t-elle toujours été unanime à voter les mesures destinées à protéger les uns ou les autres.
Les erreurs de la politique agricole des différents gouvernements qui se sont succédés – sans même remonter à ceux qui entonnaient si légèrement l’hymne à la production – ne sont pas niables. Elles consistent surtout à avoir pris sans cesse tardivement les décisions qui s’imposaient. Prête à conjurer les récoltes déficitaires, notre organisation rurale n’avait pas prévu l’éventualité des excédents. On a d’abord improvisé, puis construit à la hâte avec cent décrets divers, un statut agricole sans ensemble. Certaines lois, comme celle du prix minimum, si elles ont conjuré la débâcle, n’ont pas vraiment été appliquées, faute de sanctions contre la fraude et de crédits massifs, non distribués en petits paquets. […]
La politique agricole est actuellement enfermée dans une équivoque intolérable qu’il faut dénoncer clairement. Oui et non est-on pour la déflation générale ? Oui ou non est-on pour la revalorisation des prix agricoles ? Les deux systèmes sont contradictoires et s’excluent réciproquement. On ne peut vouloir l’un et l’autre. L’effort républicain de reprise de l’activité économique défendrait efficacement les cultivateurs. Mais l’entreprise des décrets-lois aggrave leur situation et les atteint indirectement. Les hypocrisies ne sont pas de mise et il faut choisir. Je me souviens, lors de la réunion publique de Mer, pendant la dernière élection législative de Blois, avoir mis Monsieur Dorgères au pied du mur sans obtenir aucune réponse positive sur ce point. Il est vrai que peu de temps auparavant, M. Dorgères, qui n’a jamais été paysan, avait proclamé la nécessité de ne faire confiance qu’à de vrais paysans. Les doctrinaires de la « compétence professionnelle » sont souvent faiblards dans leurs raisonnements.

La misère paysanne

Si la misère paysanne est une des plus graves inquiétudes de l’heure et s’il faut ouvrir les yeux sur les manifestations significatives qui éclatent à chaque coin du pays, ne nous laissons point duper par ceux qui entendent les exploiter contre le régime. Il y aurait la plus grande injustice à méconnaître les efforts réalisés. Le ministère de l’Agriculture vient de composer une brochure, que je souhaite voir répandre dans le public, et qui les retrace objectivement. Sait-on que […] l’entreprise totale a donc approché de dix milliards… Si ces sommes n’ont pas toujours été utilisées à bon escient, elles traduisent l’importance de l’effort.
Les marchés du vin – surtout pour nos régions du Centre – et ceux des primaires ou cultures maraîchères ont été beaucoup moins partagés. En ce qui concerne l’affaire des blés importés, […] les conclusions de la commission parlementaire réduisent cependant à néant certaines affirmations calomnieuses ou exagérées, dont tant de démagogues n’ont pas hésité à faire usage pour ameuter nos campagnes.
La récolte présente ne dépassera sans doute pas 75 millions de quintaux, quand la consommation globale en réclame 90. Si elle doit procurer un répit anxieusement attendu, qu’on l’utilise en hâte pour instituer enfin un statut agricole qui permettra, dans la liberté des transactions, d’assurer à chacun la sauvegarde de ses intérêts !
Et que ce statut ne néglige aucune branche de la production française…”

Jean ZAY, Député du Loiret

¹ Paul Cabanis, né dans le Gard en 1892, est un médecin installé à Beaune-la-Rolande, croix de guerre 14-18. Élu conseiller général de ce canton du Gâtinais, ce protestant radical est un ami de Jean Zay. À la faveur d’une élection législative partielle provoquée par le décès du député Henri Chevrier, il est élu à la Chambre des députés pour la circonscription de Pithiviers en 1935, et réélu en mai 1936 avec le Front populaire. Il ne prend pas part au vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain dont le régime le prive de sa mairie de Beaune-la-Rolande et persécute son épouse, juive égyptienne. Il participe à la Résistance intérieure et meurt sans avoir vu la Libération, en février 1944. Voir Patrick Cabanel, « Paul, Léon, Rollin Cabanis », in Patrick Cabanel et André Encrevé (dir.), Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, tome 1 : A-C, Les Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2015, p. 533.

² Henri Dorgères, journaliste en Bretagne, fonde en 1929 les Comités de défense paysanne appelés « Chemises vertes ». Il prône un régime autoritaire et corporatiste imité du modèle mussolinien, antirépublicain et antisémite, hostile aux fonctionnaires et singulièrement à l’instituteur rural, accusé d’incarner « l’école du déracinement ». Il organise une grande réunion à la Halle aux grains à Blois le 22 septembre 1935, qui se termine par des bagarres. Décoré de la francisque par Pétain, condamné à l’indignité nationale à la Libération, Dorgères est élu député poujadiste en 1956 et combat les débuts de la construction européenne. Robert O. Paxton, Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural 1929-1939, Le Seuil, 1996.

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