« Sans jamais nous connaître » : un regard singulier plein de douceur

Andrew Haigh, passé la cinquantaine, se penche sur l’importance de l’amour filial à travers son personnage d’Adam. On ne vieillit jamais tout à fait sans eux, semble nous dire ce personnage qui en a été privé et qui reconstruit ce qui le liait à eux. Tout en réussissant une très belle histoire d’amour qui le sort de sa solitude. Par des images fortes, le réalisateur anglais nous parle tendrement de l’amour.

Adam en pleine solitude. Photo 20th Century Studio

 
Bernard Cassat


Adam, le personnage du film créé par Andrew Haigh et incarné par Andrew Scott, coche plusieurs cases du côté de la solitude. Il est écrivain, profession qui isole. Et apparemment en difficulté d’écriture, ce qui ne rajoute pas à sa sérénité. Il habite dans un immeuble immense et pourtant apparemment vide, ou presque. Une fausse alerte au feu va lui faire découvrir un de ses voisins. Mais lorsque le soir, celui-ci frappe à sa porte pour lui proposer un verre, il le reçoit avec distance, ne le fait pas entrer et reporte à plus tard le verre proposé.

En fait, il est dans une période de retour sur lui-même. Retour à la maison d’enfance, pèlerinage dans son ancienne banlieue. Et retrouvailles avec ses parents. Sauf que ses parents ont le même âge que lui. Et qu’apparemment ils ne savent rien de sa vie d’adulte. La clé narrative est donnée, ils sont morts lorsqu’il avait 12 ans. L’histoire avec les parents est un long dialogue avec des morts.

La famille retrouvée. Photo 20th Century Studios


Il retourne plusieurs fois revoir ses parents. La deuxième fois, sa mère est seule. Il lui avoue alors son homosexualité. Coming out très années 80, avec réaction de la mère distanciée. La fois suivante, avec son père seul, ça se passe mieux, le père avait déjà deviné. En discutant avec Harry (Paul Mescal), le voisin un peu plus jeune que lui et qui devient son amoureux, il s’aperçoit que le coming out a bien changé avec les années. Pendant les rencontres suivantes avec ses parents, Adam reconstitue la vie qu’il avait avec eux. Ou sans doute l’invente. On parle avec les morts, mais les morts ne nous répondent pas vraiment. Malgré l’honnêteté d’Adam, il est le scénariste et le réalisateur du film qui se déroule dans sa tête, et ses parents ne sont que ses acteurs. Peut-être lui-même aussi, d’ailleurs…

Les deux amoureux. Photo 20th Century Studios

Son histoire avec Harry s’approfondit, devient une véritable et très touchante histoire d’amour. Avec quelques excès dans des boites de nuit qui frisent le délire et emmènent le film dans un tel mélange du vécu et de l’imaginaire qu’on ne sait plus très bien. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas partager avec l’autre ses propres rêveries. Lorsqu’Adam veut présenter Harry à ses parents, on frise la catastrophe. Parce que Harry n’est pas dans le même imaginaire.

Une soif de reconnaissance

Des parents morts, un retour sur son enfance ; cette recherche très psy peut agacer, peut toucher, peut repousser. La profondeur analytique, quasi absente du film, n’est pas le sujet, mais le jeu va loin, Adam en pyjama rouge dans le lit de ses parents, ou la décoration du sapin de Noël. Au-delà de toute niaiserie, l’amour que l’on porte à ses parents, l’importance de la reconnaissance qui permet de se construire, le désir de rester proche d’eux, même adulte, sont profondément interrogés par Andrew Haigh. Et l’histoire d’amour avec Harry, à l’inverse des rêveries intérieures d’Adam, prend une force dans la véracité des personnages et des images qui la décrivent. Due au scénario, mais aussi beaucoup aux deux acteurs absolument formidables. Autant Andrew Scott que Paul Mescal. Andrew Haigh les filme au plus près. Beaucoup de plans de visages, cadrés serrés. Celui d’Andrew, parfois sérieux, profond, presque tragique, s’ouvrant tout d’un coup sur un sourire. Celui de Paul, plus rond, plus roublard, mais aussi plein d’affection et de tendresse. Plans un peu plus larges pour la mère et son fils insomniaque qui vient rejoindre ses parents dans leur lit. Séquence puissante que cette discussion sur l’oreiller. Scott filme les corps aussi, ceux des deux amants dans des scènes d’amour justes et pudiques.

Paul Mescal and Andrew Scott. Photo by Chris Harris. 20th Century Studios


Images impressionnantes du début, où le monde devient une maquette qu’Adam regarde depuis sa hauteur avec des jumelles. Images de reflets aussi, qui se rapprochent d’images rêvées. Chaque cadrage est précis et beaucoup ont une intention. Andrew Haigh prend le temps de raconter la tendresse des relations humaines. L’ambiguïté finale est un peu dommage, la mort était suffisamment présente pour ne pas en rajouter. Mais ce film sur l’amour, qu’il soit filial ou passionnel, propose un regard tout à fait singulier et plein de douceur.


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